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La chute d’Alep

Ruined building block Sevim Turkmani/ICRC

Dans le cadre d’une offensive rapide ayant duré moins d’un mois, les forces loyales au président syrien Bachar Al-Assad ont repris la dernière enclave rebelle à Alep-Est. Lundi soir, l’armée a avancé rue après rue tandis que l’artillerie et les frappes aériennes pilonnaient les positions rebelles situées au nord-est du district de Ramouseh. À minuit, seule une petite fraction du territoire était toujours entre les mains de l’opposition. Des coups de feu tirés pour célébrer la victoire ont illuminé le ciel au-dessus d’Alep-Ouest. Finalement, mardi soir, la nouvelle d’un accord négocié par la Russie et la Turquie est tombée. Le document prévoit l’évacuation des combattants rebelles restants vers les territoires contrôlés par l’opposition à l’extérieur d’Alep. Quant aux civils, ils resteront dans la ville désormais contrôlée par le gouvernement.

L’effondrement d’Alep-Est marque la fin de quatre ans et demi de lutte pour le contrôle de la plus grande ville du nord de la Syrie, celle qu’on décrit souvent comme la capitale industrielle et économique du pays.

Pour les partisans d’Al-Assad, il s’agit d’une grande victoire. Dans une interview réalisée par courriel, une source proche du gouvernement à Damas a dit qu’Alep était désormais « libérée des groupes terroristes ». Elle a ajouté que la restauration du contrôle de l’armée « permettrait à des centaines de milliers de déplacés de retourner à Alep-Est ».

On perçoit clairement le sentiment de soulagement qui règne chez les sympathisants du régime à Alep. Ces derniers ont l’impression que leur ville est peut-être enfin sur le point de retrouver le chemin vers la normalité. Lundi soir, la chaîne publique al-Ekhbariya a diffusé en boucle des images de célébrations dans les rues. On pouvait notamment voir des jeunes hommes qui klaxonnaient et tiraient dans les airs sous la pluie battante tandis que des présentateurs de télévision distribuaient des chocolats.

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Pour l’opposition syrienne, toutefois, la chute d’Alep-Est est une catastrophe politique qui risque de saper le moral des troupes et de miner le soutien dont elle bénéficie de la part de la communauté internationale. Les représentants de l’opposition ne semblent pourtant pas près de se soumettre.

« Nous ne pouvons ignorer le fait que les révolutionnaires syriens ont été laissés à eux-mêmes pour affronter un vaste groupe d’ennemis comprenant le régime, le Hezbollah, l’Iran, la Russie, les milices et l’Irak », a dit à IRIN Omar Mushaweh, un leader des Frères musulmans syriens basé en Turquie, dans une interview réalisée en ligne.

Cependant, comme d’autres sympathisants de l’opposition ayant été interviewés, M. Mushaweh n’a montré aucun signe de vouloir se rendre. En réalité, personne ne se fait d’illusions sur le fait que la guerre continuera de sévir, surtout que les faiblesses du gouvernement Al-Assad ont été rendues évidentes par la perte récente de Palmyre aux mains de l’État islamique (EI) autoproclamé.

Les civils menacés

Au-delà des conséquences politiques, toutefois, les événements qui viennent de se produire à Alep marquent la conclusion brutale de quatre ans de souffrances humaines. Pour les Syriens qui ont des amis et de la famille dans l’enclave rebelle, les dernières semaines ont été un cauchemar. Lundi et mardi, toute la journée, des messages désespérés et des appels à l’aide ont été lancés depuis Alep-Est par l’intermédiaire des médias sociaux et de contacts privés. De nombreux civils avaient déjà réussi à se réfugier à Alep-Ouest, tenu par le gouvernement, mais, au cours des derniers jours, des dizaines de milliers de personnes se sont pressées dans les rues de l’enclave rebelle pour tenter de fuir.

« Dans ce genre de situation très instable, où les lignes de front bougent quotidiennement, les gens se déplacent et fuient comme ils le peuvent », a écrit Linda Tom, une porte-parole du Bureau de la coordination des affaires humanitaire des Nations Unies (OCHA), dans un courriel envoyé à IRIN samedi. Mme Tom a estimé que plus de 40 000 civils avaient déjà été déplacés à ce stade-ci et que 100 000 autres se trouvaient toujours dans l’enclave contrôlée par les rebelles. Elle a cependant insisté sur le fait que tous les chiffres étaient incertains.*

Médecins Sans Frontières a dit que la chute d’Alep-Est était l’une des pires crises qu’avait connues l’organisation depuis plusieurs années. Certains civils déplacés ont pris d’énormes risques en fuyant ; ils ont mis en péril leurs vies, mais aussi leurs foyers.

Le gouvernement syrien dit vouloir accueillir et protéger les civils qui fuient Alep-Est. Toutefois, parmi les milices pro-régime, nombreuses sont celles qui sont mal organisées et indisciplinées et qui, par le passé, ont commis des actes de pillage et de destruction des propriétés abandonnées. Même le gouverneur d’Alep, le général de brigade Hussein Diab, s’est récemment plaint des vagues de pillages qui ont tendance à se produire chaque fois que l’armée mène une offensive réussie à Alep.

Selon des allégations rapportées par les Nations Unies, des groupes rebelles auraient empêché des civils de quitter l’est de la ville afin de les utiliser comme boucliers humains. Des responsables des Nations Unies ont également reçu des rapports faisant état de l’arrestation des hommes d’âge militaire à leur arrivée à Alep-Ouest. De fait, de nombreux civils de la zone rebelle semblent avoir attendu de n’avoir plus le choix avant de fuir vers les territoires contrôlés par le gouvernement. « Ils nous tuent depuis si longtemps, pourquoi auraient-ils pitié de nous maintenant ? » a dit un résident au Washington Post.

Le gouvernement syrien s’est empressé de réfuter ces allégations.

« Les hommes d’âge militaire qui quittent l’est de la ville doivent se soumettre à des vérifications et donner leurs renseignements dans le cadre du processus d’amnistie et de réconciliation », a dit un colonel syrien qui travaille pour le général de corps d’armée Ziad al-Saleh, l’homme chargé de gérer les opérations militaires à Alep, dans une déclaration fournie à IRIN par un intermédiaire. Le colonel a ajouté que ceux qui se sont rendus coupables de « crimes graves » seront poursuivis et jugés, mais il a insisté sur le fait que « l’État est ouvert à ce que ces personnes reprennent une vie normale ».

En effet, malgré le désir qu’ils ont sans doute d’écraser complètement l’opposition et de se venger sur les combattants rebelles, les hommes d’Al-Assad semblent prendre conscience qu’il est dans leur intérêt d’adopter une méthode plus douce. Alep a valeur de test décisif pour la stratégie gouvernementale d’imposition de trêves locales et d’évacuation forcée des combattants rebelles vers les régions périphériques comme Idlib, en particulier à l’heure où Al-Assad consolide le contrôle qu’il exerce sur le centre de la Syrie et d’autres villes importantes ailleurs au pays.

Malgré tout, lundi et mardi, alors que l’enclave rebelle était en train de tomber aux mains des forces d’Al-Assad, les médias de l’opposition ont fait de multiples références aux massacres de Srebrenica (1995) et du Rwanda (1994) et même à l’Holocauste. Au moment d’écrire ces lignes, ces allégations n’avaient pas été étayées par des informations fiables. Même les médias ouvertement pro-rebelles n’avaient produit aucune preuve permettant, même vaguement, de comparer la situation actuelle à ces atrocités. Selon un porte-parole, les Nations Unies avaient reçu, mardi, des rapports faisant état du meurtre de 82 civils par les forces pro-gouvernementales. Aussi terrible que cela puisse être, il ne s’agit pas d’un génocide.

Cela dit, les craintes des sympathisants de l’opposition dans la ville ne sont pas infondées. Il se peut en effet que d’autres décès n’aient pas été rapportés. Par ailleurs, à ce stade-ci, personne ne sait vraiment si l’accord d’évacuation sera respecté ni ce que l’avenir réserve aux Syriens. L’absence de contrôle extérieur de la situation et de la conduite des forces d’Al-Assad suscite des préoccupations importantes et légitimes quant à la possibilité de mauvais traitements envers les détenus et les populations civiles vulnérables. Ce chapitre funeste de l’histoire de la Syrie est encore en train de s’écrire.

*Il est à noter que la question du nombre de civils se trouvant dans l’enclave rebelle d’Alep-Est a fait l’objet de vifs débats pendant toute la durée du conflit. Avant l’effondrement du bastion rebelle, les Nations Unies estimaient à 250 000-275 000 le nombre de personnes qui se trouvaient toujours dans l’est de la ville. Après le début de l’offensive, la plupart des estimations des Nations Unies oscillaient autour de 140 000 civils. Le 9 décembre, le porte-parole d’OCHA Russell Geekie m’a dit qu’il serait prématuré de conclure que le chiffre avancé par les Nations Unies était trop élevé en l’absence d’informations précises. M. Geekie a cependant reconnu que les chiffres préliminaires semblaient effectivement pointer dans cette direction. Lors de ma plus récente visite à Damas, en octobre et novembre, les estimations fournies par les divers responsables syriens à qui je suis adressée oscillaient entre 97 000 personnes (selon le ministre des Affaires étrangères Walid al-Mouallem) et 200 000 personnes (selon le président Al-Assad). Le 11 décembre, dans une interview réalisée par courriel, une source proche du gouvernement syrien basée à Damas a insisté sur le fait que les Nations Unies s’étaient laissé induire en erreur par des activistes de l’opposition et que le décompte final du nombre de civils à Alep-Est « serait inférieur à 100 000 ».

(PHOTO DE COUVERTURE : Le district de Masaken Hanano, dans l’est d’Alep. Sevim Turkmani/CICR)

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