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Durcissement de la législation australienne sur la migration

Royal Australian Navy on maritime security deployment in James Whittle/ Royal Australian Navy

L’adoption du projet d’amendement de la loi sur les migrations et les puissances maritimes, survenue cette semaine à la fin d’une année marquée par le renforcement des contrôles aux frontières et des changements dans les politiques d’accueil des réfugiés, pourrait entraîner un refroidissement de la coopération régionale. Les experts estiment que le geste de l’Australie s’inscrit dans la tendance mondiale qui veut que les pays considèrent la migration comme un problème sécuritaire, et ils reconnaissent qu’il pourrait s’agir d’une avenue importante pour le développement de la politique régionale de l’Asie du Sud-Est.

En septembre 2013, l’Australie a lancé l’opération « Frontières souveraines » (Operation Sovereign Borders, OBS), une initiative dirigée par l’armée que le gouvernement décrit comme un effort pour « combattre la traite de personnes et protéger les frontières australiennes ». Les navires de la Marine interceptent les bateaux transportant des demandeurs d’asile, qui sont ensuite placés en détention dans des centres de transit situés au large des côtes australiennes, dans des conditions qui ont été critiquées à maintes reprises, notamment par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR). Un seul bateau a réussi à accoster en 2014. Alors que le gouvernement se félicite du « succès » de sa politique, le Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme condamne l’OBS et affirme qu’elle a donné lieu à « une série de violations des droits de l’homme ».

En novembre 2014, l’Australie a diminué le nombre de visas accordés aux réfugiés en transit en Indonésie de 600 à 450 et indiqué qu’aucun réfugié enregistré auprès du bureau indonésien du HCR après le 1er juillet 2014 ne serait éligible à l’obtention d’un visa. L’annonce a provoqué de vives réactions de la part de l’Indonésie, qui a évoqué le goulot d’étranglement  auquel elle doit faire face en matière d’accueil de réfugiés. Le pays accueille en effet environ 10 000 réfugiés et les délais d’attente sont notoirement longs.

L’Australie a dit que l’objectif de la mesure était d’exporter le succès obtenu sur le territoire national et qu’elle était « conçue pour réduire le fardeau que représentent les demandeurs d’asile pénétrant en Indonésie, dont sont responsables les passeurs ». Les critiques soutiennent cependant qu’elle « remet gravement en cause la logique humanitaire du programme australien de réinstallation ».

Anne Hammerstad, maître de conférences à l’Université de Kent, au Royaume-Uni, et auteure d’un nouvel ouvrage sur l’histoire du HCR en tant qu’acteur de la sécurité mondiale, a dit à IRIN : « Une partie du problème repose sur le fait que le thème de la migration dans son ensemble est désormais étroitement associé à la sécurité. » Elle a ajouté que les attitudes face à la migration avaient changé – pour le plus grand malheur des réfugiés – et que l’empathie humanitaire avait fait place au renforcement de la sécurité nationale dans les priorités des pays. « Les attaques du 11 septembre ont causé du tort aux réfugiés et aux migrants en général – [la migration] est tout de suite devenue une question de contrôle des frontières, de sécurité nationale et de dangers pour la société », a-t-elle dit.

Selon certains, toutefois, l’interprétation que font les gouvernements de la migration en tant que problème sécuritaire pourrait permettre un renouvellement du dialogue politique entre les pays de la région.

« En mettant un terme à l’arrivée des bateaux sur le littoral australien, l’OSB a créé une occasion de dialogue. Cela devrait être le point de départ et non la fin de la conversation », a dit Travers McLeod,  qui dirige le Centre for Policy Development  (CPD), un groupe de réflexion australien. Le CPD tente depuis un certain temps déjà de désamorcer le débat controversé sur l’immigration en Australie, que M. McLeod décrit comme « une patate chaude politique sans boussole ».

Il se peut que les bateaux de migrants aient cessé d’arriver en Australie, mais cela ne veut pas dire que les demandeurs d’asile de l’Asie du Sud-Est ont cessé d’entreprendre de périlleux voyages. Selon des données du HCR publiées en novembre, environ 54 000 personnes (dont 53 000 en provenance du Bangladesh et du Myanmar) ont entrepris des déplacements maritimes irréguliers dans la région en 2014. Ce chiffre représente une augmentation par rapport aux années précédentes : le nombre de départs a ainsi triplé par rapport à 2012 et augmenté de 15 pour cent par rapport à 2013.

« Il serait idiot de se débarrasser de la convention [de 1951 relative aux réfugiés], mais nous devons prendre conscience que les pays peuvent employer différentes méthodes pour appliquer les protections qui y sont inscrites », a dit M. McLeod. « Dans certains pays, [la migration] est un problème de traite de personnes ; dans d’autres, c’est une question de contrôle de l’afflux. D’autres encore la voient comme un problème sécuritaire. Finalement, dans de nombreux cas, c’est une question d’accès à la protection », a-t-il ajouté.

Faire cavalier seul

Le rapport établi à la suite d’une table ronde organisée en juillet 2014 par le CPD pour réunir les parties prenantes de la migration en Asie du Sud-Est, intitulé Beyond the boats: building an asylum and refugee policy for the long term [Au-delà des bateaux : développer une politique d’asile et de réfugiés à long terme], explique que les menaces posées par le débat sur la migration en Australie présentent « essentiellement [la migration] comme une affaire de politique nationale plutôt que de politique régionale » et que le fait de refuser l’accès au littoral australien aux bateaux de migrants « risquait de fermer l’espace de protection ».

L’Indonésie et l’Australie dirigent conjointement le processus de Bali, un mécanisme régional créé en 2002 pour lutter contre le trafic de migrants. L’organisation, qui compte 50 membres, a été critiquée parce qu’elle n’a pas donné de véritables résultats dans la région et qu’elle a surtout semblé servir les intérêts politiques de l’Australie.

Quel est l’impact de la nouvelle loi australienne sur les migrations ?

L’adoption du projet d’amendement de la loi sur les migrations et les puissances maritimes (MMPLAB, selon le sigle anglais) a changé la façon dont l’Australie gère et traite les demandes d’asile en amendant cinq lois nationales : la loi de 2013 sur les puissances maritimes (Maritime Powers Act), la loi de 1958 sur les migrations (Migration Act), les règlements de 1994 sur les migrations (Migration Regulations), la loi de 1946 sur l’immigration (tutelle des enfants) (Immigration [Guardianship of Children] Act) et la loi de 1977 sur les décisions administratives (contrôle judiciaire) (Administrative Decisions [Judicial Review] Act). Le principal objectif du projet de loi semble être de supprimer les références au droit international, une stratégie que le ministre de l’Immigration Scott Morrison a tenté de vendre aux membres du parlement lorsqu’il leur a présenté la nouvelle législation.

Renforcer les pouvoirs de l’Australie tout en limitant ses obligations

À titre d’exemple, la loi supprime la phrase suivante de la loi sur les puissances maritimes de 2013 : « Conformément au droit international, l’exercice des pouvoirs à l’extérieur de l’Australie est limité » et ajoute celles-ci : « L’omission de tenir compte des obligations internationales, etc. n’invalide pas l’autorisation » et « L’omission de tenir compte des obligations internationales, etc. n’invalide pas l’exercice des pouvoirs. » Officialisant la pratique de la Marine australienne de reconduire les bateaux interceptés à leur point de départ, au Sri Lanka par exemple, le document explique que, « [p]our éviter tout doute… [les autorités] peuvent amener (ou faire amener) à une destination un bateau, un avion ou une personne, conformément à la section […], que l’Australie ait ou non un accord ou un arrangement avec tout autre pays en ce qui concerne les bateaux ou les avions (ou leurs passagers)… quelles que soient les obligations internationales ou les lois nationales de tout autre pays. »

Supprimer les vérifications en matière de déportation

La loi a même prévu les obstacles, à savoir un projet de loi distinct qui aurait pour effet d’amender la loi de 1958 sur les migrations pour définir les obligations de l’Australie en matière de non-refoulement conformément au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (que l’Australie a ratifié en 1980) et la Convention contre la torture (que l’Australie a ratifiée en 1989).

Anticipant son impact, la MMPLAB stipule, dans une section intitulée Amendments if this Act commences after the Migration Amendment (Protection and Other Measures) Act 2014 [Amendements si cette loi est mise en œuvre après la loi de 2014 sur l’amendement de la loi sur les migrations (protection et autres mesures)] : « Il importe peu que l’Australie ait ou non des obligations en matière de non-refoulement en ce qui concerne les non-ressortissants illégaux... [Et] la responsabilité de l’agent de procéder au renvoi d’un non-ressortissant illégal dans des délais raisonnables en vertu de la section 198 [de la loi sur les migrations, qui résume les procédures de renvoi des non-ressortissants illégaux] est engagée qu’il y ait eu ou non une évaluation, selon la loi, des obligations de l’Australie en matière de non-refoulement des non-ressortissants. » Comme l’a expliqué un chercheur juridique australien : « Cela signifie que l’Australie est maintenant autorisée à renvoyer un demandeur d’asile dans un pays dans lequel il a été torturé ou persécuté ou sait qu’il pourrait l’être. »

S’appuyant sur la réduction du nombre de visas accordés aux réfugiés temporairement installés en Indonésie, annoncée en novembre par l’Australie, Maria O’Sullivan, professeure de droit au Centre Castan des droits de l’homme de l’Université Monash, à Melbourne, a mis en doute l’engagement régional de l’Australie : « Si l’Australie souhaite réellement établir un cadre régional plus large en collaboration avec d’autres pays de l’Asie du Sud-Est, il ne semble pas logique qu’elle interdise la réinstallation sur son territoire des demandeurs d’asile en transit en Indonésie, l’un de ses principaux partenaires régionaux en matière d’asile. »

Selon M. McLeod, la table ronde organisée par le CPD, qui s’est déroulée conformément à la règle de confidentialité de Chatham House, a permis aux parties prenantes régionales de parler plus ouvertement qu’elles ne le font généralement lorsqu’elles représentent leurs pays respectifs en public. Il a dit : « Nous avons constaté lors de la table ronde qu’il était important d’inclure des représentants de l’Indonésie et de la Malaisie. Leur présence a changé la teneur de la discussion et nous a permis de développer une meilleure compréhension des problèmes qui nous occupent. »

Adopter la diplomatie informelle

Une approche plus privée de la coopération pourrait se révéler nécessaire vu les sensibilités politiques des gouvernements de la région par rapport à la migration, et notamment les préoccupations d’ordre sécuritaire. Les recommandations du rapport du CPD incluent d’ailleurs l’établissement d’un dialogue régional de type « Track II ».

M. McLeod a dit à IRIN qu’il croyait qu’un processus de diplomatie informelle (ou diplomatie de la deuxième voie, « Track II »), dans lequel des participants originaires des pays de la région se réunissent pour aborder les questions de politique sans représenter officiellement leurs électeurs ou leurs gouvernements respectifs, pourrait permettre d’élargir le niveau de confort atteint lors de la table ronde du CPD en imitant le format adopté lors des négociations régionales en matière de sécurité.

« La diplomatie informelle est généralement utilisée pour les discussions au sujet du commerce ou de la sécurité. Or, il est évident que la migration est elle-même une question de sécurité pour une grande partie des gouvernements concernés : c’est donc un format qui pourrait bien fonctionner », a-t-il dit. Il s’est ainsi fait l’écho des conclusions d’une recherche révélant que les dialogues non officiels sur les politiques sont une composante essentielle de la coopération régionale de l’Asie du Sud-Est.

Une « tempête parfaite » ?

Il se peut que le dialogue régional doive mettre l’accent sur la migration en tant que problème sécuritaire, mais ce débat, s’il n’intègre pas d’autres aspects, ne permettra pas d’enrayer la tendance mondiale actuelle, qui est de considérer les migrants comme une menace. D’après Mme Hammerstad, cette tâche est beaucoup plus large et implique de faire comprendre au public que les hommes se sont toujours déplacés au fil de l’histoire et qu’il s’agit d’un comportement humain normal.

« Il faut réussir à trouver un équilibre afin que les sociétés qui reçoivent des migrants ne se sentent pas lésées […] Plusieurs pays accueillant des réfugiés ont l’impression que leur économie n’est pas très solide ; on doit en outre composer avec des crises humanitaires à grande échelle et un niveau record de migrations », a-t-elle expliqué, ajoutant que la situation mondiale actuelle des migrations est « un peu comme une tempête parfaite ».

Selon elle, le débat actuel comporte « une réaction instinctive qui fait que l’on considère la migration comme étant contre nature ; on pense tout de suite que les gens qui migrent cherchent à exploiter le système et à en profiter, et non qu’ils souhaitent simplement réussir ailleurs que chez eux. Il y a un manque d’empathie dans le discours public. »

kk/cb-gd/amz


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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