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Traumatisés, les enfants de la guerre jouent au soldat et au taliban au Pakistan

Children in North Waziristan, a mountainous region of Pakistan home to ongoing army operations against militants. Children have seen a constant armed conflict for nearly a decade now and psychiatrists worry about long-term effects on their mental health. Fakhar Kakahel/IRIN
Plus de 60 000 personnes ont fui l’agence tribale du Nord-Waziristan pour rejoindre des zones plus sûres du Pakistan et de l’Afghanistan voisin suite à l’offensive militaire lancée par l’armée dans la région. La majorité des personnes en fuite était des enfants et les spécialistes de la santé mentale craignent qu’ils n’aient pas accès à des soins post-traumatiques adaptés.

Les autorités pakistanaises n’ont pas encore construit de camp pour héberger les déplacés et le peu de soins de santé mentale fournis – généralement dans les cliniques de fortune montées dans les camps officiels de PDIP [personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays] – sont hors de portée des enfants du Nord-Waziristan.

Les psychiatres qui soignent les habitants des zones tribales sous administration fédérale (Federally Administered Tribal Areas, FATA) du Nord-Ouest s’inquiètent tout particulièrement des effets à long terme du conflit sur les enfants de la région. Les enfants originaires des régions du Nord-Waziristan et de Khyber, par exemple, vivent avec le conflit armé depuis une dizaine d’années. Ils ont assisté à des opérations militaires, des attaques menées par les talibans et des frappes de drones, et ont été témoins des conséquences de ces actes. Bon nombre d’entre eux ont grandi sans connaitre la paix, et les spécialistes de la santé mentale s’inquiètent des effets à long terme de cette situation.

Nouveaux jeux, nouveaux comportements

Un avion décolle de l’aéroport international Bacha Khan de Peshawar, capitale de la province de Khyber Pakhtunkhwa (KP). Non loin de là, des enfants hébergés dans un camp de personnes déplacées courent se mettre à l’abri, en criant « Avion ! Avion ! ».

Habib Afridi, 37 ans, a dit à IRIN : « Nos enfants essayent toujours d’effacer les souvenirs de leur vie d’avant ». M. Afridi et 14 membres de sa famille sont partis s’installer chez des proches à Peshawar suite à une offensive militaire lancée dans l’agence de Khyber, sa région d’origine. « A Tirah [la vallée], dans l’agence de Khyber, on savait que lorsqu’un avion passait dans le ciel, il allait bombarder [la zone], alors nos enfants pensent que tous les engins volants qui font beaucoup de bruit sont des bombardiers ».

D’après les chiffres officiels, plus de 43 pour cent des habitants des FATA sont âgés de moins de 14 ans, ce qui veut dire qu’une large partie de la population a grandi avec la guerre. Les enfants sont doublement affectés par le conflit, dit Sana Ijaz, qui est intervenue auprès d’enfants dans les FATA en tant que membre de l’organisation non gouvernementale (ONG) locale Bacha Khan Trust Education Foundation.

Bien souvent, ils ne peuvent pas se tourner vers les adultes de leur foyer – en général, leur mère – pour trouver réconfort et conseils, car bon nombre d’adultes ont eux aussi été traumatisés par la guerre. « Les mères souffrent d’une forme extrême de trouble de stress post-traumatique », a dit à IRIN Mme Ijaz. « Cela inclut un sentiment d’insécurité et de perte dû [au] conflit, [et] elles transmettent ces problèmes à leurs enfants ».

Les enfants ont d’autant plus de difficultés à comprendre les situations auxquelles ils sont confrontés à l’extérieur de leur foyer qu’ils manquent de soutien. A Datta Khel, un district situé à l’ouest de Miran Shah, à environ 17 km de la frontière afghane et du couloir emprunté par les insurgés pour se rendre en Afghanistan, les drones américains ont frappé à plus de 50 reprises, faisant des centaines de victimes parmi les militants et les civils. La population les appelle des « ghangay » - ce nom vient du bruit fait par les moteurs des drones, soit localement « ghang-ghang » qui est devenu « ghangay ». Désormais, dès qu’ils entendent un bruit similaire, les enfants courent se mettre à l’abri.

L’après-midi, les enfants sortent des maisons aux murs de boue pour se retrouver sur les collines dénudées et jouer avant d’aller à la classe du soir à la madrassa locale. Ici, le gendarme et le voleur ont été remplacés par le soldat et le taliban. Un groupe d’une dizaine d’enfants se divise en deux camps : le premier se compose de soldats, le second de talibans. La majorité des enfants veulent être des talibans.

Quatre enfants armés de bâtons en bois prétendent être des soldats lancés à la recherche des talibans qui se trouvent chacun une cachette. Les talibans sont toujours plus nombreux que les soldats. Ils prennent les soldats en embuscade, et les enfants jettent de la poussière en l’air pour imiter les explosions, puis ils capturent les soldats.

Un « amir » (un chef) – un enfant plus âgé – prononce un discours de victoire. «Ô infidèles, prenez garde ! Quiconque travaille pour vous subira les mêmes conséquences. Ils ont trahi l’islam. Ils ont vendu leur honneur pour des dollars. Tuons-les ! ». Les autres enfants répondent en criant « Dieu est grand ! ». Lorsqu’un cerf-volant apparait dans le ciel, les enfants courent se mettre à l’abri, en criant « ghangay, ghangay !! ». Ceux d’entre eux qui prétendent d’être des soldats rient et les suivent en courant.

Bon nombre d’écoles ont été détruites dans les FATA, il n’y a pas donc pas grand-chose pour distraire les enfants du conflit. Le département de l’Education des FATA indique que plus de 1 183 écoles – soit un tiers des établissements de la région – ont fermé leurs portes après avoir été endommagées ou parce que les populations craignent d’être prises entre les feux croisés de l’armée et des talibans. Les écoles qui sont encore ouvertes sont souvent confrontées à un manque d’enseignants – l’agence de Bajaur ne compte qu’un enseignant pour 74 élèves. Seuls 33 pour cent des enfants vont à l’école dans les FATA.

Inspirés par les vidéos des militants, les enfants prétendent être des kamikazes ou des combattants. Leurs discussions tournent autour des opérations des talibans, des attaques et des massacres qu’ils perpètrent. « Mes enfants racontaient toujours des histoires d’Al Qaida, des talibans locaux, des attaques de drones et des massacres de Mir Ali, au Nord-Waziristan [à la maison] », a dit à IRIN Nasir Dawar, un journaliste. « J’ai vu des enfants courir se mettre à l’abri et se cacher sous leur lit quand les drones commençaient à tourner dans le ciel ». Le changement de comportement de ses enfants a conduit M. Dawar à installer sa famille à Peshawar.

Les enfants sont négligés

La clinique du docteur Mian Iftikhar Hussain qui offre 40 lits dans la banlieue de Peshawar est très occupée, car les habitants des FATA doivent attendre pour obtenir une consultation, car le psychiatre est très occupé. Une famille arrive du Nord-Waziristan : le père espère que le médecin pourra soigner plusieurs femmes de sa famille qui souffrent de trouble de stress post-traumatique.

« Ma tête est pleine de bruits, je ne peux pas dormir », dit l’une de ces femmes à M. Hussain, qui pense que sa patiente a probablement assisté à une attaque de drone.

Muhammad Gul, 70 ans, arrive de l’agence de Bajaur. Il n’est plus le même depuis qu’il a vu un engin explosif improvisé (EEI) exploser. Il souffre d’arythmie cardiaque, tremble en permanence et sursaute au moindre bruit fort.

Le Pakistan n’a pas les services de santé mentale nécessaires pour soigner toutes les personnes qui ont besoin d’aide. Une étude réalisée en 2009 par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a conclu que le pays ne comptait que 342 psychiatres et 478 psychologues pour une population de 190 millions d’habitants. Les manques sont encore plus criants dans le Nord-Ouest, où le conflit est permanent. Les établissements comme celui de M. Hussain sont incapables de faire face à la demande.

En 2011, le ‘Sarhad Hospital for Psychiatric Diseases’, l’un des établissements les plus importants de la région, a traité près de 90 000 patients originaires des FATA, dont environ 50 000 souffraient de troubles causés par le conflit.

« On oublie les enfants, malheureusement », a dit à IRIN M. Hussain. « [Le seul] chiffre du nombre de femmes souffrant de problèmes psychiatriques est presque quatre fois plus élevé qu’il ne l’était avant le début du conflit dans les FATA ». Moins d’un pour cent des lits sont réservés aux enfants et aux adolescents souffrant de problèmes de santé mentale au Pakistan.

« J’ai constaté que les enfants ressentent les effets de la guerre de manière plus profonde et plus forte … Des milliers d’enfants [ont] perdu leur enfance », a dit M. Hussain, qui soigne des patients atteints de troubles psychiatriques depuis près de 30 ans. « L’entêtement, les tendances à la violence, le rejet de l’éducation, [et] un penchant pour la drogue et le crime sont très courants chez ces enfants de la guerre ».

Il dit que « La période entre l’âge de 5 ans et 14 ans est très importante pour le développement humain et, malheureusement, la majorité des habitants des zones touchées par le conflit appartiennent à ce groupe d’âge ».

Seuls quelques hôpitaux publics offrent des soins psychiatriques aux habitants des FATA ; la majorité des patients se tournent donc vers des cliniques privées surchargées et des hôpitaux privés situés, pour la plupart, à Peshawar, ce qui représente un trajet de quatre heures coûteux en argent depuis le Nord-Waziristan. « La situation des enfants est encore plus triste, car personne ne prend en compte leurs problèmes et les enfants ne peuvent pas les expliquer [eux-mêmes], », a dit M. Hussain.

Les camps de secours, comme le camp de Jalozai, situé à l’extérieur de Peshawar, sont l’un des rares endroits où les enfants peuvent recevoir des soins. Jalozai accueille plus de 12 000 enfants, mais cela ne représente qu’une petite partie des enfants qui fuient la guerre. Des millions d’habitants des FATA ont été déplacés, mais les autorités estiment que moins de 20 pour cent d’entre eux sont passés par les camps de secours.

« Les rares ressources disponibles sont utilisées dans les camps, et cela… [ne couvre] qu’une partie de la population » a dit à IRIN Ali Askar, un enseignant de l’université de Peshawar qui effectue des recherches sur l’impact du conflit sur les enfants.

« La situation est tellement chaotique que personne ne se préoccupe des enfants et de l’avenir de cette région », a-t-il dit. « Si l’on ne prend pas soin de ces enfants, ils finiront pas tomber dans le crime ou deviendront des armes mortelles pour les réseaux terroristes ».

Ni distractions, ni jeux

Après le 11 septembre 2001, Al Qaida a créé des camps spéciaux dans le Nord-Waziristan afin d’entraîner les enfants, une tâche supervisée par les dirigeants de l’organisation pendant de nombreuses années. Un groupe spécial d’enfants combattants, baptisé ‘Jaish ul Tifal’, a été mis en place. Les premiers camps sont aujourd’hui fermés et la majorité des instructeurs arabes ont quitté le Pakistan, mais cette pratique a inspiré plusieurs autres groupes du Nord-Waziristan qui ont créé leurs propres programmes de recrutement des enfants.

Lors de l’offensive lancée par l’armée pakistanaise en 2009 pour reprendre la vallée de Swat aux talibans, les soldats pakistanais disent avoir découvert un camp d’entraînement pour les enfants-kamikazes et ont trouvé quelque 200 enfants prêts à perpétrer des attentats-suicides. Les enfants ont dit aux autorités locales que le camp comptait 1 200 enfants avant le raid et que bon nombre d’entre eux avaient été achetés à des prix allant de 700 dollars à 1 400 dollars ou avaient été enlevés à leurs parents pour recevoir une formation aux attentats-suicides.

Des enfants d’à peine 12 ans sont apparus sur des vidéos de propagande publiées par les talibans et dans lesquelles on les voit décapiter des prisonniers.

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This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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