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L’emploi, arme de guerre contre Boko Haram au Niger ?

nigerien men Gérard Bontoux/Flickr

Démobiliser les anciens combattants dans le cadre d’un accord de paix n’est jamais facile, même dans les meilleures circonstances. Pourtant, du Kenya à la Somalie, des tentatives de réintégration sont de plus en plus souvent menées en plein conflit, ce qui complique énormément le processus.

Le désarmement, la démobilisation et la réintégration (DDR) ont pour but de promouvoir la paix pour réduire le risque d’une recrudescence de la violence. Participer au système est considéré comme essentiel pour la viabilité des accords post-conflit. Mais, la réalité est rarement aussi simple. Il est difficile de réintégrer d’anciens combattants, surtout lorsque l’économie est majoritairement informelle. Les formations professionnelles déversent des milliers de charpentiers sur le marché du travail, alors qu’une thérapie combinée à une allocation s’avérerait plus appropriée. Les communautés sont en outre souvent déplacées, morcelées et traumatisées par les conflits, ce qui rend la réinsertion encore moins aisée.

Les processus de DDR sont cependant de plus en plus souvent mis en œuvre avant même qu’un accord de paix soit adopté. Ces programmes sont considérés comme utiles dans la lutte contre l’extrémisme violent, qui privilégie les objectifs de développement conventionnels plutôt que les drones et les forces spéciales plus souvent associés à la « guerre contre le terrorisme ». Les programmes de DDR sont donc aujourd’hui plus politiques que jamais. Les promesses d’amnistie, d’allocation et de soutien aux combattants qui décident de se rendre sont utilisées pour affaiblir les rangs du camp adverse au même titre que les opérations militaires classiques.

D’autres points posent problème : quel cadre légal différencie les programmes de DDR de la détention pure et simple ? Quels sont les conditions requises pour y participer et les garde-fous en matière de droits de la personne ? Plus largement encore, remarquent les chercheurs James Cockayne et Siobhan O’Neil, on peut se demander si « la doctrine, les ressources, les moyens financiers et les partenariats nécessaires pour garantir l’efficacité de ces programmes sont en place ».

Une initiative nationale

Malgré toutes ces problématiques, le Niger a décidé de tenter l’expérience. Depuis 2015, ce pays du Sahel subit des attaques du mouvement djihadiste Boko Haram, qui traverse sans peine la frontière depuis l’immense Nigeria voisin pour commettre des attentats et pour recruter. En décembre 2016, le gouvernement nigérien a lancé un programme de déradicalisation et de réintégration pour les membres de Boko Haram qui décident d’arrêter le combat. « Nous allons leur garantir la sécurité, nous allons leur éviter la prison », a dit le ministre de l’Intérieur, Mohamed Bazoun, lors de l’annonce de l’initiative à Diffa, dans le sud du pays. « Nous allons les installer et leur apprendre un certain nombre d’activités. »

Cette initiative nationale a été accueillie avec enthousiasme par le gouverneur de Diffa, Dan Dano Mahamadou Lawaly, qui a mobilisé l’université de Diffa pour offrir des conseils et favoriser l’acceptation des « repantis », comme on les appelle, par la communauté locale.

Plus de 150 personnes participent actuellement au programme, dont des « femmes » de combattants et 28 jeunes garçons. Au départ, ils étaient internés à Diffa, mais les conditions de vie y étaient si mauvaises que certains ont tenté de s’échapper. Depuis, le groupe a été transféré à Goudoumaria, à deux heures de route à l’ouest, dans un camp initialement destiné à accueillir des réfugiés. Leur situation est maintenant bien meilleure. Ils ont de l’eau, sont nourris régulièrement et disposent même d’une petite infirmerie. Mais ils ne bénéficient toujours d’aucun soutien psychosocial et d’aucune formation professionnelle, et les enfants ne sont pas scolarisés. « Pour les jeunes, le principal problème est peut-être l’ennui, l’absence de possibilités d’apprentissage et de loisirs », a dit Viviane Van Steirteghem, représentante du Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) au Niger, qui a récemment visité le camp.

Encore beaucoup à faire

« Le programme n’a pas encore atteint sa forme définitive », a expliqué Boukari Kassoum, directeur de la cellule Paix et Développement de l’université de Diffa. « Mais c’est une bonne chose qu’il ait commencé ». D’après Mme Steirteghem, 12 centres de formation professionnelle entièrement équipés et financés par l’Union européenne vont être construits dans chaque municipalité de Diffa, région défavorisée qui ne comptait aucune école avant la fin des années 1990.

Un programme de DDR du même genre prévoit la libération progressive de 80 mineurs arrêtés des deux côtés de la frontière et détenus à Niamey, la capitale. Ils sont renvoyés dans des « centres de transit et d’orientation » à Diffa, avant d’être confiés à leur famille, sous surveillance régulière des autorités. Mme Steirteghem n’a pas été autorisée à donner plus de détails. « Tout cela est relativement nouveau pour le Niger et extrêmement délicat », a-t-elle dit à IRIN.

L’adhésion de la population est particulièrement problématique. Rado Moustapha est le maire de Goudoumaria. On pourrait s’attendre à ce qu’il soit plus ou moins impliqué dans le programme de déradicalisation. Il a pourtant précisé à IRIN qu’il n’avait pas encore rendu visite au camp de repentis, situé à six kilomètres à peine du village. Il considérait manifestement le programme comme une initiative imposée à Goudoumaria par le ministère des Affaires intérieures. « Je me demande quel avantage nous en tirerons », a-t-il dit à IRIN. Pour lui, les combattants de Boko Haram ne sont que des meurtriers. « Nous ne savons pas ce qu’ils veulent — ils se contentent de massacrer. C’est une interprétation erronée de l’islam. C’est comme une révolution menée par des gens mal élevés qui n’écoutaient pas leurs parents. »

IDP kids Diffa
EU/ECHO/Jean de Lestrange/Flickr
Displaced children in Diffa

Un contexte différent du Nigeria

Le sud-est du Niger est habité par des Kanouri, le même groupe ethnique dont proviennent la majorité des membres de Boko Haram au Nigeria. Avant 2009 et le début de l’insurrection, Mohamed Yusuf, le fondateur du mouvement, et son successeur, Abubaker Shekau, étaient souvent aperçus à Diffa. Pourtant, aucune des personnes interrogées par IRIN ne pense que l’adhésion à l’idéologie de Boko Haram, à savoir le rejet de l’occidentalisation, soit un véritable motif d’enrôlement. Le Niger est un pays islamoconservateur. Selon une enquête publiée en 2013 par Afrobaromètre, 67 pour cent des Nigériens aimeraient que la charia soit intégrée à la constitution. Mais cela reflète plutôt une aspiration à une société plus juste, comme l’a révélé une étude de l’Overseas Development Institute. Ce n’est pas la démocratie multipartite qui est remise en cause, mais les manquements du système et sa tendance apparente à privilégier les riches et à déposséder les pauvres de tout pouvoir.

Akasser al-Fazaz, de l’organisation non gouvernementale SOS-Civisme-Niger, est catégorique : les facteurs de l’extrémisme violent au Nigeria sont absents au Niger. « Au Nigeria, l’autorité politique est défaillante. Le Nigeria est une fédération, tandis que le Niger est un État unitaire et peut réagir rapidement [aux menaces]. Nous avons des lois qui interdisent les discours haineux et les médias sont réglementés. »

Les raisons qui pousseraient les jeunes nigériens à rejoindre les rangs de Boko Haram seraient donc presque exclusivement économiques. Diffa est une région marginalisée, appauvrie par une sécheresse en 2010 et 2011, puis par des inondations en 2012 et 2013 qui ont touché la principale culture commerciale du pays : le poivron. Et la production est aujourd’hui encore plus mise à mal par l’insécurité.

Lourdes conséquences

« On a l’impression que les gens y allaient pour l’argent », a dit M. Kassoum, de l’université de Diffa. Les jeunes qui ralliaient Boko Haram revenaient avec leur butin et incitaient les autres à suivre leur exemple. Ensuite, Boko Haram a fermé la porte « et n’a plus laissé personne revenir », excepté comme soldat prêt à combattre.

La stratégie contre-insurrectionnelle de l’État a par ailleurs eu de lourdes conséquences. Elle a chassé des communautés entières des îles du lac Tchad et des localités proches de la rivière Komadugu Gana, à la frontière du Nigeria, qui sont venues grossir les rangs des 157 000 déplacés du pays.

Aboubaker Issa, animateur de groupes de jeunes à Diffa, estime que c’est le monde à l’envers de donner la priorité aux repentis. « Le gouvernement devrait d’abord aller à la rencontre des populations qui ont tout perdu, qui vivent sous des arbres : les rencontrer, les réconforter, les ramener chez eux et leur donner les moyens de se réinstaller, a-t-il dit à IRIN. Ensuite, le gouvernement pourra se tourner vers les anciens combattants et les aider à rentrer chez eux. » Ce ne sont pas seulement des formations professionnelles que les Nigériens veulent, mais de véritables emplois. Les besoins sont si grands « que si le gouvernement persiste à dire qu’il aidera les membres de Boko Haram à se réintégrer, aucun jeune ne restera ici », a dit M. Issa. « Ils s’enrôleront tous [pour profiter du dispositif de réintégration]. »

Les jeunes de Diffa ont en tête le modèle d’accord de paix passé entre le gouvernement et les rebelles touaregs dans le nord pour mettre fin à l’insurrection de 2007-2008. L’État avait offert des emplois aux anciens combattants pour répondre au sentiment d’exclusion des Touaregs. Pour Mme Steirteghem, les circonstances de cet accord de paix et de ce programme de DDR classique étaient très différentes de la situation actuelle, où c’est une région entière qui a besoin d’aide. « Le gouvernement et ses partenaires tentent de garantir une certaine équité dans les opportunités offertes aux jeunes — qu’ils aient fait partie de Boko Haram ou non. »

Article rédigé avec l’aide d’Aboubacar Sidi

as-oa/ag-ld

Photo d’en-tête : Trois Nigériens. CRÉDIT PHOTO : Gérard Bontoux

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