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En Irak, les divisions s’accentuent

Basim Mansour Yohanna, 55, Assyrian Christian from Qaraqosh, displaced by IS to Erbil in Summer 2014. Picture taken June 2015 Florian Neuhof / IRIN
Basim Mansour Yohanna est un chrétien assyrien de 55 ans, qui a fui pour échapper à l’État islamique à l’été 2014. Il se sent trahi par ses voisins arabes qui sont restés sur place et ont pillé sa propriété.
Un mois après avoir fui Qaraqosh – la plus grande ville chrétienne de la province de Ninive, au nord de l’Irak - pour échapper à la progression des combattants de l’État islamique (EI), Basim Mansour Yohanna a reçu un appel.

Au bout du fil, un ancien collègue sunnite de ce chrétien assyrien de 55 ans lui annonçait qu’il se trouvait dans l’appartement familial, et s’apprêtait à le mettre à sac.

« Je ne rentrerai pas tant qu’il y aura des sunnites là-bas », a-t-il dit avec colère. « Quand je les vois, c’est comme s’ils me poignardaient dans le ventre. Ils nous ont tous trahis, on ne peut plus leur faire confiance. »

Huda Salih Marky est membre de la communauté yézidie de Kocha, une autre ville de la province de Ninive. Elle a rapporté à IRIN que l’EI l’avait kidnappée, puis forcée à travailler plusieurs mois comme domestique au service d’un combattant à Mossoul avant de la vendre.

« Les Yézidis ne seront plus en sécurité ici à l’avenir, ils ne peuvent pas rester en Irak, la meilleure chose à faire est d’émigrer dans un pays où il n’y a pas de musulmans », a-t-elle dit.

Ces points de vue sont peut-être extrêmes, mais ils ne sont pas rares.

Les minorités d’Irak qui ont fui les villes et villages des alentours de Mossoul, au nord du pays, avec l’arrivée de l’EI l’été dernier pensent pour beaucoup que les sunnites – et parmi eux d’anciens voisins et collègues de travail – sont favorables au groupe extrémiste, voire qu’ils l’appuient directement dans certains cas.

« La probabilité qu’un nouveau conflit éclate est alarmante. »
Avec l’actuel repli de l’EI dans certaines régions d’Irak, les ONG avertissent du risque qu’éclatent de nouvelles violences entre les personnes déplacées dans leur propre pays (PDIP) commençant à rentrer chez elles.

« La probabilité qu’un nouveau conflit éclate est alarmante », souligne l’ONG néerlandaise PAX dans un rapport publié le mois dernier, qui exhorte les autorités irakiennes et la communauté internationale à compléter les opérations militaires par des initiatives de consolidation de la paix et de résolution des conflits. 

Des tensions anciennes

Mais, comme le souligne le rapport PAX, si l’EI est effectivement responsable du déplacement de plus de trois millions d’Irakiens depuis janvier de l’année dernière, les tensions à Ninive – située à la frontière contestée entre la région semi-autonome du Kurdistan et le reste de l’Irak – sont bien antérieures à l’arrivée de l’organisation.

Avant cela, la région avait été la cible des politiques d’arabisation de Saddam Hussein (appliquées aussi dans le directorat contesté de Kirkouk), ayant imposé la relocalisation de tribus arabes dans une volonté de modifier la composition démographique de certaines régions.

La mixité ethnique de Ninive se trouvait également dans la ligne de mire du gouvernement chiite (post-2013) de Bagdad et dans celle du gouvernement régional du Kurdistan (GRK), qui tente d’étendre son influence et de rallier des soutiens pour prendre son indépendance du reste de l’Irak.

« Il s’agit de problèmes très anciens, qui remontent à la formation même de l’État irakien », a expliqué Hewa Haji Khedir, maître de conférences à l’université Salahaddin d’Erbil et auteur principal du rapport PAX.

« Le GRK et le gouvernement irakien s’efforcent de faire avancer les choses conformément à leurs agendas respectifs dans ces régions, et ces communautés ont été utilisées comme des outils [dans cet objectif] », a-t-il dit.

Citant un exemple tiré d’un groupe de réflexion organisé dans le cadre du rapport PAX, M. Khedir a expliqué que des gens s’étaient plaints que les Shabaks étaient avantagés par le gouvernement chiite de l’ancien Premier ministre, Nouri-al-Maliki, par le biais de meilleurs postes de travail.

La construction de nombreuses mosquées chiites dans la région a contrarié la communauté chrétienne locale, a-t-il dit.

De plus, a-t-il ajouté, bon nombre des minorités de Ninive ont le sentiment que le gouvernement de Bagdad – et ses forces armées – les ont abandonnés aux mains de l’EI.

Cette situation en a conduit certains à vouloir quitter le pays, tandis que d’autres appellent de leurs vœux une protection internationale afin de pouvoir retourner chez eux. Les Yézidis se sentent particulièrement vulnérables : beaucoup se sentent délaissés par les Peshmergas kurdes qui se sont retirés de la ville de Sinjar, permettant à l’EI d’en prendre le contrôle et d’assassiner de nombreux membres de la communauté.

Certains groupes de Ninive forment aujourd’hui leurs propres unités militaires. Ces milices Hashd al-Shaabi (Front du peuple) sont bien accueillies localement, mais faute d’une gestion adéquate, il est à craindre qu’elles donnent lieu à davantage de violence et attisent les tensions communautaires.

« Officiellement, ces unités dépendent du ministère des Peshmergas », a dit M. Khedir. « Mais une fois que vous introduisez des armes dans une communauté, celle-ci est évidemment en mesure d’agir unilatéralement dans ces régions. »

Efforts de consolidation de la paix

Sensibles à ces tensions grandissantes – et à la situation des populations souhaitant retourner à Ninive avant la libération annoncée de Mossoul – plus d’une vingtaine d’ONG locales et internationales se sont réunies à Erbil le mois dernier pour discuter de plusieurs stratégies et approches de consolidation de la paix.

Marco Labruna, qui travaille comme de chef de mission auprès de l’ONG italienne Un Ponte Per (UPP) à l’origine de cette réunion de deux jours, a dit que les tensions intercommunautaires s’accentuaient et que les relations et interactions tournaient de plus en plus autour de la « différence » et du « conflit ».

« Il ne s’agit pas d’un conflit opposant deux communautés, c’est tout le monde contre tout le monde. »
Il s’est toutefois dit encouragé par le fait que les jeunes PDIP de Ninive comptaient parmi les voix les plus audibles appelant à un dialogue plus ouvert, à une interaction entre communautés et à des initiatives de consolidation de la paix.

« C’est un processus de longue haleine, bien sûr », a-t-il dit. « Personne ne prétend que la solution à ces problèmes est pour demain, mais un message fort a été délivré qui traduit la volonté d’un pan de la société, en particulier de la jeunesse - en dépit des nombreuses souffrances liées au déplacement - de continuer à résister et de dire " voyons ce que nous pouvons faire pour arranger la situation" »

La prochaine étape, a-t-il dit, consiste à coordonner l’action des différentes ONG pour « créer un processus de paix rationnel et cohérent dans le pays ».

M. Labruna a également souligné que les Irakiens devaient s’approprier ce processus. « Ce n’est pas aux organisations internationales de dicter quels sont les besoins. »

Le rapport PAX émet un certain nombre de recommandations, notamment : la résolution des différends relatifs aux frontières intérieures ; une gouvernance et une approche sécuritaire englobant l’ensemble des Irakiens ; la démilitarisation des groupes armés communautaires et non étatiques ; et la formation d’un système judiciaire de transition efficace.

Les défis sont toutefois immenses.

« Il ne s’agit pas d’un conflit opposant deux communautés, c’est tout le monde contre tout le monde », a dit M. Khedir. « C’est un conflit aux dimensions multiples, d’une très grande complexité. Les acteurs et les motifs sont nombreux… politique, pouvoir, religion, idéologie, opportunités économiques… »

fn/lr/am-xq/amz 
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