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Guerre, pluie et argent : anatomie de la crise alimentaire au Soudan du Sud

Beneficiaries waiting in line to collect their ration at a food-distribution taking place at the UNMISS-compound in Malakal, Upper Nile State, South Sudan (May 2014) Jacob Zocherman/IRIN
Beneficiaries waiting in line to collect their ration at a food-distribution taking place at the UNMISS-compound in Malakal, Upper Nile State, South Sudan (May 2014)
Sur toute une bande de territoire du Soudan du Sud, les champs humides dans lesquels devraient en temps normal poindre de jeunes pousses n’ont pas été labourés et sont envahis par les mauvaises herbes ; les troupeaux de bétail censés permettre aux communautés de se nourrir pendant la période de soudure ont été perdus ou volés ; et les réserves alimentaires ont été pillées ou brûlées.

Les habitants du Soudan du Sud, le pays le plus jeune du monde et l’un des plus pauvres, sont habitués aux privations. Mais six mois de guerre ont causé de nombreux déplacements et détruit les maigres moyens de subsistance. Quatre millions de personnes environ ont donc besoin d’une aide humanitaire.

Les travailleurs humanitaires qui tentent désespérément d’éviter la famine signalent d’importants obstacles : de l’échec des chefs ennemis sud-soudanais à mettre un terme au conflit à une logistique presque impossible, en passant par un manque d’attention internationale et de ressources.

« L’obstacle le plus important de tous est l’absence de paix », a dit à IRIN Toby Lanzer, haut responsable humanitaire des Nations Unies au Soudan du Sud. « Il y a encore beaucoup de gens sur la route, ne serait-ce que parce que de nouvelles violences menacent toujours d’éclater à tout moment. »

Selon les chiffres des Nations Unies, environ 1,5 million de personnes ont fui de chez elles depuis décembre, lorsque des affrontements se sont déclenchés entre des sympathisants du président Salva Kiir et ceux de son ancien vice-président, Riek Machar. Des milliers de personnes sont mortes au cours des violences, dont de nombreux civils pris pour cible en raison de leur origine ethnique.

Les pressions de la communauté internationale n’ont pas réussi à mettre fin aux combats avant la saison des semailles et des cris d’alarme de plus en plus fort ont retenti face au risque d’inanition qui pourrait faire encore plus de morts si les civils assiégés ne reçoivent pas une aide soutenue d’urgence.

Une enquête menée en mai par des agences du gouvernement et des experts en sécurité alimentaire prévoit que 3,9 millions de personnes, soit un tiers de la population du Soudan du Sud, seront confrontées à un niveau d’insécurité alimentaire de « crise » ou « d’urgence » d’ici fin août. Ils étaient 1,6 million dans cette situation un an plus tôt. Les niveaux de « crise » et « d’urgence » sont le troisième et le quatrième niveau du très reconnu cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire (IPC).

Au niveau cinq, c’est la « famine », définie par l’IPC comme « l’inaccessibilité absolue à de la nourriture pour toute une population ou un sous-groupe de population, pouvant entraîner la mort à court terme ». Pour qu’une situation de famine soit déclarée, plusieurs conditions doivent être remplies, notamment un taux brut de mortalité de deux pour 10 000 par jour et un taux global de malnutrition aiguë supérieur à 30 pour cent.

Dans les communautés rurales, les familles stockent normalement des réserves de nourriture pour se nourrir jusqu’à la récolte suivante. Mais les personnes déplacées ont généralement laissé leurs réserves derrière elles et les communautés d’accueil ont dû partager les leurs avec leurs proches et avec des inconnus. Les familles se sont fait voler leur bétail, soit par des communautés rivales, soit par des combattants affamés de l’autre camp.

En outre, les commerçants qui apportent habituellement des denrées alimentaires des pays voisins comme l’Ouganda et le Soudan et les échangent contre des produits locaux ne sont pas apparus depuis des mois en raison des affrontements. Le sel, par exemple, est presque impossible à trouver dans certaines régions, a dit M. Lanzer.

Le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) a dit en avril que 223 000 enfants de moins de cinq ans souffraient de malnutrition sévère aiguë au Soudan du Sud, soit deux fois plus qu’avant la crise. L’UNICEF a averti que 50 000 d’entre eux risquaient de mourir cette année s’ils ne recevaient pas d’aide et notamment des aliments thérapeutiques.

Les agences de secours ont identifié les comtés sud de l’État d’Unité et une partie du Jonglei voisin comment les plus touchés de ce pays de la taille de la France.

Dans le comté de Panyijar, dans l’État d’Unité, des milliers de familles se sont réfugiées sur des îles, dans de grands marais à l’ouest du Nil Blanc. Selon les responsables des secours, nombre d’entre eux survivent en se nourrissant de nénuphars et de feuilles d’arbres – aliments de substitution en périodes de disette. Les aérolargages du Programme alimentaire mondial (PAM) ont soulagé la population, mais selon les travailleurs humanitaires, le taux de malnutrition est monté en flèche.

L’organisme de bienfaisance médicale Medair a dit que la moitié des 4 500 enfants pour lesquels ils avaient effectué un dépistage à Panyijar depuis avril souffraient de malnutrition. L’organisme a découvert que les familles avaient de plus en plus tendance à réserver leurs maigres rations à leur enfant le plus fort.

« Ils veulent que tous leurs enfants survivent, mais ils ont peur de tous les perdre », a dit la porte-parole de Medair, Wendy van Amerongen.

L’insécurité persistante a anéanti tout espoir d’acheminer de la nourriture et d’autres produits d’urgence par voie terrestre aux régions isolées avant que les pluies ne rendent les routes impraticables.

Le gouvernement et l’opposition se sont mis d’accord début mai pour observer « un mois de tranquillité » afin de permettre aux civils de rentrer chez eux pour faire des semailles et de faciliter l’accès de l’aide humanitaire. Mais les pourparlers de paix qui ont lieu sporadiquement à Addis Abeba ont peu progressé, les violences continuent et peu de civils semblent être rentrés chez eux.

« Il y a beaucoup de tensions. Certains lieux comme Bentiu (la capitale de l’État d’Unité) sont vraiment sur le fil du rasoir. Tout peut arriver et pas seulement là », a dit à IRIN Mike Sackett, directeur par intérim du PAM au Soudan du Sud.

Le PAM avait prépositionné de la nourriture avant les pluies, mais ces réserves ont en grande partie été pillées par des groupes armés ou des civils affamés. En mai, trois entrepôts de l’État du Nil supérieur ont été vidés lorsque les zones où ils étaient situés ont changé de mains au cours des affrontements, a dit M. Sackett.

La plupart des routes principales étant impraticables, le PAM a dû privilégier les approvisionnements par voie aérienne, en utilisant majoritairement de grands avions de fret Ilyushin, de fabrication russe.

Selon M. Sackett, pour s’assurer que les rations atteignent les plus démunis et pour éviter que l’aide ne soit saisie par les combattants, le PAM met en place de petites équipes d’intervention éclair, qui restent à peine plus d’une semaine dans les zones de crise, le temps d’évaluer les besoins, d’enregistrer les plus défavorisés et de superviser les parachutages et les distributions. D’autres partenaires se chargent de vacciner les enfants et de distribuer des semences par la même occasion.

Toujours selon M. Sackett, le PAM a pu profiter de la bonne volonté considérable des deux parties belligérantes, qui se souviennent des importantes opérations humanitaires menées par l’agence dans les années 1990, lors de la guerre civile soudanaise. Cela a permis de préserver la sécurité des avions et des équipes sur le terrain.

M. Sackett a cependant signalé que son agence ne disposait pas de suffisamment de nourriture pour répondre aux besoins de la population.

Les bailleurs de fonds, dont les États-Unis et le Royaume-Uni ont promis de verser 600 millions de dollars supplémentaires lors d’une conférence en mai à Oslo, la capitale norvégienne. Les Nations Unies disent cependant qu’il leur manque encore 800 millions de dollars pour pouvoir répondre aux besoins de l’année actuelle seulement. M. Sackett a dit que la part des fonds promis qui allait être allouée au PAM n’était pas encore claire.

« Même après Oslo, nous n’avons pas reçu beaucoup de nouvelles promesses confirmées de dons que nous pourrions traduire en nourriture, » a-t-il dit.

La distribution prévue de 17 000 tonnes de nourriture en juin, par exemple, n’est probablement pas possible à cause du manque de ressources, a-t-il dit. « Nous sommes en train de surmonter les contraintes logistiques en ayant recours à de plus en plus d’avions, mais nous n’avons pas suffisamment de nourriture pour mettre ce plan en oeuvre. »

Les efforts humanitaires se sont par ailleurs trouvés confrontés à des difficultés bureaucratiques.

Selon M. Lanzer les fonctionnaires des Nations Unies ont passé des semaines à inciter le gouvernement à retirer des dizaines de postes de contrôle le long de quelques routes principales encore ouvertes. Les taxes non officielles ajoutaient 4 500 livres soudanaises (1 200 dollars) au coût d’approvisionnement par camion. Les Nations Unies ont également persuadé le gouvernement de simplifier les procédures douanières et d’immigration pour les travailleurs humanitaires et les biens de première nécessité.

L’environnement entraîne lui aussi son lot de difficultés. À Bentiu et Panyijar, les avions n’ont pas pu atterrir après les pluies, car la piste d’atterrissage est devenue trop marécageuse. Les Nations Unies sont en train de négocier avec les compagnies pétrolières pour avoir accès à une piste d’atterrissage utilisable par tout temps au nord de Bentiu. Les agences des Nations Unies ont toutefois atteint plus de 80 localités au cours des six derniers mois, principalement par voie aérienne.

Même pour les plus grands avions, le coût et les capacités limitées forcent le PAM à acheminer l’aide alimentaire par péniche sur le Nil blanc, malgré les risques que cela implique.

En avril, des attaquants non identifiés ont tiré avec des armes à feu et des grenades à tube sur des péniches qui transportaient de la nourriture et du carburant vers une base des Nations Unies à Malakal, une autre ville du Nord touchée par des tensions. Quatre membres de l’équipage et agents de maintien de la paix des Nations Unies ont été blessés lors de l’attaque.

Selon M. Lanzer, il est difficile de persuader les exploitants de péniches de tenter à nouveau l’aventure. Début juin, les travailleurs de Juba chargeaient cependant un convoi de péniches qui devra suivre le même chemin, à travers des territoires occupés par le gouvernement et par l’opposition. Les responsables du PAM négociaient déjà avec les intermédiaires locaux pour tenter d’assurer la sécurité du convoi lors de son passage.

« Ils passent également à travers des territoires où les gens ont probablement plutôt faim [...] Il y a donc trois grandes menaces », a dit M. Sackett.

Pour les civils, la saison des pluies apporte un certain répit. Les pâturages sont plus riches, le bétail produit donc plus de lait et la population trouve plus de plantes sauvages et de poisson pour se nourrir. En outre, les prémisses des récoltes se font en septembre, bien plus tôt que les véritables récoltes, qui ont lieu en novembre.

Mais la production s’annonce maigre dans le Nord et dans l’Est, où les combats ont essentiellement fait rage. Une fois que ces récoltes seront consommées, la crise alimentaire risque de s’intensifier.

« À partir de la fin de cette année, nous allons plonger dans une longue période de soudure qui se poursuivra jusqu’à la récolte de septembre 2015 », a dit M. Sackett. « Les problèmes seront probablement plus graves l’année prochaine à la même période que maintenant. »

Sg/am-ld/amz


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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