Dans une déclaration publiée mardi à la suite d’une visite d’une semaine en Irak, Chaloka Beyani, le rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits de l’homme des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays (PDIP), a dit qu’un certain nombre de lois et de normes internationales avaient été enfreintes. Il a appelé le gouvernement à « intensifier ses efforts, à mieux planifier et à consacrer davantage de ressources et d’attention » à la satisfaction des besoins des déplacés.
« L’accès des PDIP à la sécurité est un droit fondamental et une préoccupation primordiale qui doit être examinée d’urgence afin d’éviter de nouveaux décès et de nouvelles violences », a dit M. Beyani.
« J’ai reçu des rapports troublants faisant état de PDIP s’étant vu refuser le passage vers des lieux sûrs en raison de leur identité ou de leur lieu d’origine. Les risques potentiels auxquels elles sont exposées sont dès lors plus élevés », a-t-il ajouté. « Dans de nombreux endroits, la liberté de circulation des PDPI a été restreinte, ce qui va à l’encontre des normes internationales. »
Un certain nombre d’organisations d’aide humanitaire locales et internationales sont impliquées dans les efforts d’intervention. Selon les Principes directeurs relatifs au déplacement de personnes à l’intérieur de leur propre pays, toutefois, c’est aux autorités nationales qu’incombent en premier lieu le devoir et la responsabilité de fournir une aide humanitaire aux PDIP.
Reconnaissant ces « préoccupations sécuritaires légitimes », M. Beyani a déclaré : « La vaste majorité des PDIP sont des victimes innocentes du conflit et elles doivent être respectées et traitées sur une base humanitaire. »
« Il est essentiel que l’aide humanitaire soit fournie de manière équitable à tous ceux qui en ont besoin, indépendamment de leur identité ou de leur lieu d’origine, conformément aux principes et aux bonnes pratiques humanitaires », a-t-il insisté.
Postes de contrôle
Les commentaires de M. Beyani sont intervenus alors que dizaines de milliers d’Irakiens fuyaient la ville de Ramadi, qui est tombée aux mains de l’État islamique le week-end dernier.
Mardi, le Conseil norvégien pour les réfugiés (NRC) a annoncé qu’il avait distribué des colis d’aide à plus de 1 000 familles – environ 6 000 personnes – retenues aux postes de contrôle situés au sud de Bagdad.
Selon notre reporter, de nombreux déplacés se sont également retrouvés bloqués au pont de Bzebez, qui relie les provinces d’Anbar et de Bagdad, rappelant les scènes du dernier afflux de déplacés originaires de Ramadi, en avril.
Depuis janvier 2014, lorsque l’EI est entré pour la première fois dans la province d’Anbar, on rapporte couramment des cas de déplacés retenus aux postes de contrôle ou se voyant refuser l’entrée dans certaines provinces du pays.
OCHA, l’organe de coordination de l’aide des Nations Unies, dresse souvent une liste des postes de contrôle fermés aux PDIP dans ses mises à jour au sujet des crises. Les plus récentes fermetures rapportées sont celles de postes de contrôle donnant accès au sud du gouvernorat de Sulaymaniyah, ainsi qu’à celui de Kirkuk, une voie de passage importante pour les familles qui fuient les combats dans les provinces de Salah al-Din, de Ninewa et d’Anbar, toutes contrôlées par l’EI.
Certains goulots d’étranglement ont été réduits grâce à l’intervention des Nations Unies au niveau local et gouvernemental, mais il est de plus en plus fréquent que l’on demande aux déplacés qui se présentent aux postes de contrôle de prouver qu’ils sont parrainés par une personne qui se trouve déjà de l’autre côté.
Selon M. Beyani, cette approche est « extrêmement préoccupante », car de nombreuses PDIP ne sont pas en mesure de répondre à ces exigences. Elles sont aussi nombreuses à n’avoir aucun document d’identité en raison des circonstances dans lesquelles elles ont fui.
« Toute restriction de mouvement doit être temporaire et justifiée, précisée dans la loi et non discriminatoire. En situation de risque, tous les obstacles empêchant les PDIP d’accéder à un lieu sûr doivent par ailleurs être immédiatement levés », a-t-il dit.
Sans papiers
Selon Grainne O’Hara, représentante adjointe pour le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) en Irak, les papiers – ou l’absence de papiers – sont souvent un obstacle majeur à l’accès des PDIP à un lieu sûr et à l’obtention d’un soutien humanitaire. Le HCR est l’agence des Nations Unies chargée des questions de « protection » des PDIP.
« Il y a plusieurs niveaux d’enregistrement très complexes en Irak et plusieurs types de papiers d’identité en fonction du gouvernorat d’origine ou de résidence », a-t-elle dit.
Elle a expliqué que ces papiers, qui permettent de bénéficier de certains avantages, notamment les rations alimentaires fournies par le Système de distribution public (Public Distribution System, PDS), doivent être modifiés si leur titulaire s’installe quelque part dans l’intention de s’y établir, mais que cela n’était pas nécessaire s’il se rend dans un autre gouvernorat pour le travail ou les loisirs. Elle a reconnu que les décisions des PDIP en fuite n’étaient pas nécessairement fondées sur une intention de s’établir à long terme.
Il y a aussi une question de capacité. « Certains gouvernorats affirment qu’ils n’ont pas les ressources nécessaires pour accueillir d’autres PDIP. », a dit Mme O’Hara.
Le 5 mai, le Conseil provincial de Babil a annoncé que son gouvernorat n’accueillerait plus de PDIP « en raison du manque de ressources disponibles pour les recevoir ». Plusieurs autres gouvernorats ont également fermé certains points d’entrée au cours des derniers mois.
Si tout le monde s’entend sur les préoccupations en matière de sécurité et sur le fait que le pays est sous pression, les travailleurs humanitaires s’inquiètent cependant de plus en plus de voir que les exigences en matière de parrainage et les autres restrictions à l’entrée sont appliquées en fonction de critères ethniques et sectaires.
Ces restrictions limitent les déplacements des PDIP sunnites dans les provinces à majorité chiite du sud du pays. Il suffit de penser aux familles d’Anbar qui tentent de se rendre à Bagdad, à Kerbala et à Bassora, par exemple. Les autorités kurdes se montrent quant à elles plus strictes avec les PDIP arabes qu’avec les yézidis, les chrétiens et les Irakiens d’ethnie kurde.
« Les citoyens irakiens devaient être capables d’aller là où ils le souhaitent à l’intérieur des frontières de leur pays. Ils devraient pouvoir louer ou acheter une maison, obtenir un emploi, etc. Dans la réalité, toutefois, ces droits peuvent être entravés de plusieurs façons, par l’intimidation ou par d’autres moyens », a expliqué un spécialiste de la protection d’une ONG internationale qui a demandé l’anonymat afin de ne pas heurter les « susceptibilités du gouvernement ».
« Dans une perspective de protection, cela va à l’encontre des principes humanitaires. C’est quelque chose qui ne devrait pas se produire parce que cela revient à refuser l’accès aux services et à l’aide dont les gens ont besoin », a-t-il ajouté.
Fabio Forgione, chef de mission pour Médecins Sans Frontières (MSF) en Irak, a dit à IRIN : « L’impossibilité de se déplacer en raison des tensions sectaires est généralisée, en particulier dans les provinces de Bagdad et de Salah al-Din. Cela affecte la capacité des habitants à accéder aux services et à obtenir du soutien. »
« Cela a un impact sur notre budget. Nous devons en effet utiliser davantage de ressources que nous le ferions normalement pour déplacer nos services et les offrir en double. »
Préoccupée par les violations des droits des PDIP, Masarat Foundation, une organisation de défense des droits des minorités basée à Bagdad, a lancé, le mois dernier, une campagne visant à faire pression sur le Parlement pour qu’il promulgue une nouvelle loi accordant une plus grande protection aux personnes déplacées.
Le président de la fondation, Saad Salloum, a dit à IRIN que les PDIP ont « des droits constitutionnels et internationaux », mais que ceux-ci ne sont pas respectés en Irak et que de nouvelles mesures législatives sont nécessaires.
« Les politiques de discrimination contre les déplacés mettent en péril les vies de ces gens », a-t-il dit. M. Salloum fait surtout référence aux membres des minorités, qui ont de la difficulté à se trouver un emploi.
Depuis le début de l’exode d’Anbar, en janvier 2014, les PDIP sunnites qui ont trouvé refuge à Bagdad, une ville majoritairement chiite, se sentent menacées. Une légère hausse des incidents violents a été rapportée au cours des dernières semaines, c’est-à-dire à la suite d’un nouvel afflux de PDIP originaires de Ramadi.
En avril dernier, Bilal Al-Fahdawi, un jeune sunnite de 27 ans, a fui Ramadi pour se réfugier dans la capitale. Il a quitté Bagdad depuis parce que son oncle y a reçu des menaces de mort.
« Les forces de sécurité nous harcelaient et nous traitaient comme si nous étions des étrangers et des criminels. Il y a une vaste campagne contre nous », a dit ce père d’un enfant.
« De nombreuses personnes préfèrent retourner chez elles dans la province d’Anbar et vivre sous l’EI plutôt que d’être menacées par les milices », a-t-il ajouté, faisant référence aux groupes de musulmans chiites qui se battent aux côtés des forces gouvernementales officielles.
« Mon oncle, qui a lui aussi dû quitter Anbar, s’est installé dans un quartier mixte de Bagdad contrôlé par les milices. Un jour, les miliciens ont écrit “tu seras bientôt mort si tu ne quittes pas la région” sur le mur de sa maison. »
« Ils font l’objet de discrimination en raison de leur confession et personne ne leur vient en aide parce que ce sont des sunnites », a-t-il poursuivi. M. Khaled s’est également plaint du manque de soutien qu’avait obtenu son organisation de la part des organisations humanitaires internationales.
Dans le contexte actuel, M. Beyani a dit qu’il était probable que le nombre de PDIP et les pressions associées exercées sur le gouvernement continuent d’augmenter. Les affrontements se poursuivent en effet dans la province d’Anbar et une offensive militaire pour libérer Mossoul est en préparation.
« La perspective de nouveaux déplacements massifs est très réelle et exige un niveau de préparation qui a manqué jusqu’à présent », a-t-il dit.
Il a par ailleurs ajouté que la pénurie de fonds actuelle, qui menace la poursuite des programmes d’urgence, était « une honte pour le gouvernement irakien et pour la communauté internationale ».
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