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Pardonner et oublier ? Le dilemme de l’amnistie hante l’Ouganda

Lord's Resistance Army commander  Caesar Acellam Otto addresses journalists shortly after his capture by Ugandan soldiers in the Central African Republic Telesphor Turyamumanya/IRIN
Faudrait-il que les rebelles qui se livrent aux autorités ne soient pas jugés pour les crimes abominables qu’ils pourraient avoir commis si cela peut favoriser la paix ou doivent-ils être poursuivis quel qu’en soit le prix, au risque de mettre en péril le processus de réconciliation ? La réforme de la loi d’amnistie ougandaise a ravivé de vieilles blessures et fait ressortir cet éternel dilemme.

Les pires exactions commises par Joseph Kony et son Armée de résistance du Seigneur (LRA) entre 1987 et 2006 sont peut-être un lointain souvenir pour certains, mais la plaie reste à vif dans le nord de l’Ouganda, où les massacres et les mutilations étaient devenus monnaie courante et où des dizaines de milliers d’enfants ont été enrôlés comme soldats et esclaves sexuels.

Malgré ces atrocités, plus de 27 000 Ougandais qui avaient pris les armes contre l’État ont été amnistiés ces 15 dernières années. La semaine passée, le gouvernement a prolongé de deux ans la période d’application de la loi en vue d’inciter les centaines de rebelles qui ne l’ont pas encore fait à se rendre et de cimenter la paix.

Cette dernière extension de la loi d’amnistie ougandaise est particulièrement controversée, car elle étend l’immunité et le programme de réinsertion actuels et inclut une nouvelle disposition exemptant ceux qui rejoignent de leur plein gré un groupe armé après l’avoir abandonné.

Ce changement va-t-il trop loin ?

La réforme de la loi d’amnistie est importante pour « la démobilisation des combattants et la paix et la stabilité dans la région » et aidera a « affaiblir la LRA et d’autres mouvements rebelles », a dit à IRIN Phil Clark, expert en droit international spécialisé dans la région des Grands Lacs à la SOAS de l’université de Londres.

« Les modifications apportées à la loi d’amnistie pourraient cependant dissuader les chefs rebelles de rang intermédiaire ou élevé de revenir. Ils pourraient craindre de tomber sous le coup de la nouvelle exemption de l’amnistie et penser qu’il est préférable de continuer à se battre plutôt que de se rendre et risquer des poursuites en Ouganda », a-t-il dit. « Cela influence négativement les chefs rebelles qui se cachent dans la brousse et risque d’alimenter le conflit. »

La loi d’amnistie de 2000 offrait une immunité générale à tous les combattants rebelles de la LRA qui abandonnaient le mouvement et renonçaient à participer à la guerre. M. Kony et quatre autres commandants, dont deux sont morts depuis, ont en revanche été inculpés en 2005 par la Cour pénale internationale (CPI) pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité.

Pour en savoir plus : De la jungle aux tribunaux : la LRA comparaît à La Haye

La loi d’amnistie originale ne prévoyait aucune exemption spécifique pour les chefs de la LRA, mais elle a été amendée en 2006, l’année suivant les inculpations par la CPI, pour permettre au ministre de l’Intérieur d’obtenir l’accord des députés pour exclure certains individus de l’amnistie.

Les dernières attaques de la LRA ont eu lieu en 2006, mais M. Kony et d’autres personnalités du mouvement restent en liberté. L’un d’entre eux, Dominic Ongwen, a été appréhendé cette année et attend de comparaître à La Haye. Même si le mouvement ne compte actuellement pas plus de 300 combattants, il a continué à mener des attaques ces dernières années en République démocratique du Congo (RDC), au Soudan du Sud et en République centrafricaine.

La loi d’amnistie s’applique aussi aux Ougandais membres d’autres mouvements rebelles, dont le plus influent est l’Alliance des forces démocratiques (ADF). Cette dernière a été en grande partie chassée d’Ouganda il y a dix ans, mais compte encore des campements dans l’est de la RDC, ou elle est accusée d’avoir massacré des centaines de personnes cette année et l’année dernière près de Beni.

L’ADF, qui serait liée au mouvement islamiste somalien al-Shabab, a subi un revers majeur fin avril, quand son chef, Jamil Mukulu, a été arrêté en Tanzanie.

Selon les chiffres officiels, au moins 13 000 membres de la LRA et 2 200 anciens combattants de l’ADF ont été amnistiés.

Contradictions et justice à deux vitesses ?

La décision apparemment incohérente de poursuivre le commandant d’échelon intermédiaire de la LRA Thomas Kwoyelo tout en accordant des amnisties à des personnalités de haut rang comme Caesar Acellam a alimenté les vieilles accusations d’une application inégale de la loi.

Nicholas Opiyo, avocat spécialisé dans les droits de l’homme officiant à Kampala, considère comme « hautement contradictoire » le fait de prolonger une loi imposant une amnistie générale tout en semblant l’appliquer de manière sélective.

« C’est un paradoxe qui va à l’encontre de l’objectif visé », a-t-il dit à IRIN. « Il n’y a aucun besoin d’avoir une loi qui continue d’être bafouée et appliquée au cas par cas. S’ils prolongent la loi, il faudrait l’appliquer à tous. Pourquoi [M.] Kwoyelo devrait-il être jugé, tandis que ceux de l’acabit de [M.] Acellam obtiennent l’amnistie ? C’est une justice à deux vitesses. »

Pour en savoir plus : Amnesty or prosecution for war criminals 

Cette année, la Cour Suprême a décrété que M. Kwoyelo devait être jugé par la division du crime international, une section spéciale de la Cour Suprême mise sur pied en 2008 pour juger les criminels de guerre présumés, dont les commandants de la LRA et d’autres mouvements rebelles. L’affaire Kwoyelo serait la première à être jugée dans ce cadre.

Cet arrêt a cassé la décision de la Cour constitutionnelle de libérer M. Kwoyelo et de lui accorder l’amnistie. On craint que la perspective de son procès, pour lequel aucune date n’a été fixée, dissuade d’autres rebelles de se rendre.

Outre M. Acellam, qui a finalement été amnistié cette année, plusieurs autres hauts commandants de la LRA, comme Kenneth Banya et Sam Kolo Otto, ont eux aussi bénéficié de la loi.

Même les experts ne se mettent pas d’accord

Le responsable de la Commission de l’amnistie, l’organe d’application de la loi, s’est lui-même dit mécontent du manque de flexibilité qui, selon lui, empêche de refuser l’amnistie à quiconque et notamment à ceux qui ont commis les pires atrocités.

« Nous sommes profondément préoccupés par cette amnistie générale. En tant que commission, nous devons avoir plus de liberté pour décider à qui accorder l’amnistie ou non », a dit à IRIN le juge Peter Onega. « En l’état actuel des choses, nous n’avons pas d’autre choix que d’accorder l’amnistie à tous ceux qui la demandent. Ce n’est pas bon pour la poursuite de la justice. Nous devons juger les principaux responsables. »

Ses propos semblent écarter toute possibilité de faire appel devant la Cour Suprême, comme cela a été le cas pour M. Kwoyelo.

Sarah Kasande, juriste du Centre international pour la justice transitionnelle, a avancé un point de vue totalement différent. Selon elle, la décision de la Cour Suprême de faire juger M. Kwoyelo dissipe, au moins en matière de jurisprudence, les craintes d’une application sélective de la justice et d’une impunité pour des crimes monstrueux.

Elle a d’ailleurs souligné un extrait de la loi qui stipule que « personne ne doit être autorisé à tuer et mutiler des hommes, femmes et enfants innocents chez eux puis dire au pays qu’il va continuer à tuer tant que ses objectifs politiques ne sont pas atteints. »

La plus haute instance judiciaire d’Ouganda « a établi quels crimes sont amnistiables : les crimes politiques commis pour la cause ou aux fins d’une guerre », a dit Mme Kasande à IRIN. « Ceux qui ont commis des crimes graves contre des civils innocents ne sont pas amnistiables. »

De nombreux Ougandais, d’un côté du débat comme de l’autre, ne semblent pas convaincus.

Pour certains, l’instauration d’une paix durable ne dépend pas seulement de la question de l’amnistie.

« Pour traiter les questions de l’impunité et des atrocités commises, le gouvernement doit s’engager à mener un processus de révélation de la vérité, de reconnaissance des crimes commis et des personnes impliquées, avec la participation des victimes et des survivants entre autres parties prenantes, dans le but de promouvoir le dialogue national sur la responsabilité et la réconciliation », a dit à IRIN Jackson Odongo, du Centre national de documentation sur la mémoire et la paix nationales de Kitgum, situé dans le nord du pays.

so/am/ag-ld/amz 
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