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Le projet de loi relatif aux ONG entravera-t-il l’effort humanitaire au Soudan du Sud ?

South Sudan: Nadia Abdullah holds her two year old daughter in her arms, who suffers from malnutrition and diarrhoea. UNHCR/B.Sokol
Une femme sud-soudanaise et son enfant malade.
Le Parlement sud-soudanais vient tout juste d’adopter un projet de loi réglementant les activités des organisations non gouvernementales (ONG). Les organisations d’aide humanitaire craignent que l’objectif du texte soit davantage de restreindre leur travail et mettent en garde contre les « effets catastrophiques » potentiels pour les civils de cette nation ravagée par la guerre.

Plongé depuis 18 mois dans une guerre civile qui a fait quelque 50 000 victimes et déplacé près de deux millions de personnes, le Soudan du Sud, qui dépend de l’aide humanitaire, a bénéficié, l’an dernier, du plus vaste effort humanitaire déployé pour une seule nation.

Selon les membres du Parlement, le projet de loi, qui a été adopté unanimement mardi dernier, vise à réglementer un vaste secteur qui a opéré sans aucune législation spécifique jusqu’à présent.

« Nous sommes censés promulguer des lois pour régir tous les aspects de la vie dans cette nouvelle nation », a dit Samson Ezekial, un député du Mouvement populaire de libération du Soudan (SPLM, selon le sigle anglais), le parti au pouvoir. « Le projet de loi a pour objectifs l’enregistrement des ONG, la réglementation de leurs activités et la coordination des affaires. »

Selon les députés, le projet de loi vise surtout à faire disparaître les fausses ONG, ou « briefcase NGOs », des organisations qui existent sur papier et lèvent des fonds, mais qui ne mènent aucune opération bénéfique pour les civils sud-soudanais.

« Le projet de loi relatif aux ONG risque d’avoir d’énormes répercussions sur la réponse humanitaire actuelle au Soudan du Sud »
Les organisations d’aide humanitaire craignent toutefois que la législation soit utilisée pour superviser et restreindre leur travail, et non pour le réglementer et le faciliter.

« Le projet de loi relatif aux ONG risque d’avoir d’énormes répercussions sur la réponse humanitaire actuelle au Soudan du Sud », indique une déclaration publiée par NGO Forum, un consortium d’ONG locales et internationales qui oeuvrent au Soudan du Sud.

« Si la mise en oeuvre du projet de loi entraîne la création d’un environnement plus régressif, cela pourrait avoir des effets catastrophiques pour la part importante de la population qui dépend des ONG pour la fourniture de services essentiels et l’aide vitale. »

Selon les chiffres des Nations Unies, plus de la moitié des 12 millions d’habitants ont besoin d’aide et environ 2,5 millions de personnes sont en situation de grave insécurité alimentaire.

« Les ONG sont favorables au principe de la réglementation. Il serait en effet beaucoup plus facile pour elles d’opérer dans un environnement réglementaire cohérent », indique la déclaration de NGO Forum.

« Des préoccupations importantes subsistent toutefois. On s’inquiète notamment que certaines dispositions du projet de loi relatif aux ONG ne servent pas à réglementer les activités des ONG et qu’elles entravent plutôt leur capacité à servir le peuple sud-soudanais à un moment où les besoins sont en hausse en raison du conflit en cours. »

Voici les dispositions les plus controversées du projet de loi :

- Les ONG devront s’assurer qu’au moins 80 pour cent de leurs employés sont de nationalité sud-soudanaise, y compris dans les postes de haut niveau. Selon de nombreux groupes, cela risque d’entraîner de gros problèmes, surtout lorsqu’on sait que plus de 70 pour cent de la population adulte est analphabète.

- Les ONG devront s’enregistrer et signer des « accords pays » individuels avec le gouvernement, un outil autrefois utilisé comme méthode de contrôle par le Soudan.

- Les ONG devront recourir aux services des banques sud-soudanaises malgré les suspicions de corruption dans le secteur financier. Le projet de loi permet également au gouvernement d’imposer des frais divers.

- Le projet de loi concerne les organisations humanitaires, mais aussi les organisations de la société civile qui travaillent dans le domaine du plaidoyer et de la défense des droits de l’homme. Nombreux sont ceux qui craignent que cette clause soit utilisée pour faire taire les voix dissidentes.

- La législation semble également avoir pour objectif d’interdire la création de forums pour les ONG internationales – un geste qui paraît cibler NGO Forum, un regroupement d’organisations qui a eu quelques accrochages avec le gouvernement.

De façon plus générale, la communauté humanitaire s’inquiète que les nouvelles règles aient simplement pour objectifs de soutirer de l’argent aux ONG et d’alourdir la bureaucratie. Les versions précédentes du projet de loi rappelaient fâcheusement les lois soudanaises. Le Soudan a en effet eu recours à l’enregistrement et à la législation pour mettre un terme aux activités d’organisations humanitaires.

« Il est évident que la législation a été utilisée à de mauvaises fins par le passé et qu’elle pourrait continuer de l’être. On ne peut qu’espérer que tout sera fait pour rendre la fourniture de l’aide humanitaire aussi efficace, transparente et économique que possible cette fois-ci », a dit un diplomate occidental. « Les gens sont nombreux à ne pas avoir un bon pressentiment par rapport à ce projet de loi. »

Depuis le début de la guerre civile qui oppose les partisans du président Salva Kiir aux alliés de son ancien vice-président, le chef rebelle Riek Machar, les relations entre la communauté humanitaire, d’une part, et le gouvernement et les autorités rebelles, d’autre part, se sont détériorées.

Les organisations d’aide humanitaire ont accusé les responsables du gouvernement sud-soudanais d’utiliser l’alourdissement de la bureaucratie pour contrecarrer les efforts mis en oeuvre pour atteindre les zones occupées par les rebelles.

Récemment, des soldats ont empêché des travailleurs humanitaires de venir en aide à des civils dans le besoin à Bentiu, la capitale de l’État d’Unity. Des responsables sud-soudanais ont également interdit aux organisations d’aide humanitaire de parler de la survenue potentielle d’une famine. Selon certaines informations, ils auraient restreint l’accès des groupes humanitaires qui n’ont pas respecté cette interdiction.

Les responsables du gouvernement ont également cherché à exercer un contrôle sur les fonds accordés par les donateurs – une somme qui dépassait largement le milliard de dollars l’an dernier – en exigeant qu’ils soient déposés dans un compte spécial.

« Vous pensez que vous pouvez simplement venir ici et opérer sans que le gouvernement sache ce que vous faites ? Je ne crois pas que les choses fonctionnent ainsi »
En 2014, le gouvernement national, de plus en plus isolé internationalement, a ordonné à tous les travailleurs étrangers de quitter le pays. La directive a été annulée presque immédiatement, mais sa brève adoption donne un aperçu de l’environnement imprévisible dans lequel les organisations humanitaires internationales doivent travailler. Elle montre aussi que la clause des 80 pour cent du projet de loi relatif aux ONG ne sert pas seulement de nobles intentions.

« Les ONG sont déjà soumises à une pression administrative croissante et elles sont souvent victimes d’une application arbitraire des règles et des règlements », indique NGO Forum.

Les députés insistent sur le fait qu’ils ne souhaitent pas contrôler les activités des travailleurs humanitaires, mais ils disent aussi qu’ils ont l’intention d’assumer un rôle plus important dans la supervision, la surveillance et la direction des opérations.

« Vous pensez que vous pouvez simplement venir ici et opérer sans que le gouvernement sache ce que vous faites ? Je ne crois pas que les choses fonctionnent ainsi », a dit M. Ezekial. « Le gouvernement a peut-être des priorités différentes des vôtres. Vous devez coordonner vos programmes avec ceux du gouvernement pour éviter de faire des choses différentes. »

Selon Jamal Kaikai, un député de l’État des Lacs, le projet de loi pourrait être utilisé pour améliorer l’économie chancelante du pays en forçant les ONG à ouvrir des comptes bancaires au Soudan du Sud. Le pays a en effet été durement touché par la baisse du prix du pétrole et le coût élevé de la guerre.

« La plupart [des ONG] ont ouvert des comptes au Kenya et placé leur argent là-bas », a-t-il expliqué. « Ils disent ensuite que [le Soudan du Sud] n’est pas sûr... Ils contribuent à la destruction de notre économie. »

Des déclarations comme celle-ci inquiètent les organisations d’aide, surtout dans le contexte actuel de détérioration de la situation humanitaire.

Elles espèrent malgré tout que le texte sera clarifié de manière à atténuer leurs inquiétudes avant d’atteindre le bureau du président et d’être promulgué en loi dans les mois à venir.

« Un État souverain a le droit et le devoir de rédiger des lois, mais tout dépend de la façon dont il choisit ensuite d’utiliser ces lois. Or, on ignore encore comment cette loi sera utilisée », a dit à IRIN un directeur pays d’une organisation d’aide humanitaire à Juba.

jp/ag -gd/amz 
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