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L’Ukraine durcit les restrictions imposées aux zones rebelles de l’Est

This building in Lisichansk, Ukraine was damaged by shelling in July 2014. Brendan Hoffman/Mercy Corps
The heavily shelled town of Lisichansk in rebel-held eastern Ukraine
Nous sommes dans l’est de l’Ukraine. Galina Vodzinskaya, 60 ans, vient de parcourir cinq kilomètres à 27 degrés Celsius, mais elle est loin d’être arrivée à destination.

Auparavant, elle prenait le bus pour ce voyage mensuel de chez elle, à Horlivka, zone maintenant contrôlée par les rebelles, jusqu’à Artemivsk, restée aux mains du gouvernement, pour faire des courses. Depuis que les transports publics ont été suspendus, elle doit s’arranger autrement pour transporter son sac de viande et ses autres achats.

Son trajet se divise désormais en près de cinq étapes et elle doit jongler entre les taxis, les voitures privées ou tout autre moyen de transport qu’elle trouve, puis franchir à pied le poste de contrôle gouvernemental où elle fait la queue avec des dizaines, voire des centaines de voitures, au milieu des tas de déchets qui jonchent le bord de la route. Certaines personnes doivent parfois attendre au moins 10 heures au poste de contrôle dans la chaleur estivale, sans accès à un point d’eau ni à des toilettes. 

 « Il y a trois jours […], il y avait une queue folle, vraiment folle », commente-t-elle. « Pourquoi est-ce si difficile ? »

La situation est si déplorable que le Comité international de la Croix-Rouge prévoit de fournir de l’eau et d’autres services aux civils qui font la queue aux postes de contrôle.

Des traces de chars sur la route témoignent du conflit qui a fait 6 500 morts depuis qu’il a éclaté en avril 2014, lorsque des rebelles prorusses ont envahi une partie de l’est de l’Ukraine après l’annexion par Moscou de la péninsule de Crimée, dans le sud du pays. 

Mi-juin, les services de sécurité ukrainiens ont interdit les transports publics vers et depuis les zones rebelles. Il est depuis bien plus difficile pour la population de traverser la ligne de front pour faire des achats ou contracter des services qui sont beaucoup plus cher ou parfois même inexistants dans les zones rebelles (voir l’article d’IRIN sur les conditions de vie en territoire rebelle). 

Le gouvernement a ajouté un nouveau volet au blocus contre les zones rebelles dénoncé par les critiques en interdisant le passage du fret commercial vers les zones rebelles à l’ensemble des six postes de contrôle routiers officiels, ce qui a ralenti l’approvisionnement en produits essentiels, denrées alimentaires comprises, ces trois dernières semaines. 

Le gouvernement a dit qu’il cherchait ainsi à éviter que les « terroristes et leurs complices » quittent la zone de conflit et à protéger les civils. En janvier, 13 passagers d’un bus ont été tués lors de l’attaque d’un poste de contrôle gouvernemental.

Ces deux interdictions font suite à une première, ordonnée en janvier, obligeant les personnes souhaitant entrer ou sortir des territoires rebelles à demander un permis spécial. Selon l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), ce système limite l’accès de la population à l’aide humanitaire et l’empêche de quitter la zone de conflit. 

Engorgement des postes de contrôle 

Le mois dernier, un point de passage particulièrement emprunté près de la ville de Maryinka a été fermé après l’un des affrontements les plus violents depuis l’accord de cessez-le-feu passé en février (qui n’a cependant pas mis fin aux violences). 

Cette fermeture a aggravé l’engorgement aux autres postes de contrôle. Des centaines de voitures font quotidiennement la queue dès quatre heures du matin. D’un côté du poste de contrôle gouvernemental d’Horlivka, le conducteur d’un fourgon et un garde ukrainien se crient dessus pour des questions de papiers. La tension monte.

En l’absence de bus, de nombreuses personnes doivent prendre le taxi, ce qui est non seulement onéreux, mais engorge encore davantage les postes de contrôle. Comme de nombreux chauffeurs n’ont pas le permis spécial demandé, leurs clients doivent descendre du véhicule, traverser le poste de contrôle à pied et prendre un autre taxi de l’autre côté. 

« À cause de ces restrictions, les civils doivent souvent parcourir de longues distances en portant de nombreux bagages pour traverser la ligne d’affrontement », a dit à IRIN Alexander Hug, chef adjoint de la mission spéciale d’observation de l’OSCE. 

Auto-stop
 
Aram Gugasyan se tient au bord de la route avec ses courses, près du poste de contrôle, le pouce levé dans l’attente que quelqu’un veuille bien l’emmener. 

D’habitude, il prend sa voiture pour aller de Kramatorsk, la ville encore aux mains du gouvernement dans laquelle il travaille, à Donetsk, ville rebelle où vivent sa femme et ses jeunes enfants. Mais faire la queue au poste de contrôle avec sa voiture prenait trop de temps. Maintenant, il prend le taxi ou fait de l’auto-stop. 

« [Le trajet] est de pire en pire […] c’est beaucoup plus cher maintenant. » La voiture qui voudra bien le prendre sera le troisième véhicule qu’il empruntera pour ce trajet qui prenait auparavant une heure et demie et dure maintenant environ quatre heures, voire plus lorsque la chance n’est pas avec lui.

 Les observateurs ont compté jusqu’à 800 voitures faisant la queue aux postes de contrôle. À l’un de ces postes, ils ont remarqué que 20 pour cent des civils tentaient de traverser sans permis valide et se faisaient refouler.

Les nouveaux règlements admettent cependant quelques exceptions : des transports en commun peuvent être utilisés pour faire traverser la ligne de front à des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays ; les organisations humanitaires peuvent acheminer des provisions ; et des marchandises commerciales sont parfois admises au cas par cas, grâce à la confusion ambiante et à la corruption présumée des agents.

« [Les autorités] décident de la destination et de l’objet des marchandises acheminées. Si les papiers ne sont effectivement pas faux et [qu’ils sont] légaux, les marchandises peuvent passer. Sinon, elles sont interceptées et saisies », a dit à IRIN Andriy Lysenko, porte-parole de l’armée ukrainienne.  

Aide humanitaire perturbée

Ces interdictions entravent l’acheminement de l’aide humanitaire. Un seul poste de contrôle peut maintenant laisser passer les camions humanitaires. Or la queue y est particulièrement longue et il est parfois fermé.

Le Programme alimentaire mondial (PAM), qui n’a pas pu faire venir de nourriture pendant deux semaines début juin en raison de la recrudescence des affrontements et de la fermeture consécutive du poste de contrôle de Maryinka, doit maintenant faire face à des délais supplémentaires. 

 « Nous en subissons déjà les conséquences, car nous ne pouvons pas faire venir autant de nourriture que nous aimerions et cela va [s’aggraver] si la situation perdure », a dit Giancarlo Stopponi, responsable du PAM en Ukraine. 

Or les besoins auxquels doit répondre le PAM augmentent, car de plus en plus de personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays rentrent chez elles en territoire rebelle, où elles ne peuvent souvent plus faire face à la hausse des prix des denrées alimentaires. Ce mois-ci, l’organisation prévoit de mener une évaluation de la sécurité alimentaire et des denrées disponibles sur les marchés. 

Épuisement des réserves de nourriture

L’interdiction du fret commercial risque d’obliger les organisations d’aide humanitaire à distribuer encore plus de nourriture alors que les réserves s’amenuisent.

« Il y a deux fois moins de viande qu’avant et trois fois moins de produits [laitiers] », a dit à IRIN Babenko Yevgeniya, gérante pour la chaîne de supermarchés Amstor, qui compte 14 magasins dans la région de Donetsk, sous contrôle des rebelles.

Les fournisseurs des régions contrôlées par le gouvernement n’ont rien apporté depuis un mois et la chaîne dépend donc des fournisseurs locaux et des marchandises acheminées de Russie. D’après Mme Yevgeniya, la seule manière pour les transporteurs de passer en zone rebelle est de verser des pots-de-vin aux agents ukrainiens.

Elle occupe maintenant ses rayons de tous les produits qu’elle parvient à se procurer : des boîtes de thé remplissent un côté d’une allée, des bouteilles d’eau prennent la place du fromage et la viande a été remplacée par des sacs de chips et des jouets de plage. 

Mme Yevgeniya a dit qu’elle avait également du mal à importer des produits non alimentaires tels que les fournitures scolaires. 

Si les papiers ne sont effectivement pas faux et [qu’ils sont] légaux, les marchandises peuvent passer. Sinon, elles sont interceptées et saisies 
Les prix ont déjà doublé dans les zones rebelles, mais les nouvelles interdictions vont limiter encore davantage l’approvisionnement et faire grimper les prix encore plus.

La région contrôlée par les rebelles est déjà isolée par le retrait des services publics. Les hôpitaux et les écoles, par exemple, ne reçoivent plus de financements et les citoyens doivent se rendre dans les villes contrôlées par le gouvernement pour obtenir leurs retraites ou leurs allocations sociales.

Couloir humanitaire 

Tout espoir n’est cependant pas perdu. Le mois dernier, le premier ministre ukrainien Arseniy Yatsenyuk a rencontré les organisations humanitaires pour discuter de la situation dans l’Est et a promis l’ouverture d’un couloir humanitaire et la simplification des procédures pour le passage de l’aide humanitaire à travers la ligne de front.

Mais les restrictions imposées aux civils et aux marchandises commerciales irritent de plus en plus la population locale, déjà aux prises avec des bombardements aveugles qui, d’après les Nations Unies, ont touché des zones résidentielles des deux côtés de la ligne de front. 

Au poste de contrôle gouvernemental, Mme Vodzinskaya déplore devoir faire ces longs trajets pour obtenir sa retraite alors qu’elle a travaillé pendant plusieurs dizaines d’années pour une entreprise de télécommunication.

Les lèvres tremblantes et des trémolos dans la voix, elle affirme ne pas vouloir quitter sa maison. Pour l’instant, son principal souci est d’y parvenir, car elle ne sait pas si elle va pouvoir prendre un bus ou un taxi une fois qu’elle aura passé le poste de contrôle.

« L’Ukraine est contre nous, » dit-elle. « J’ai travaillé pendant 40 ans pour l’Ukraine et maintenant ils n’ont plus besoin de moi. »

kj/ha-ld/amz 

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