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L’Afrique du Sud autorise les chefs traditionnels à réclamer des terres

Titus Zulu, 87, has lived on the Babanango settlement in South Africa’s KwaZulu-Natal Province all of his life. His grandparents farmed the land for themselves, but he and his family were forced to work as labour tenants for white farmers. Kristy Siegfried/IRIN
Depuis longtemps, le rythme de la réforme agraire en Afrique du Sud est critiqué pour sa lenteur. Or les experts, ainsi que les Sud-Africains noirs qui attendent la restitution de terres, ont peur que la décision récente de relancer le processus de revendication territoriale fasse plus que retarder davantage les réclamations en attente d’être étudiées. Ils craignent qu’elle ne réduise aussi à néant les timides progrès réalisés dans la restitution de terres aux personnes dépossédées par les politiques du temps de l’apartheid.

Le 30 juin, le président Jacob Zuma a signé un amendement à la loi de 1994 sur la restitution des droits fonciers (Restitution of Land Rights Act). Cet amendement accorde un délai supplémentaire de cinq ans aux personnes qui ont dépassé la date butoir initiale de 1998 pour déposer une revendication territoriale. Selon la Commission des revendications territoriales, près de 12 500 nouvelles réclamations ont été déposées.

Un certain nombre d’organisations de la société civile ont transmis leurs observations au Parlement avant la promulgation de l’amendement. Elles redoutent qu’en l’absence d’une distinction entre les milliers de revendications de terres en souffrance et les nouvelles réclamations, leur résolution soit probablement encore retardée de plusieurs années, surtout si les nouvelles réclamations empiètent sur celles préexistantes et non résolues concernant le même territoire.

Si la loi n’est pas allée jusqu’à distinguer les deux séries de réclamations, elle entend donner la priorité aux revendications déposées avant 1998, dont 8 500 sont toujours en attente d’être traitées et 20 592 autres ont été « résolues » par des accords signés, mais qui ne sont pas définitifs ou pas entièrement appliqués.

Les revendications des zones rurales sont plus difficiles à résoudre

Si les revendications concernant les zones urbaines se règlent souvent assez vite par des indemnités, les revendications des zones rurales déposées par des centaines de demandeurs individuels peuvent mettre des années à aboutir. « Les processus d’acquisition des terres, de planification pour la réinstallation des personnes et de forme d’exploitation des terres ; tout cela demande énormément de temps et d’expertise, et nous avons une institution gouvernementale aux pouvoirs très limités – la Commission des revendications territoriales – chargée de gérer tout cela », a déclaré Ruth Hall, maître de conférence à l’Institut pour les études sur la pauvreté, les terres et l’agriculture (PLAAS) de l’université du Cap-Occidental.

Dans leur rapport d’observation transmis au Parlement en novembre 2013, Mme Hall et ses collègues du PLAAS estiment que la résolution des revendications territoriales existantes prendrait au moins 15 années supplémentaires et que le processus de restitution en est « encore à ses débuts ». D’après le rapport, la Commission des revendications territoriales aurait besoin d’une augmentation considérable de son budget, afin de traiter des milliers de nouvelles demandes en plus des anciennes réclamations en attente de réponse. Or, le Trésor public a diminué le montant alloué au processus de restitution pour les trois prochaines années.

Selon Mme Hall, la réouverture du processus des revendications territoriales du gouvernement est « une mesure populiste qui est susceptible de revenir nous hanter [...] parce que cela va susciter des attentes sans la possibilité de les combler ».

Les chefs traditionnels préparent des revendications territoriales

Depuis quelques semaines, plusieurs chefs traditionnels prépareraient leurs propres revendications concernant de grandes étendues de terres qui engloberaient plusieurs réclamations existantes. Cela inquiète les groupes de défense des droits fonciers et les demandeurs, encore plus que l’incapacité de la commission à faire face aux nouvelles demandes. Ainsi, le roi Goodwill Zwelithini, chef de cérémonie du peuple zoulou (le plus grand groupe ethnique d’Afrique du Sud), prépare une revendication qui devrait concerner l’ensemble de la province du KwaZulu-Natal ainsi que les territoires de trois provinces voisines.

Le président Zuma a semblé soutenir ces revendications au début de l’année quand il a invité les membres de la Chambre nationale des chefs traditionnels à se trouver de « bons avocats » afin de profiter de la réouverture du processus de revendications territoriales « au nom de votre peuple ».

Cependant, des experts comme Thabiso Mbhense du Legal Resources Centre (LRC), une organisation de défense des droits de l’homme à Johannesburg, ont fait remarquer que ces réclamations ne seront probablement pas recevables. Des responsables du gouvernement, dont le ministre du Développement rural et de la Réforme agraire, Gugile Nkwini, suggèrent que les communautés dépossédées de leurs terres avant 1913 devraient être incluses dans la réforme agraire. Malgré ces déclarations, la loi modifiée relative aux droits fonciers a conservé 1913 comme date butoir pour les réclamations. Cette disposition devrait rendre irrecevables les revendications faites par le roi Zwelithini ou d’autres chefs traditionnels qui ont perdu leurs terres au profit des Hollandais et des Britanniques pendant l’époque coloniale.

Cependant, tout le monde n’est pas certain que les revendications des chefs traditionnels puissent être si facilement rejetées. Aninka Claassens, chercheuse en chef du Centre for Law and Society (CLS) de l’université du Cap, a remarqué que les chefs traditionnels ont longtemps critiqué le fait que le processus de réforme agraire permette la cession de terres qu’ils considèrent communales ou « tribales » et donc relevant de leur autorité. Selon Mme Claassens, des signes inquiétants montrent que des responsables du gouvernement approuvent ce point de vue, notamment le ministre M. Nkwini.

Des exceptions pour les sites du patrimoine ?

Si les revendications des chefs traditionnels ne seront probablement pas jugées recevables pour la restitution de terres en vertu de la loi modifiée, certaines pourraient être reconnues par une proposition politique différente. Selon le ministre M. Nkwini, cette dernière va créer des exceptions à la date butoir de 1913 pour les descendants des peuples indigènes d’Afrique du Sud (les Khoi et les San) et va également autoriser les réclamations de sites du patrimoine et de lieux historiques.

Si ce projet de loi politique est promulgué, les chefs traditionnels tels que le roi Zwelithini seraient légitimement en mesure de déposer des réclamations concernant des territoires où leurs ancêtres sont enterrés ou qui leur appartenaient.

« Nous avons souffert pendant l’apartheid quand les fermiers blancs étaient là, et le roi n’a rien dit au nom des exploitants agricoles. Nous voulons la restitution. »
Ainsi, au 19e siècle, la région connue sous le nom de Babanango, dans le district de Zululand du KwaZulu-Natal, appartenait au roi zoulou Dingane. Les terres ont ensuite été distribuées aux pionniers blancs appelés Boers, en remerciement du soutien qu’ils avaient apporté aux Zoulous en 1884, lors d’une bataille contre les Britanniques. Pendant plus d’un siècle, les personnes qui vivaient sur ces terres étaient obligées de travailler pour les fermiers blancs en échange de pouvoir y rester et d’élever leur propre bétail.

Les fermiers locataires à Babanango

Même si certains Boers ont été expulsés de Babanango dans les années 1960 et 1970, d’autres sont restés en tant que fermiers locataires jusqu’au milieu des années 1990, lorsque le terrain a été vendu au Conseil du patrimoine de la province (Amafa). Ce dernier a introduit du gibier sauvage dans la région et a imposé une limite de 10 têtes de bétail par famille. Beaucoup de bovins ont péri depuis, à cause d’une maladie transmise par les gnous que l’Amafa a introduits, selon les éleveurs.

« Nos grands-parents cultivaient cette terre pour leur propre compte », a déclaré Mfumeni Sibiya, 86 ans, qui a vécu sur la localité de Babanango toute sa vie. « Les fermiers blancs étaient beaucoup mieux que maintenant parce que nous étions autorisés à labourer les champs et à faire paître notre bétail. »

M. Sibiya a dit qu’il avait perdu tout son troupeau de bétail à cause de la maladie et qu’il dépendait désormais d’une pension du gouvernement pour survivre.

En vertu de la loi de 1996 sur les fermiers locataires (Labour Tenants Act), qui s’inscrivait dans le programme de réforme agraire du gouvernement, la plupart des 19 familles qui vivent encore à Babanango ont déposé des revendications territoriales en 2000 et en 2001. Une autre famille qui avait été expulsée a déposé une revendication de restitution. Selon le porte-parole de la famille, Msizeni Magwaza, la demande de restitution n’a pas dépassé le stade des recherches, tandis qu’il n’y a eu aucune information sur l’état d’avancement des revendications des fermiers locataires, car ces dernières ont été déposées il y a 15 ans.

D’après les déclarations de M. Mbhense, du LRC, à IRIN, sur environ 18 000 réclamations déposées par d’anciens fermiers locataires, très peu ont été traitées par le département des Affaires foncières, qui en a la gestion. Le LRC a porté plainte contre le département ministériel en 2013, afin de l’obliger à traiter les réclamations en suspens. « Ils nous opposent que certains de nos clients ont reçu une résolution par la restitution », a déclaré M. Mbhense, ajoutant que le département s’était également plaint qu’il n’avait pas le budget pour traiter les demandes. L’affaire sera jugée à Johannesburg devant la Cour chargée de statuer sur les revendications territoriales, le 19 septembre prochain.

Un nouveau palais

Leurs revendications territoriales n’étant pas résolues, les membres de la communauté de Babanango font désormais face à une nouvelle menace. Le roi Zwelithini projette de construire un nouveau palais (son huitième) sur le territoire, qui devrait également faire partie de l’immense portion de terres qu’il va réclamer.

« Notre activité principale concerne le patrimoine et certains des premiers rois zoulous sont enterrés dans cette vallée ; c’est là que la nation zouloue est née », a déclaré James Van Vuuren, directeur adjoint des services administratifs à Amafa qui a temporairement approuvé le projet royal.

M. Van Vuuren a débouté les membres de la communauté de Babanango de leurs réclamations de terres, en faisant valoir qu’« aucune famille noire n’a été expulsée de force » et que les terres appartenaient de toute façon aux descendants des fermiers boers qui les avaient reçues en 1884. Il a ajouté que les familles s’étaient vues offrir d’autres terres sur une exploitation agricole voisine, mais qu’elles avaient refusé.

« Cette offre tient toujours, de même que les autres modèles de relocalisation », a-t-il déclaré à IRIN.

Mais M. Magwaza a expliqué que ses ancêtres et ceux des autres familles habitant à Babanango vivaient là depuis deux siècles et qu’ils n’avaient pas l’intention de partir. Il a également souligné qu’ils auraient dû être consultés au sujet des projets du roi.

« Aucun membre de la Maison royale n’est venu ici pour nous en parler », a déclaré Mme Sibongile Mthimkhulu, 63 ans, qui fait partie des anciens fermiers locataires de Babanango qui ont déposé des revendications territoriales. « Nous avons souffert pendant l’apartheid quand les fermiers blancs étaient là, et le roi n’a rien dit au nom des exploitants agricoles. Nous voulons la restitution. »

M. Mbhense du LRC, qui vient en aide à la communauté de Babanango, a indiqué que la réclamation de restitution de la famille de M. Magwaza n’a jamais été publiée dans le journal officiel de l’État, une première étape nécessaire dans le traitement des demandes de restitution qui aurait exigé que la commission soit tenue informée de tout projet de construction.

La Commission sur les revendications territoriales n’a pas répondu aux questions d’IRIN. Cependant, dans une série d’échanges sur Twitter entre le défenseur des droits fonciers Nomboniso Gasa et le commissaire adjoint des revendications territoriales Thami Mdontswa, ce dernier a admis que la commission n’avait pas été informée des projets de construction d’un palais royal à Babanango. « Le patrimoine est aussi important que la restitution », a-t-il néanmoins ajouté.

Les anciens fermiers locataires pourraient perdre au change

« L’État a simplement ignoré ces réclamations », a fait observer Mme Claassens, du CLS, en faisant allusion aux revendications des anciens ouvriers locataires.

« Après 1994, des lois ont été mises en place pour apporter des droits fonciers en réponse à la discrimination qui existait, et ces droits devaient instaurer la propriété », a-t-elle déclaré à IRIN. « Mais maintenant, [le gouvernement] a ouvert la porte aux chefs traditionnels en leur permettant d’utiliser ces réclamations comme un atout. Ce processus de revendications de terres tribales leur servira à justifier le recours à ces droits pour obtenir un accord de nature politique ».

Les membres de la communauté de Babanango ont déclaré qu’ils continueraient à se battre pour leurs droits fonciers, mais il est évident qu’ils craignent de s’opposer au roi.

« Cet homme est intouchable. Si l’on veut s’attaquer à lui, il faut être prudent », a affirmé M. Magwaza. « Il va peut-être tout avaler. »

ks/cb-fc/ld


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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