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Alliances mouvantes et menaces croissantes : les principaux groupes insurgés du Sahel

MINUSMA/Blagoje Grujic/Flickr

Au cours des six années qui se sont écoulées depuis le début de la rébellion séparatiste dans le nord du Mali, en janvier 2012, le nombre de groupes armés présents dans la région du Sahel, en Afrique de l’Ouest, a considérablement augmenté. Les relations qu’ils entretiennent entre eux, en constante évolution, sont aussi de plus en plus complexes.

Certains groupes armés du Mali ont signé un accord de paix en 2015, mais le rythme d’exécution de sa mise en œuvre est extrêmement lent. Pendant ce temps, l’insécurité continue de se détériorer, en particulier dans la région du centre, notamment avec l’émergence de nouveaux éléments djihadistes, qui sont également actifs à proximité des frontières au Burkina Faso et au Niger.

Au Nigeria et dans certains des États voisins, Boko Haram continue de faire des ravages près d’une décennie après le début de l’insurrection.

map of Sahel

Voici un aperçu des principaux acteurs armés non étatiques de la région :

Signataires de l’accord de paix de 2015

Ils appartiennent à deux camps rivaux :

Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA)

La CMA est une coalition informelle d’anciens mouvements rebelles ayant des intérêts partagés, comme l’autodétermination (l’indépendance complète ne fait plus partie de leurs revendications officielles). L’Azawad est le nom donné à l’État éphémère et non reconnu créé en 2012 dans le nord du Mali par le Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA). La CMA comprend également le Mouvement arabe de l’Azawad (MAA) et le Haut Comité pour l’unité de l’Azawad (HCUA).

Plateforme des groupes armés

La Plateforme est une coalition de groupes explicitement progouvernementaux qui prétendent vouloir défendre la souveraineté territoriale du Mali et qui se battent parfois aux côtés de l’armée régulière. Les groupes qui en font partie défendent également leurs propres intérêts.

La plateforme comprend le Groupe d’autodéfense touareg Imrad et alliés (GATIA), une branche du MAA, et la Coordination des mouvements et Front patriotique de résistance (CM-FPR).

Depuis la signature de l’accord de paix, des affrontements ont souvent éclaté entre les deux camps, retardant la mise en œuvre de l’accord, aggravant le sort des civils et faisant le jeu des groupes djihadistes.

D’après la Division des droits de l’homme de la Mission des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA), les membres de la CMA et de la Plateforme ont été impliqués dans 174 cas de mauvais traitements contre des civils en 2016 et 72 autres cas pendant le premier trimestre de 2017.

Les tensions se sont quelque peu apaisées entre les deux camps à la suite de la signature d’un cessez-le-feu, en septembre 2017.

Acteurs non signataires et dissidents

Des anciens rebelles mécontents de la façon dont la CMA gère le processus de paix, en particulier le fait qu’elle accorde beaucoup d’importance à la région de Kidal et à la confédération des clans de Touaregs Ifoghas, ont formé plusieurs nouvelles entités fondées sur la géographie et l’appartenance communautaire.

Congrès pour la Justice de l’Azawad (CJA), dans la région de Tombouctou

Mouvement pour le Salut de l’Azawad (MSA), dans la région de Ménaka

Branche dissidente de la CM-MPR

L’exclusion de ces nouveaux groupes de certains des mécanismes du processus de paix malgré leur puissance militaire et la part de la population qu’ils représentent remet en question la pertinence de ce processus, d’autant plus que le contexte dans lequel il a été signé était très différent du contexte actuel.

Début février 2018, le GATIA a dit qu’il était impossible que les conditions de l’accord de paix permettent de résoudre la crise malienne dans sa forme actuelle. Le groupe a par ailleurs appelé à engager un dialogue inclusif pour aborder tous les défauts de l’accord.

Groupes djihadistes et autres groupes associés

Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (Jamaat Nosrat al-Islam wal-Mouslimin, JNIM)

En mars 2017, les principaux groupes djihadistes du Sahel — Ansar Dine, le Front de libération du Macina, Al-Mourabitoun et la branche saharienne d’Al-Qaida au Maghreb islamique — ont annoncé qu’ils avaient formé une alliance sous la bannière de cette nouvelle entité.

Le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans se décrit lui-même comme la branche officielle d’Al-Qaida au Mali. Il consolide de ce fait la présence de ce groupe dans le Sahel et place fermement les acteurs du Sahel, en particulier Ansar Dine, sur l’échiquier mondial du djihadisme. Depuis la création de l’alliance, les groupes terroristes [au Mali] « semblent avoir renforcé leurs capacités opérationnelles et élargi leur zone d’opérations [entraînant une] augmentation du nombre de victimes d’attaques terroristes », a écrit le Secrétaire général des Nations Unies António Guterres dans le rapport sur la situation au Mali présenté au Conseil de sécurité le 26 décembre 2017.

Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI)

AQMI est apparu il y a dix ans lorsque le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), lui-même issu du Groupe islamique armé (GIA) d’Algérie, a prêté allégeance à Al-Qaida. Depuis, AQMI s’est fait de plus en plus présent, en particulier dans certaines zones situées en périphérie de Tombouctou et dans l’extrême nord du pays. Les leaders de certaines de ses cellules ont consacré des années à créer des alliances avec les populations locales dans ces régions.

« Nous créons ces liens afin que nos moudjahidines ne soient plus isolés dans la société et afin d’intégrer les différentes factions, y compris les grandes tribus, les principaux mouvements rebelles et les chefs tribaux », a écrit le leader d’AQIM Abdelmalek Droukdel dans un document retrouvé au moment de l’expulsion des djihadistes de Tombouctou par les troupes françaises, en 2013.

Comme les étrangers se font rares dans le nord du Mali, AQMI a vu diminuer les revenus qu’il percevait en lien avec les enlèvements et les demandes de rançons. La région, une zone de non-droit, reste cependant un endroit idéal pour toutes sortes de trafics, incluant la traite d’êtres humains et le trafic de narcotiques.

Ansar Dine

Les Touaregs du Mali étaient autrefois considérés comme un rempart contre AQMI et l’extrémisme islamique dans le nord du pays. Ansar Dine, fondé en 2012, est la preuve que cette époque est révolue. Son leader, Iyad Ag Ghali, a joué un rôle important dans les rébellions touarègues des années 1990, mais il s’est radicalisé depuis. En 2017, son groupe a pris la barre du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans.

Les offensives d’Ansar Dine ont fait un nombre croissant de victimes civiles. La « conférence nationale de compréhension » qui a eu lieu l’an dernier a malgré tout recommandé la tenue de négociations avec Iyad Ag Ghali (et d’autres islamistes). Ces pourparlers n’ont cependant pas encore eu lieu. La France a quant à elle écarté toute possibilité de négociation avec des « terroristes ». À la mi-février, l’opération régionale Barkhane a attaqué une base d’Ansar Dine, tuant un proche collaborateur du leader du groupe.

État islamique dans le Grand Sahara (EIGS)

L’EIGS a été créé en 2015 par le porte-parole du défunt Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO). Il s’est fait connaître l’année suivante en devenant la branche officielle de l’État islamique autoproclamé dans le Sahel.

Le groupe est actif dans la région où se rencontrent les frontières du Mali, du Niger et du Burkina Faso. Il a combattu contre des forces internationales et contre certains groupes armés locaux. L’attaque d’octobre 2017, qui a fait cinq victimes nigériennes et quatre victimes américaines parmi les membres d’une unité de forces spéciales, lui a valu une grande notoriété.

Boko Haram

Boko Haram (nom complet : Jamā’at Ahl as-Sunnah lid-Da’wah wa’l-Jihād – Groupe sunnite pour la prédication et le djihad) a été créé en 2002 dans le nord du Nigeria et a lancé une violente insurrection en 2009. Le groupe est présent au Nigeria, mais aussi dans le nord du Cameroun, au Niger et au Tchad. L’insurrection a fait au moins 25 000 morts et forcé plus de 2,5 millions de personnes à quitter leur foyer.

Même si l’armée nigériane a réussi à déloger Boko Haram d’une grande partie du territoire qu’il avait désigné comme son califat en 2014, le groupe continue de lancer des attaques contre des civils, des fonctionnaires et des soldats.

En 2015, Abubakar Shekau, le chef de Boko Haram, a prêté allégeance au leader de l’État islamique autoproclamé, Abu Bakr al-Baghdadi. Pourtant, un an plus tard, l’EI a nommé Abu Musab al-Barnawi — le fils du fondateur de Boko Haram Mohamed Yusuf — comme chef de sa « province d’Afrique de l’Ouest ». Al-Barnawi a par ailleurs critiqué la position de Shekau selon laquelle seuls les partisans de Boko Haram sont de vrais musulmans, une position qui légitimait les attaques contre les civils. La scission a donné lieu à des combats entre les deux factions. Boko Haram a également été affaibli par la crise alimentaire qui a sévi dans le nord-est du pays, crise à laquelle le mouvement a d’ailleurs contribué. Malgré de récentes offensives militaires contre ses bastions dans les régions du lac Tchad et de la forêt de Sambisa, Boko Haram est loin d’être défait.

Pour en savoir plus sur Boko Haram, consultez les dossiers d’IRIN sur le sujet en cliquant ici et ici.

Ansarul Islam (les défenseurs de l’islam)

Ce regroupement de mouvements djihadistes basé au Burkina Faso s’est fait connaître en décembre 2016 en revendiquant la responsabilité d’une attaque contre une base militaire de la province du Soum, dans le nord-est du pays. L’attaque avait tué 12 membres d’une unité antiterroriste. Depuis lors, le groupe a été impliqué dans — ou a revendiqué — des dizaines d’attaques contre des civils, des fonctionnaires ou des militaires. On raconte que le leader d’Ansarul Islam, Ibrahim Dicko, aurait auparavant combattu dans les rangs du MUJAO (voir ci-dessus), un groupe djihadiste autrefois basé au Mali. Malgré son nom, le groupe « tient au moins autant de l’insurrection sociale que du mouvement islamiste », selon un récent rapport de l’International Crisis Group (ICG) sur le Burkina Faso.


Des frontières floues

La dynamique conflictuelle de cette région s’appuie sur un djihadisme pur et dur, mais aussi sur des rivalités de longue date, souvent violentes, la contrebande et les activités d’autodéfense. Des groupes djihadistes comme l’EIGS comptent dans leurs rangs de nombreux membres de la communauté peule du Niger, qui est depuis longtemps en conflit avec les Touaregs au Mali.

« [L]a violence jihadiste et les tensions entre communautés du fait de la rivalité pour l’accès aux ressources naturelles et le contrôle des trafics s’entremêlent étroitement. Dans ce contexte, il devient difficile de déterminer les causes et la nature précise de nombreux incidents », a écrit l’International Crisis Group après l’attaque du mois d’octobre au Niger.

La rivalité entre l’EI et Al-Qaida que l’on a pu observer ailleurs dans le monde semble être absente du Sahel, où, selon le rapport du Secrétaire général des Nations Unies, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (JNIM) et l’EIGS semblent agir « en parallèle et probablement en collaboration ».

Les frontières qui séparent les anciens insurgés séparatistes et les groupes djihadistes ne sont pas très nettes non plus. À la fin de l’année dernière, le général qui occupait alors le poste de commandant au Mali de la force française Barkhane a évoqué la « collusion » qui existait entre certains membres de groupes ayant signé l’accord de paix de 2015 et des « groupes terroristes armés ».

Après que l’opération militaire française Serval eut réussi à chasser les groupes djihadistes des villes du nord du Mali, nombre de leurs membres ont intégré d’autres groupes : certains combattants d’Ansar Dine se sont joints au HCUA, un mouvement émergent qui joue déjà un rôle important dans la coalition de la CMA, et des membres du MUJAO ont rejoint l’aile « loyaliste » du MAA.

La confusion qui règne en ce qui concerne ces groupes d’acteurs non étatiques prétendument distincts n’est pas sans importance, surtout lorsque l’on sait que la France a versé une aide au MNLA pour qu’il participe à la lutte contre les groupes djihadistes.

Une animosité meurtrière prévaut néanmoins, et les anciens rebelles payent le prix de leur participation au processus de paix — nombre d’entre eux ont en effet été assassinés. Le 18 janvier 2017, des dizaines de personnes ont été tuées lors d’une attaque suicide revendiquée par Al-Mourabitoun. L’attaque a eu lieu dans la ville de Gao, au centre du pays, dans un camp abritant des soldats du gouvernement et des membres des groupes armés signataires qui travaillaient ensemble au sein du Mécanisme opérationnel de coordination (MOC) prévu par l’accord de paix.

Cliquez ici pour consulter notre guide des opérations internationales contre-insurrectionnelles au Sahel.

fo/am/oa/ag

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