Le critique de cinéma Roger Ebert a écrit que les pandémies étaient « l’une des grandes histoires à faire peur de notre temps, la notion que dans la profondeur des forêts tropicales inexplorées se tapissent des maladies mortelles et que, si elles s’échappaient de leur jungle et s’introduisaient dans le système sanguin des hommes, une nouvelle épidémie telle que nous n’en avons jamais connue se déclarerait ». Heureusement, l’épidémie d’Ebola n’est pas cette apocalypse devenue réalité. Or, pour ce qui est de retenir l’attention de la population, c’est justement une partie du problème.
Je voulais vous en mettre plein la vue dans cette première chronique, alors j’ai fait un schéma (car il est scientifiquement prouvé que les schémas vous en mettent plein la vue). Regardez la vitesse à laquelle l’intérêt de la population à l’égard de l’épidémie d’Ebola s’est émoussé. Les gens ne parlent plus autant d’Ebola qu’avant et certainement pas autant qu’ils le devraient étant donné que le pire scénario correspond à peu près à la définition même de « pire scénario ».
– Ebola touche plus fortement les femmes : 75 pour cent des personnes décédées de la maladie au Liberia étaient des femmes, car ce sont elles qui s’occupent le plus des proches qui tombent malades.
– Le taux de létalité est plus élevé chez les travailleurs de la santé, ce qui aggrave encore davantage la situation des systèmes de santé qui manquent déjà cruellement de ressources.
– Des écoles ont été fermées pendant des durées variables dans les pays touchés par Ebola. Or plus les enfants passent de temps sans aller à l’école, moins ils ont de chances d’y retourner.
– La fermeture des marchés conduit à des pénuries alimentaires qui touchent toute la population. Les agriculteurs mangent leurs réserves de graines, ce qui signifie qu’ils n’auront plus de semences à planter pour la prochaine saison.
– L’attribution de plus de ressources à la lutte contre Ebola se traduit par un resserrement du budget attribué à d’autres maladies. Même les progrès enregistrés dans le combat contre le paludisme sont menacés.
Nous vivons dans un monde qui pratique l’« économie de l’attention », dans lequel la plupart des gens ont arrêté de s’inquiéter lorsqu’il est devenu évident qu’ils n’allaient pas être envahis par des zombies d’Ebola. Pourtant, la série télévisée The Walking Dead réussit à tenir en haleine les téléspectateurs depuis cinq ans – environ cinq ans de plus que l’attention que l’OMS a réussi à maintenir après les ratés de l’épidémie de H1N1 en 2009. Peut-être que nous devrions penser davantage aux zombies.
En fait, non. Traiter les victimes d’Ebola comme des zombies est une idée stupide, même pour quelqu’un d’ouvert comme moi. Maintenant que les « combattants d’Ebola » ont été consacrés personnalités de l’année par le magazine Time, si l’on faisait plutôt une adaptation télévisée ? Mighty Morphin Ebola Fighters pourrait faire un carton, avec des héros de chaque pays d’Afrique de l’Ouest touché par Ebola qui, en combinant leurs forces, se transformeraient en un David Nabarro géant.
Tout bien considéré, la lutte contre Ebola ne s’en tire pas trop mal, mais ce n’est pas la dernière épidémie que nous allons devoir affronter. Nous attendons toujours cette grave pandémie de grippe, vous vous souvenez ? Pour éviter la catastrophe la prochaine fois, nous devons mieux nous préparer, c’est-à-dire que nous devons nous engager à plus long terme en revoyant la logique du système de santé publique mondial, en privilégiant une approche plus globale et en investissant dans les systèmes de santé des pays à risque. Lorsque l’on parle d’Ebola, notre discours doit être plus mobilisateur que l’histoire à faire peur de Roger Ebert.
Si vous voulez contribuer au « Forum ouvert », veuillez écrire à [email protected].