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Le Fossoyeur et le Président : les victimes tchadiennes face à l'ancien président

'Djamena, Chad (July 9, 2015) - Clement Abaifouta stands at the tree where he ways he buried his first body, during the four years he was 'wrongfully imprisoned' under former Chadian President Hissene Habre's regime. Abaifouta was nicknamed 'the gravedigg Ricci Shryock/IRIN
Cela fait bientôt 25 ans que Clément Abaifouta, 55 ans, souhaite poser une question à Hissène Habré, l'ancien président tchadien : « Pourquoi m'avez-vous arrêté ? ».

Video: Le Fossoyeur et le Président

M. Abaifouta a été arrêté le 12 juillet 1985, à l'âge de 23 ans. Il venait de gagner une bourse pour étudier en Allemagne et il imagine que son projet de voyage a éveillé l'attention du gouvernement de M. Habré, qui l'a soupçonné de soutenir l'opposition.

Au lieu d'aller étudier à l'université, il a passé deux semaines au quartier général de la police politique, connue sous le nom de Direction de la Documentation et de la Sécurité (DDS), avant d'être transféré dans une prison, sans pouvoir entrer en contact avec sa famille ou un avocat.

Il y a été détenu pendant quatre ans.

D'après des groupes comme Human Rights Watch, des milliers de Tchadiens ont été arbitrairement emprisonnés, torturés et tués sous le régime de M. Habré, qui a dirigé le pays de 1982 à 1990.

La justice enfin rendue ?

Les procédures ont pris plusieurs années de retard, mais les victimes ont enfin la possibilité d'obtenir justice.

Lundi, M. Habré s'est présenté devant un tribunal de Dakar, au Sénégal, pour répondre d'accusations de crimes contre l'humanité, de crimes de torture et de crimes de guerre. Il est jugé par les Chambres africaines extraordinaires, un tribunal spécial constitué par le Sénégal et l'Union africaine au sein des juridictions sénégalaises en février 2013 pour juger « le ou les principaux responsables » des crimes internationaux commis au Tchad entre 1982 et 1990.

Le procès devrait durer au moins trois mois. C'est la première fois que les juridictions d'un État vont juger l'ancien dirigeant d'un autre État.

« Cela montre que les victimes peuvent se mobiliser pour créer les conditions politiques permettant de traduire en justice un dictateur ou un tortionnaire, où qu'il soit », a expliqué Reed Brody, un conseiller de Human Rights Watch qui travaille avec les victimes depuis 1999.

« C'est la première fois dans l'histoire, où que ce soit dans le monde, que des victimes ont été capables de poursuivre un tyran réfugié dans un autre pays et de l'envoyer devant les tribunaux. Cela pourrait inspirer beaucoup de victimes et de survivants d'autres pays ».  

M. Habré a rejeté les accusations portées contre lui et a qualifié le procès de « farce ». Ses avocats indiquent qu'il refuse de participer aux procédures. ??« Il faut d'abord reconnaître que le Tchad a connu un conflit de 1982 à 1990 – un conflit intérieur et un conflit international avec la Libye », a expliqué à IRIN François Serres, avocat de M. Habré. « M. Habré n'exerçait qu'un contrôle très limité sur le pays...Cela ne veut pas dire que nous ne reconnaissons pas qu'il y avait des victimes potentielles au Tchad à ce moment-là. Nous contestons la manière dont l'accusation a été organisée pour présenter ce procès aux yeux du monde ».

Mais pour l'organisation Human Rights Watch, qui a découvert des milliers de documents datant de l'époque où l'ancien président était au pouvoir, M. Habré était au courant de l'usage de la torture et des assassinats politiques commis au Tchad.

« Les documents de la police politique de M. Hissène Habré révèlent qu'il était en permanence tenu informé de la situation », a dit M. Brody. « Ils établissent un lien direct entre M. Habré et la police politique ». 

Un moment longtemps attendu

M. Abaifouta vit toujours à N'Djamena, la capitale tchadienne, avec sa femme, leurs quatre enfants et leur chien baptisé CPI (pour Cour pénale internationale). Il s'est rendu à Dakar pour assister au procès. Comme une centaine d'autres victimes présumées, il aura l'occasion de témoigner contre M. Habré au cours des prochaines semaines.

Pour M. Abaifouta, cela sera l'occasion de confronter l'homme qu'il accuse de l'avoir mis en prison pendant quatre ans et de l'avoir forcé à enterrer les corps de ses codétenus chaque jour – parfois une dizaine à la fois.

« Le jour où ils [la DDS] m'ont interrogé, j'ai demandé à rencontrer Hissène Habré », a expliqué M. Abaifouta. « Ils m'ont dit que cela n'était pas possible. [Être emprisonné sans raison] était déjà une injustice, et tout au long de ma détention, je [me disais] : 'Le jour où je partirai, je réclamerai mes droits. Je demanderai justice' ».

Il lui faudra attendre un peu plus longtemps : mardi, les avocats de M. Habré ne se sont pas présentés au tribunal, la cour lui a donc assigné d'autres avocats et a ajourné le procès jusqu'en septembre.

« Nous ne sommes pas découragés », a dit à IRIN M. Abaifouta, quand il a appris que le procès était reporté de 45 jours. « Nous avons déjà attendu 25 ans. Cela ne nous fait rien ».

rs/jl/am/ag-mg/amz 
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