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Aide d’urgence : les obstacles à une approche locale

A health post in Nzanza in Beni territory of eastern Democratic Republic of Congo's Nord Kivu province Kudra Maliro/IRIN
Il y a quelques années, en 2006 pour être précise, j’ai rencontré un journaliste sri-lankais aux Nations Unies, à Genève. Nous étions tous deux sur place pour couvrir les pourparlers de paix entre le gouvernement sri-lankais et les Tigres tamouls. Malgré l’échec des pourparlers, les conversations avec mon confrère étaient intéressantes. Il avait fraîchement en mémoire le souvenir du tsunami asiatique et celui de l’intervention des Nations Unies au Sri Lanka.

« Ils sont arrivés, se sont directement rendus chez des concessionnaires automobiles haut de gamme et ont acheté tout un tas de 4x4 au volant desquels ils se promenaient », a-t-il dit. Ses commentaires n’avaient rien d’élogieux : les travailleurs humanitaires des Nations Unies lui avaient renvoyé l’image d’étrangers arrogants et renfermés.

Près d’une décennie plus tard, le mot « local » est dans toutes les bouches au sein de la communauté humanitaire. Bien qu’ils soient souvent plus efficaces en contexte de crise humanitaire, les acteurs locaux tendent à être moins reconnus et à recevoir moins de fonds pour leurs efforts. « Localiser » les interventions humanitaires en renforçant les capacités et en finançant les groupes à l’échelle locale est l’une des priorités du Sommet humanitaire mondial qui se tiendra à Istanbul l’année prochaine. 

Mais pourquoi cela n’a-t-il pas déjà été fait ?

Dévoilé récemment à Genève, le rapport 2015 sur les catastrophes dans le monde - une publication indépendante commandée chaque année par la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (FICR) afin d’étudier les grandes tendances en matière de réponse humanitaire – tente de répondre à cette question. 

Une question de temps et d’argent

Le financement est l’une des principales raisons pour lesquelles de si nombreuses agences d’aide humanitaires locales « se débattent dans les difficultés », comme l’a expliqué le sous-secrétaire général de la FICR, Robert Tickner : sur les plus de 20 milliards de dollars d’aide d’urgence versés aux Nations Unies et aux agences nationales, régionales et internationales chaque année, seul 0,2 pour cent va aux groupes locaux, d’après le rapport GHA sur l’aide humanitaire mondiale.

 Voir aussi : The Humanitarian Economy [L’économie humanitaire] 

L’une des raisons avancées par Mo Hamza, l’éditeur de ce rapport, est que les critères d’attribution appliqués aux financements sont les mêmes que vous soyez un grand acteur pesant plusieurs millions de dollars dans le secteur humanitaire ou une minuscule ONG oeuvrant à l’échelle d’un village.

« Imaginez que vous soyez une petite ONG afghane et qu’il vous faille vous plier à une vingtaine d’évaluations pour garantir votre légitimité et votre adéquation à la mission visée », a dit M. Hamza, qui est également professeur en gestion des risques de catastrophe à l’Université de Copenhague.

« Nous devons adapter le niveau des informations à divulguer à celui des financements », a ajouté David Loquercio, responsable des politiques du CHS (Core Humanitarian Standard [Norme humanitaire fondamentale de qualité et de redevabilité]). « À l’heure actuelle, tout le monde doit se soumettre aux mêmes exigences. »

Le rapport souligne que la transparence financière et la redevabilité restent essentielles, mais M. Hamza estime qu’il n’est tout simplement pas rationnel d’appliquer les mêmes contrôles en matière de fraude, de blanchiment d’argent et même de financement du terrorisme à une toute petite ONG locale et à une grande agence d’aide humanitaire internationale.

Écart réglementaire ?

Le rapport qualifie la législation internationale régissant la réponse aux catastrophes de « décousue ».
Les cadres légaux existants donnent le premier rôle aux gouvernements des pays affectés, et pourtant « de nombreux [gouvernements] ont le sentiment de ne pas vraiment tenir les rênes » et n’ont pas accès aux organismes de prise de décision internationaux tels que le Comité permanent inter-agence (IASC, de l’anglais Inter-Agency Standing Commitee) – un regroupement d’agences des Nations Unies – le Mouvement de la Croix-Rouge ou encore le consortium d’ONG servant d’organe décisionnaire central à la communauté humanitaire. En outre, les règlements internationaux ne mentionnent pas spécifiquement les ONG locales ou les organisations de la société civile.

Les agences d’aide humanitaire internationales semblent partir du principe que les gouvernements ne souhaitent pas ou ne peuvent pas répondre aux besoins de leurs populations, et que les acteurs locaux – qu’ils soient locaux ou nationaux – n’ont pas la capacité de réponse appropriée.
L’incapacité à comprendre ou tout du moins à maîtriser les réglementations nationales régissant ce que les agences d’aide humanitaire internationales peuvent ou ne peuvent pas faire selon les pays a fait obstruction à une coopération efficace entre acteurs internationaux et nationaux.

Au lendemain du tsunami de 2004, par exemple, les agences d’aide humanitaire internationales se sont aperçues que leur matériel électronique de première nécessité - de type téléphones satellitaires - était retenu aux frontières des jours durant, car les permis d’importation pertinents n’avaient pas été demandés ou accordés.

Politique et intérêts particuliers

Dans les États en faillite, secoués par des conflits civils complexes ou dans lesquels une catastrophe touche à des intérêts particuliers à l’échelle locale – en lien avec le droit d’accès à l’eau ou le droit foncier, par exemple – faire équipe avec des groupes locaux peut s’avérer encore plus compliqué.

Collaborer avec un groupe local peut revenir à en aliéner un autre, ce qui pose un « sérieux problème » de l’aveu des agences d’aide. Identifier ce qui semblerait être la solution parfaite peut en réalité porter préjudice - ou être perçu comme portant préjudice – aux intérêts particuliers d’un groupe donné.

« Il ne faut pas idéaliser la capacité des acteurs locaux », a averti M. Loquercio. « Leurs situations sont très différentes. »

Les politiques nationales des pays bénéficiaires peuvent également représenter un obstacle majeur. Certaines agences d’aide humanitaire locales peuvent être considérées comme des partenaires idéaux par les acteurs internationaux, mais ne pas être reconnues – ou être bridées, voire interdites – par les gouvernements nationaux.

Des questions telles que l’égalité des sexes, la prévention du VIH et l’assistance aux consommateurs de drogues injectables se sont toutes avérées délicates dans certains contextes. Et en dépit des appels toujours plus pressants pour plus de transparence, d’ouverture et de coopération, la plupart des agences d’aide internationales sont réticentes à critiquer ouvertement les politiques des gouvernements nationaux.

« La politique est un tout autre sujet », a dit M. Hamza. « Je ne suis certain que la communauté internationale doive s’impliquer là dedans. »

Gestion à distance

Il existe également des régions du monde - la Syrie en est l’exemple le plus révélateur - où les agences d’aide humanitaire internationales se retrouvent dans l’incapacité de travailler du fait de la situation sécuritaire. L’intégralité de la réponse humanitaire, de même que les risques inhérents, sont assumés par des acteurs locaux. Les agences internationales fournissent les fonds et le matériel, mais dirigent les opérations à une distance prudente, depuis un autre pays ou à l’abri de fils barbelés.

M. Hamza qualifie les opérations de ce type de « réalité à laquelle personne ne peut échapper », et non plus de solution de dernier recours.

Néanmoins, la gestion à distance n’est pas ce que les réformateurs de l’aide ont à l’esprit lorsqu’ils préconisent une révision de l’équilibre des pouvoirs au profit des acteurs locaux : les financements et les prises de décision ont tendance à rester aux mains des agences internationales.

Au lieu de cela, le rapport 2015 sur les catastrophes dans le monde appelle de ses vœux une collaboration plus équitable, reconnaissant et consolidant les capacités locales avant la survenue de catastrophes, en cohérence avec l’engagement des organisations humanitaires en faveur des principes en matière de partenariat datant de 2007.

 Pourtant, selon le rapport, un changement de mentalité est encore nécessaire de la part des agences d’aide humanitaire internationales qui « semblent partir du principe que les gouvernements ne souhaitent pas ou ne peuvent pas répondre aux besoins de leurs populations, et que les acteurs locaux – qu’ils soient locaux ou nationaux – n’ont pas la capacité de réponse appropriée. »

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