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Quel avenir pour les plans de l’UE en matière de migration ?

Migrants disembark at the Sicilian port of Catania after being rescued from a shipwreck by a merchant vessel on 5 May, 2015 Åsa Sjöström/IRIN
La Commission européenne a précisé ses plans pour maîtriser les niveaux record de migration irrégulière atteignant les côtes de l’Union européenne (UE), mais certaines questions restent en suspens : comment, quand et dans quelle mesure les propositions vont-elles être appliquées ?

Voici un aperçu des principaux enjeux et des obstacles potentiels :

Programme de réinstallation

L’agenda européen en matière de migration, rendu public il y a deux semaines, prévoit un programme de réinstallation à l’échelle de l’UE concernant 20 000 réfugiés sur deux ans, en plus des 5 000 à 6 000 réfugiés que les États membres accueillent annuellement à l’heure actuelle.
  
On ignorait jusqu’alors si le programme allait être volontaire ou obligatoire, mais les précisions publiées mercredi dernier ont clarifié le fait que la participation des États membres serait « volontaire ». 

Compte tenu de l’opposition à toute forme d’immigration affichée par nombre de pays de l’UE, il est hautement improbable qu’ils choisissent d’appliquer le programme.

« J’ai peine à croire qu’il soit possible de convaincre des pays ne participant actuellement à aucun programme de réinstallation, ou bien seulement une part symbolique », a dit Kris Pollett, responsable des affaires juridiques et politiques auprès du Conseil européen pour les réfugiés et exilés (ECRE), dont le siège se trouve à Bruxelles.

M. Pollett doute que les incitations financières promises aux pays s’engageant à offrir davantage de places d’accueil ne suffisent.

Relocalisation des demandeurs d’asile arrivés par la Grèce et l’Italie

La proposition a pour objectif de soulager la pression à laquelle sont soumis les États situés en première ligne – l’Italie et la Grèce – en relocalisant 40 000 demandeurs d’asile vers d’autres États membres sur deux ans. Elle repose sur le déclenchement d’un mécanisme d’urgence inédit, visant à maîtriser l’afflux soudain aux frontières extérieures de l’UE.

« Moins ambitieux, le programme n’aiderait pas l’Italie et la Grèce ; plus ambitieux, il ne serait pas accepté par les autres. »
« Le mécanisme de relocalisation proposé vise une répartition équitable de la charge migratoire », a dit le commissaire européen aux Affaires intérieures et aux Migrations, Dimitris Avramopoulos, mercredi dernier. « Moins ambitieux, le programme n’aiderait pas l’Italie et la Grèce ; plus ambitieux, il ne serait pas accepté par les autres États. »

Le Royaume-Uni et le Danemark qui, avec l’Irlande, ont le choix de s’associer ou non aux traités de l’UE, ont déjà fait savoir qu’ils ne participeraient pas au programme de relocalisation. Pour les autres États membres, la participation sera obligatoire si – et cela reste très hypothétique à ce stade – le Conseil européen en décide ainsi (pour cela, il faudrait que 55 pour cent des États membres représentant au moins 65 pour cent de la population de l’UE votent en ce sens).

La Commission a tenté de rendre la proposition aussi acceptable que possible en dédommageant les États membres à hauteur de 6 000 euros par personne relocalisée. De plus, seuls seront relocalisés les ressortissants des pays pour lesquels au moins 75 pour cent des demandeurs d’asile bénéficient du statut de réfugié. Seules la Syrie et l’Érythrée répondent actuellement à ce critère.

Bien que tout le monde s’accorde à dire qu’une protection internationale doit être accordée aux Syriens, M. Pollett a souligné que le statut de réfugié n’est pas systématiquement accordé aux Érythréens. La France, par exemple, n’accepte qu’environ un quart des demandes d’asile qu’elle reçoit.

Plusieurs pays ont contesté les critères employés par la Commission pour déterminer le nombre de demandeurs d’asile que chaque État membre devra accueillir, notamment la taille de la population, le PIB, le taux de chômage et le nombre de demandes reçues.

« Des pays comme l’Espagne pensent que le taux de chômage devrait peser davantage dans les calculs ; d’autres estiment qu’il faudrait tenir compte des autres efforts déployés en matière de contrôle des frontières. Il semblerait que les principes de base vont déjà faire l’objet d’un débat », a dit M. Pollett.

Pour les groupes de défense des droits de l’homme comme l’ECRE, l’absence de prise en compte des circonstances individuelles des demandeurs d’asile est source d’inquiétude. Selon la proposition, ces derniers n’auront pas leur mot à dire quant au choix du pays qui les recevra, et vers lequel ils seront renvoyés s’ils tentent d’en sortir.

« Je crois que c’est ignorer la réalité de certaines de ces personnes aujourd’hui – prenez le cas d’un ingénieur ou d’un médecin syrien devant rester en Lettonie ou en Lituanie, où il n’y a pour ainsi dire pas d’autres réfugiés, pas de véritable système d’asile et aucun programme d’intégration prévu pour eux », a dit M. Pollett à IRIN.

Le programme de relocalisation ajoutera une étape supplémentaire au processus de filtrage des migrants. Après un premier filtrage en Italie ou en Grèce, les demandeurs devront ensuite se soumettre à une procédure de détermination de leur statut dans leur pays de relocalisation. M. Pollett a souligné que certains États membres accordent un statut de réfugié à part entière aux Syriens et aux Érythréens, tandis que d’autres ne leur offrent qu’une protection subsidiaire ou humanitaire, limitée dans le temps et leur conférant souvent moins de droits.

Il y a lieu de s’interroger sur l’efficacité de la proposition pour soulager la pression endurée par l’Italie et la Grèce. À elle seule, l’Italie a accueilli 170 000 migrants et demandeurs d’asile en 2014, et ce chiffre devrait augmenter en 2015. Le programme de relocalisation prévoit le transfert vers d’autres États membres de 24 000 Syriens et Érythréens seulement (soit 12 000 par an) ; en retour, l’Italie est tenue de procéder au relevé des empreintes digitales de l’ensemble des personnes atteignant ses côtes.
À l’heure actuelle, bon nombre des nouveaux arrivants sont autorisés à poursuivre vers le nord sans être enregistrés en Italie – une manière de contourner le système de Dublin, selon lequel les demandeurs d’asile doivent s’enregistrer dans le premier État membre qu’ils foulent – vers lequel ils risquent d’être renvoyés.

Action militaire contre les passeurs

Tandis que la Commission presse les États membres de plaider en faveur d’une meilleure répartition de la charge migratoire, les ministres des Affaires étrangères et de la Défense de l’UE veulent lancer une campagne militaire à l’encontre des réseaux de passeurs opérant depuis la Libye.

Les ministres de l’UE ont approuvé le plan, qui prévoit la saisie et la destruction des embarcations utilisées par les passeurs avant que n’y soient embarqués des migrants. Mais le recours à des forces militaires est soumis à une résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies, qui n’a pas encore été votée.

Des documents détaillant le plan de l’UE ont fuité, dans lesquels est souligné « le risque important de dommages collatéraux, notamment de pertes humaines ». Il y est en outre reconnu que le fait de perturber les flux migratoires en Méditerranée centrale risque d’accentuer ces derniers dans d’autres régions, notamment en Méditerranée orientale (la route entre la Turquie et la Grèce). 

Les détracteurs du plan ont pointé du doigt à la fois ses insuffisances pratiques – la difficulté de distinguer les bateaux des passeurs de ceux des pêcheurs – et son impact sur les migrants qui n’ont guère d’autre choix que de faire appel à des passeurs.

Amnesty International a averti que mettre fin aux activités des passeurs « contribuerait effectivement à piéger les migrants et les réfugiés en Libye, et à les exposer à de graves violations des droits de l’homme ». 

Le Secrétaire général des Nations Unies, Ban Ki-moon, s’est lui aussi déclaré inquiet à la perspective d’une opération militaire.

Cependant, pour des pays comme le Royaume-Uni, la France et l’Espagne, le plan militaire est plus attrayant que la proposition de la Commission d’accepter ne serait-ce qu’un petit nombre de réfugiés et de demandeurs d’asile supplémentaires.

« Il est de plus en plus clair que les États membres de l’Union européenne risquent fort de rejeter les programmes de réinstallation et de relocalisation de la Commission, et d’appuyer la proposition visant à détruire les bateaux de passeurs par le biais d’une action militaire », a prédit Jeff Crisp, l’ancien directeur du Service de développement et d'évaluation des politiques du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), qui travaille actuellement comme conseiller auprès de Refugees International.

M. Pollett de l’ECRE est également d’avis que les propositions de la Commission visant à renforcer la solidarité au sein de l’UE par le biais d’un mécanisme de réinstallation et de relocalisation « risquent de ne pas aboutir ».

« Si les États ne souhaitent pas s’engager en ce sens… alors tout cela pourrait bien finir par ne s’avérer que purement symbolique. »

ks/am-xq/amz 

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