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Les îles grecques en passe de devenir les Nauru de l’Europe

Alla Abdo, left, with his cousin Jihan and her four children, outside Moria reception centre on the Greek island of Lesvos. Abdo said they were Syrians but had lost their documents and been told they could not register at Kara Tepe, a reception centre for Jodi Hilton/IRIN

Une Kurde irakienne de 66 ans et son petit-fils de 6 ans sont morts brûlés jeudi soir dernier à la suite de l’explosion d’une bonbonne de gaz de cuisson dans leur tente du camp de réfugiés de Moria, sur l’île grecque de Lesbos. La mère du garçon et son autre fils de 4 ans, qui étaient dans la tente voisine, ont subi de graves brûlures. Le feu a été rapidement éteint, mais, tandis que le camp était évacué, certains réfugiés ont allumé des feux qui ont causé des destructions importantes.

Alors que le froid hivernal commence à s’installer, une grande partie des 16 000 migrants et réfugiés bloqués sur les îles grecques sont toujours hébergés dans des abris temporaires. Dans ce contexte, d’autres incendies sont inévitables. Certains seront provoqués involontairement par des résidents qui tentent simplement de se garder au chaud ou de cuisiner dans leur tente ; d’autres seront allumés intentionnellement par des migrants pour protester contre le traitement qui leur est réservé.

Les incendies qui surviennent à Moria se produisent généralement à la suite d’émeutes. Depuis la mise en oeuvre de l’accord entre l’UE et la Turquie, en mars dernier, ils sont devenus plus fréquents. En vertu de cet accord, les migrants qui arrivent dans les îles grecques y sont brièvement détenus en attendant d’être renvoyés en Turquie, admis en Grèce ou relocalisés ailleurs en Europe. En réalité, peu de migrants ont quitté Lesbos. La plupart attendent toujours que leur demande d’asile soit traitée, même si des petits groupes continuent d’arriver.

Le camp de Moria est censé pouvoir accueillir 2 000 personnes, mais environ 4 500 migrants y vivent actuellement. D’autres installations situées ailleurs sur Lesbos accueillent 1 500 personnes supplémentaires. Plusieurs autres îles de la mer Égée sont confrontées à des niveaux semblables de surpeuplement et à une atmosphère de plus en plus tendue. Des affrontements violents entre réfugiés et locaux ont éclaté récemment sur l’île de Chios.

Plusieurs réfugiés avec qui je me suis entretenue juste après l’incendie m’ont posé la même question : « Ce genre d’incident peut-il contribuer à l’ouverture des frontières ? » Malheureusement, les politiques européennes qui les contraignent à rester sur les îles ne sont pas déterminées par des considérations humanitaires. Elles sont motivées par le désir de maintenir les migrants aussi loin que possible du centre de l’Europe. Et Lesbos est l’un des coins les plus éloignés de l’Europe.

Fotini Rantsiou/IRIN
The morning after the fire at Moria camp, refugees sift through the charred remains of their belongings

Les locaux se sentent quant à eux de plus en plus menacés. Le nombre de vols et de crimes a augmenté avec le nombre de demandeurs d’asile. Les réfugiés représentent désormais plus de 20 pour cent de la population de Mytilène, la capitale de l’île de Lesbos où se trouvent les camps. Ils représentent 13 pour cent de la population de l’île de Chios et 38 pour cent de celle de Samos.

Quel est le vrai problème ?

Le surpeuplement a été attribué au manque d’efficacité du service d’asile grec. Le rythme de traitement des dossiers n’y est pourtant pas moins rapide que dans d’autres pays européens. Selon son directeur, le service a triplé de taille depuis ses débuts en 2013 et il a géré six fois plus de demandes d’asile en 2016 que lors des années précédentes. Le pays n’a en outre reçu que très peu de soutien de la part des autres pays européens. Les États membres ont envoyé seulement 35 des 400 experts demandés par le Bureau européen d’appui en matière d’asile.

Le problème n’est pas lié non plus à un manque de fonds. Par l’intermédiaire de sa direction générale Migration et Affaires intérieures, l’Union européenne (UE) s’est engagée à verser un total de 248 millions d’euros au gouvernement au cours de la dernière année (par le biais de contributions d’urgence et à long terme) ainsi que 175 millions d’euros supplémentaires aux partenaires humanitaires, notamment le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) et diverses organisations non gouvernementales (ONG). Depuis avril 2016, 198 millions d’euros supplémentaires ont été octroyés par l’Office d’aide humanitaire de la Commission européenne (ECHO).

Tous ces fonds sont censés permettre d’améliorer les conditions de vie des migrants vivant sur les îles, mais aussi celles des quelque 46 000 réfugiés bloqués dans divers camps du continent. Il est évident qu’une meilleure coordination et une plus grande confiance entre le gouvernement et les partenaires humanitaires aideraient grandement, mais ce n’est ni l’argent ni les obstacles bureaucratiques qui empêchent les réfugiés de quitter les îles. Le réel problème réside dans le manque de solidarité des autres États membres. Au cours de la dernière année, ces derniers ont fermé leurs frontières et sont revenus sur leurs engagements en ce qui concerne l’accueil des demandeurs d’asile provenant de la Grèce et de l’Italie. La Grèce – où un total de 62 000 migrants et réfugiés sont maintenant bloqués – a ainsi dû assumer toute seule les conséquences des mauvaises décisions prises à Bruxelles.

Même alors que le président turc Recep Tayyip Erdogan menace ouvertement de mettre un terme à l’accord de migration conclu avec l’UE, le gouvernement grec le garde vivant en insistant sur le fait que les réfugiés doivent rester sur les îles. Le lendemain de l’incendie du camp de Moria, le ministre de la Migration a répété devant le parlement qu’aucun transfert vers le continent ne serait effectué, et ce, en dépit des requêtes répétées des maires des îles.

Lorsqu’on discute avec les responsables du gouvernement, les acteurs humanitaires ou les résidents de Lesbos, Chios, Athènes ou Thessaloniki, une chose apparaît claire : il est urgent de faire pression, à Bruxelles et dans les capitales des États membres de l’UE, pour renverser les politiques européennes qui prennent en otage les migrants qui arrivent en Grèce. À cause de sa position géographique, le pays est devenu un État de première ligne dans la « crise » européenne des réfugiés alors même qu’il vit des difficultés économiques sans précédent depuis la guerre.

L’Australie a été vivement critiquée, à juste titre, pour sa politique de confinement de demandeurs d’asile dans des centres de détention offshore comme celui de la minuscule nation insulaire de Nauru. En tant que citoyens européens, nous devrions avoir honte de laisser nos institutions mettre en place cette solution inhumaine et faire des îles grecques le Nauru de l’Europe.

(PHOTO DE COUVERTURE : L’an dernier, alors que les arrivées sur l’île de Lesbos atteignaient un niveau record, les non-Syriens devaient attendre jusqu’à cinq jours pour s’enregistrer dans le camp de Moria. Ils étaient cependant libres de se rendre ensuite sur le continent ou de poursuivre leur chemin vers l’Europe occidentale. Jodi Hilton/IRIN)

fr/ks/ag-xq/amz 

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