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L’Église contre l’État : une dynamique inquiétante au Burundi

A priest delivers a sermon during a mass to commemorate people killed during protests at a Catholic church in the opposition neighbourhood of Musaga in Bujumbura, Burundi, on June 26, 2015. Over 100 people have been killed since the protests began and the Phil Moore/IRIN
Prières pour les défunts : un prêtre prononce un sermon pour les personnes tuées lors des manifestations politiques du mois de juin.
Les divisions croissantes entre l’Église catholique et la classe dirigeante burundaise sont une conséquence particulièrement inquiétante de l’annonce du président Pierre Nkurunziza de son souhait de briguer un troisième mandat, qui a déjà entraîné des manifestations qui se sont soldées par des dizaines de morts et a poussé 175 000 personnes, principalement des femmes et des enfants, à fuir le pays depuis avril.

Dix ans après la fin de la guerre civile, qui a duré 13 ans, le pays montre à nouveau les signes d’une violente instabilité. Adolphe Nshimirimana, général de l’armée et chef des services de renseignement, considéré comme le numéro deux du pays, a été assassiné pendant le weekend et Pierre Claver Mbonimpa, un militant pour les droits humains de renom, a été gravement blessé par balle.

L’Église catholique a joué un rôle majeur pendant des années dans les négociations entre l’opposition et le gouvernement. Ce dialogue devait renforcer la paix, après une guerre civile qui a fait environ 300 000 morts.

Le 21 juillet, M. Nkurunziza a remporté comme prévu une victoire éclatante lors de l’élection présidentielle. L’Église catholique avait été parmi les premiers à s’élever contre sa candidature, largement taxée de violer la Constitution et l’Accord de paix et de réconciliation d’Arusha signé en 2000. Jugeant que le processus électoral dans son ensemble était entaché d’irrégularités, l’Église a renoncé à déployer ses 6 000 observateurs prévus pour surveiller le scrutin.

Les sympathisants du président ont réagi en intimidant et en menaçant un certain nombre d’évêques et archevêques. Des agents des services de renseignement sont en outre apparus dans les églises pour contrôler les sermons.

Le rapport de la Communauté d’Afrique de l’Est (CAE) sur les élections a conclu que « les efforts successifs déployés pour parvenir par le dialogue à un consensus entre les parties prenantes burundaises se sont soldés par un échec ». La CAE a appelé toutes les parties prenantes à tenter à nouveau de nouer un dialogue franc et ouvert afin de trouver une solution à cette impasse politique.  

Le père Emmanuel, un prêtre qui, inquiet pour sa sécurité, a choisi d’adopter un pseudonyme, craint que cela soit difficile. « Ils n’écoutent plus les prêtres ni les évêques. Si l’Église et l’État ne sont pas en bons termes, les conséquences seront graves. »

Outre son rôle fondamental dans le dialogue politique, l’Église gère de nombreux établissements de santé et d’enseignement dont les employés sont payés par l’État. Aux yeux du père Emmanuel, ce soutien public semble maintenant compromis.

L’accord d’Arusha est au coeur de la condamnation par l’Église de la volonté de M. Nkurunziza de briguer un troisième mandat. Mike Jobbins, responsable de Search for Common Ground, une organisation non gouvernementale (ONG) de construction de la paix, a qualifié cet accord de « Grance Charte de l’indépendance ; un engagement au partage du pouvoir, à l’équilibre ethnique et au sacrifice des intérêts individuels en faveur de la paix et de la sécurité du pays. »

L’Église catholique du Burundi, soutenue par le Vatican, avait fortement contribué à amener les belligérants à la table des négociations et à ébaucher un accord. Bien qu’il ne s’agisse pas d’un acte juridiquement contraignant, l’accord limite le pouvoir présidentiel à deux mandats et régit le système politique burundais d’après-guerre.

« L’accord d’Arusha n’est pas parfait, mais c’est ce que nous avons de mieux », a dit Gabriel Baregensabe, prêtre depuis 42 ans et secrétaire général de la conférence des évêques catholiques du Burundi depuis dix ans. Selon lui, la décision de ne pas soutenir le président n’a pas été facile pour l’Église.

« Les évêques se sont réunis et ont pris le temps de s’assurer que leur décision était prise dans l’intérêt de la population et qu’ils disaient la vérité […], car ils savaient que ce qu’ils allaient dire pouvait déclencher une guerre », a-t-il dit à IRIN. Les évêques ont décidé que défendre les accords d’Arusha était, tout bien considéré, ce qu’il y avait de mieux pour la population. 

Si le dialogue n’est pas réamorcé, la décision de l’Église pourrait en effet bien être synonyme de guerre. Les chefs de l’opposition et les généraux dissidents qui avaient soutenu en mai le coup d’État raté se sont réunis le 30 juillet à Addis Abeba pour discuter de la manière dont ils pourraient constituer un front uni contre M. Nkurunziza. « Nous ne pouvons pas exclure l’usage de la force », a dit aux journalistes Anicet Niyonkuru, président du Conseil national de l’opposition et du Conseil des patriotes (CDP).

L’assassinat dimanche à Bujumbura du chef des espions, M. Nshimirimana, a été perpétré avec des armes de petit calibre et des roquettes. Le général aurait orchestré la répression à partir de mai des manifestations de rue contre le troisième mandat visé par M. Nkurunziza.

La chef de la Commission de l’Union africaine, Mme Nkosazana Dlamini-Zuma, a qualifié cet assassinat d’acte « barbare qui risque de déstabiliser encore davantage le pays. » Elle a appelé le gouvernement burundais, les partis d’opposition et la société civile à « travailler en étroite collaboration pour trouver une solution durable à la crise actuelle. »

Le gouvernement ne considère cependant plus l’Église catholique comme un négociateur honnête, comme l’a démontré une récente diatribe de Willy Nyamitwe, porte-parole du président, qui aurait été impensable il y a quelques mois.

« Des gens meurent », a dit M. Nyamitwe. « Des grenades sont lancées à l’aube sur nos citoyens. Avez-vous vu un seul évêque condamner cela ? Non. Car ils sont impliqués […] Nous ne pouvons pas dire qu’ils soient un modèle de moralité. » 

« C’était sa façon de nous faire taire », a dit le père Emmanuel, qui vit dans un quartier d’opposition qui s’est transformé ces trois derniers mois en une véritable poudrière. Selon lui, cette attitude du cabinet du président ne fait qu’augmenter le malaise des citoyens. « Ils se demandent : “si les autorités politiques osent attaquer nos pasteurs comme cela, que va-t-il advenir de nous ?” »  

Après trois mois d’arrestations, de tortures, d’explosions de grenades et de fusillades nocturnes, les gens sont terrorisés, fatigués et inquiets, a dit le père Emmanuel. Certains traversent une crise de confiance dans l’Église, qui était pourtant l’un des seuls lieux où ils trouvaient la paix et du réconfort et où les affiliations politiques pouvaient être mises de côté. 

« Il n’y a plus d’espoir. Le parti au pouvoir a annoncé que cela allait continuer. D’autres ont annoncé qu’ils allaient commencer à se battre. Les gens, de droite comme de gauche, viennent nous voir pour nous demander de l’aide », a-t-il dit.

« Les gens nous demandent ce qu’ils devraient faire. Nous pouvons leur donner la parole de Dieu, mais les gens ne savent pas comment tourner cela en une réalité concrète. C’est comme si nous n’avions plus de leçons à donner. Les gens commencent à condamner Dieu. »

Un analyste politique burundais travaillant pour une mission diplomatique européenne et qui a préféré garder l’anonymat a dit qu’il pensait que M. Nkurunziza avait tout autant besoin de la communauté internationale que de l’Église catholique.

« [M.] Nkurunziza peut changer, » a dit l’analyste. « S’ils [l’Église catholique] se battent contre lui, il n’y aura pas de paix, pas de droits de l’homme, pas de démocratie. Ils feront ce qu’ils peuvent pour garder un espace de négociation ouvert. »

jh/am/ag-ld/amz 

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