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Une nouvelle offensive contre les activistes fait fuir les civils au Pakistan

Families from North Waziristan traveling to Bannu. Pakistani security forces have setup checkpoints along the road. Umar Farooq/IRIN
La très ancienne ville pakistanaise de Bannu est située non loin de l’agence tribale du Nord-Waziristan – bastion des insurgés qui opèrent en Afghanistan et au Pakistan. La ville accueille aujourd’hui les familles déplacées qui fuient l’attaque imminente des forces gouvernementales dans les zones tribales sous administration fédérale (Federally Administrated Tribal Areas, FATA).

Des lignes électriques serpentent au sol vers une douzaine de campements en terre et en briques construits à la hâte. Ces derniers servent de logements provisoires aux familles du Nord-Waziristan qui ont mis en commun leurs économies en prévision d’une longue campagne militaire.

En réalité, l’offensive a déjà commencé ; des dizaines de milliers de soldats sont déployés sur le terrain dans le Nord-Waziristan, et l’armée a procédé à des frappes aériennes. Or, aucune opération militaire n’a été officiellement déclarée par les autorités pakistanaises, alors que des centaines de milliers d’habitants risquent de se retrouver pris au piège dans un conflit meurtrier entre l’État et les talibans.

Au campement improvisé de Bannu, Hajji Sher Wali Khan, 70 ans, est assis entouré de sa famille élargie qui compte 150 femmes et enfants. Tous ont quitté leur village près de la ville de Mir Ali dans la soirée du 31 mai. Ils ont parcouru 37 kilomètres, soit un trajet de sept heures au cours duquel ils ont été arrêtés à quatre postes de contrôle distincts et interrogés par des soldats.

Bombardement aérien

« Nous sommes partis à cause des combats incessants. Il y a des bombes et des avions. Nous voulions sauver la vie de nos enfants, de nos femmes », a déclaré à IRIN M. Khan.

« Les gens ordinaires étaient pris au piège entre les drones dans le ciel et [les] couteaux [des activistes] au sol… Aujourd’hui, les couvre-feu quotidiens et les bombardements ont fait du Nord-Waziristan un véritable enfer. »
Le Nord-Waziristan est sous couvre-feu quasi permanent, maintenu isolé du monde extérieur depuis le 8 mai, date à laquelle un engin explosif improvisé (EEI) a tué huit militaires pakistanais près de la ville de Mir Ali. « Le couvre-feu nous empêchait de quitter notre maison », a expliqué M. Khan. « Nous ne pouvions rien acheter, et il n’y avait pas de farine, ni d’huile de cuisson sur les marchés. Nous n’avions ni eau, ni électricité. Il n’y avait pas de médecins dans les hôpitaux et les cliniques, qui étaient parfois tout simplement fermés. Comment est-il possible de vivre dans de telles conditions ? »

Lorsque l’armée pakistanaise a temporairement levé le couvre-feu le 31 mai au matin, M. Khan et sa famille en ont profité pour aller à Bannu, dans la province voisine de Khyber Pakhtunkhwa.

Selon l’Autorité de gestion des catastrophes des zones tribales sous administration fédérale (FDMA), qui vient en aide aux personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays (PDIP) dans la région, elles sont plus de 17 000 à avoir fui le Nord-Waziristan au cours du mois dernier. Selon les responsables, pas moins de 800 personnes ont également franchi la frontière en direction des provinces de Khost et de Paktika, en Afghanistan.

Des semaines de frappes aériennes et d’affrontements au sol entre l’armée et les talibans auraient fait 70 morts, dont au moins 30 civils.

Mais, tant que les autorités pakistanaises ne déclarent pas que le Nord-Waziristan est bien une zone de conflit, la FDMA et les organisations humanitaires internationales ne peuvent pas fournir d’abris ni de secours aux habitants qui fuient. Selon la FDMA, pas moins de 628 000 PDIP pourraient quitter la région.

Le TTP a repris les armes
Une offensive militaire lancée en 2009 contre le siège initial du Tehrik-e-Taliban Pakistan (TTP), au Sud-Waziristan, a provoqué le déplacement de centaines de milliers d’hommes de la tribu Mahsud qui, à l’image des tribus Dawar et Wazir aujourd’hui, ont refusé d’aller dans les camps de PDIP.

Les commandants du TTP se sont enfuis au Nord-Waziristan et en Afghanistan, et le chef du groupe, Hakimullah Mehsud, a été tué par une frappe de drone américain, l’année dernière. À la suite de cela, de graves dissensions ont eu lieu au sein du TTP, car Mullah Fazlullah, originaire de la vallée de Swat et non de la région, a été nommé à la tête du groupe.

Deux factions, l’une dirigée par le commandant Khan Said Mehsud, et l’autre par Shahryar Mehsud, ont revendiqué le statut de nouveau dirigeant, car tous deux appartenaient à la tribu des Mehsuds, majoritaires dans les rangs du TTP. Cela a provoqué des affrontements entre les deux factions rivales au Sud et au Nord-Waziristan, ainsi que des exécutions dans la région de Karachi où le TTP est très bien implanté. Ces luttes intestines ont tué plus d’une centaine d’activistes depuis le mois de mars.

La division a eu lieu au moment où le Pakistan tentait de conclure un accord de paix avec le TTP. La faction de Khan Said était en faveur d’un accord de paix , contrairement à celle de Shahryar qui a refusé de négocier et a continué d’attaquer les installations militaires dans le Nord-Waziristan. Il est également responsable de l’attaque du 8 mai où un EEI a tué huit militaires, ce qui est à l’origine du conflit actuel.
Au cours des dix dernières années, le Pakistan a mené plus d’une demi-douzaine d’opérations militaires pour déloger les talibans des FATA, provoquant dans le même temps le déplacement de millions de personnes. Arshad Khan, le directeur général de la FDMA, a expliqué que, lors de toutes les opérations précédentes, son équipe était prévenue au moins quinze jours à l’avance, afin de permettre la mise en place de l’aide humanitaire.

Le Pakistan a toujours dépendu de l’aide internationale qui porte secours aux PDIP, mais le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (OCHA) et le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) ont déclaré ne pas avoir été informés du lancement de l’opération militaire dans le Nord-Waziristan. « L’État continue d’appeler ces [actions] des frappes chirurgicales », a déclaré à IRIN Humaira Mehboob, porte-parole d’OCHA à Islamabad.

Les anciens conseillent de partir


En guise de déclaration des autorités gouvernementales, les chefs tribaux et les responsables activistes ont conseillé aux habitants de partir. Événement rare ; une jirga (assemblée tribale) s’est tenue les 30 et 31 mai en présence de responsables de mouvements activistes de la région et de plus de 5 000 anciens du Nord-Waziristan. L’assemblée tribale a conseillé à la population de quitter la région avant le 10 juin.

Les morts civiles signalées à la suite de frappes aériennes - au cours desquelles des avions et des hélicoptères pakistanais ont bombardé des bâtiments et des habitations près du marché principal de Mir Ali, le 21 mai au petit matin - sont à l’origine du rassemblement et des déclarations de la jirga. D’après les habitants, un hôpital de Mir Ali qui n’avait plus d’électricité ni de fournitures médicales depuis des semaines, a également été touché au cours de l’attaque. De nombreuses boutiques de l’immense bazar de Mir Ali ont été détruites.

« Quarante personnes ont été tuées, dont presque toute une famille, y compris des enfants, des femmes et des jeunes garçons qui n’avaient rien à voir avec les activistes », a dit à IRIN Malik Akbar Khan, un ancien de la tribu Dawar, une importante tribu pachtoune. « C’étaient tous des civils. »

Tahira Noor, une petite fille de huit ans, a encore le bas du dos couvert de blessures causées par les pans d’un mur de briques qui s’est effondré sur elle dans sa maison située à quelques centaines de mètres du marché. L’habitation a été touchée par trois bombardements successifs des forces aériennes pakistanaises dès deux heures vingt du matin. « Il n’y a pas eu de sirène, pas de bruit avant. Nous avons été totalement pris par surprise », a-t-elle raconté.

Le père de Tahira, Fazlur Noor, ainsi que deux de ses frères étaient partis à Bannu deux jours avant, afin d’organiser l’arrivée de leur famille là-bas. « Toutes nos épouses et tous nos enfants sont morts, à part cette petite fille et une autre », a déclaré M. Noor devant la maison qu’il avait bâtie pour loger sa famille élargie, désormais décimée.

Ataullah, l’oncle de Tahira, a vu les avions lâcher trois bombes. « Plus tard dans la matinée, des hélicoptères nous ont mitraillés et ont blessé un sauveteur », a-t-il dit.

« Nous avons attendu trois jours la levée du couvre-feu avant de pouvoir emmener [Tahira] à Bannu pour la soigner », a déclaré M. Noor, précisant qu’aucun fonctionnaire pakistanais n’avait pris contact avec lui depuis les frappes aériennes. Il affirme que les morts sont principalement des enfants âgés de trois à dix ans, et même un bébé de deux ans nommé Abid Aqeel.

Les responsables militaires contactés par IRIN ont rejeté les allégations faisant état de victimes parmi les civils. Un communiqué du 22 mai déclare que les frappes aériennes ont tué « 60 terroristes ».

Le Nord-Waziristan est le fief de plusieurs groupes activistes, certains ayant pris part à l’insurrection en Afghanistan, le pays voisin, et d’autres opérant au Pakistan.

Les groupes activistes


La plus grande organisation, Tanzeem Mujadideen-e-Waziristan, est dirigée par Hafiz Gul Bahadar, un influent commandant taliban, et envoie des combattants de l’autre côté de la frontière, en Afghanistan. En 2006, M. Bahadar a signé un accord de paix avec le gouvernement du Nord-Waziristan, afin d’obtenir un cessez-le-feu entre ses combattants et l’armée pakistanaise.

Par le biais de tracts distribués dans les rues du Nord-Waziristan, M. Bahadar a annoncé la fin de cette trêve le 30 mai, en invoquant les victimes civiles tuées par les frappes militaires. Il a également ordonné à la population de se réfugier dans des zones plus sûres près de la frontière afghane avant le 10 juin, et a appelé tous les groupes activistes à s’unir dans la lutte contre les forces armées pakistanaises.

Les anciens des tribus Wazir et Dawar, les plus importantes de la région, ont affirmé qu’ils préféraient aller vivre chez des parents ou des amis plutôt que dans les camps pakistanais pour PDIP. Poussés par ces déclarations, de nombreux habitants du Nord-Waziristan devraient se réfugier en Afghanistan, où vivent les proches des membres des tribus.

Le Pakistan dispose de trois brigades dans le Nord-Waziristan. Les soldats ont pour objectif principal de combattre les membres d’Al-Qaida et ceux du Tehrik-e-Taliban Pakistan (TTP), le plus grand réseau d’activistes du pays dont le but affiché est de renverser le gouvernement pakistanais.

Des officiers de haut rang ont déclaré à IRIN que les localités de Datta Khel, Eso Khel, Danday Darpakhel, Esori et de Mir Ali, ainsi que des zones aux abords de la rivière Tochi risquaient d’être touchées par l’offensive militaire. C’est dans ces zones que se cacheraient les activistes liés à Al-Qaida et au TPP, le principal réseau du pays.

L’administration du Nord-Waziristan a affirmé que les 600 000 habitants de ces zones avaient déjà subi de lourds combats au cours des dernières années. En outre, plus des deux tiers des 370 frappes de drones, suspectées d’être d’origine américaine et qui sont tombées dans les FATA, ont eu lieu au Nord-Waziristan.

« Les gens ordinaires étaient pris au piège entre les drones dans le ciel et [les] couteaux [des activistes] au sol », a expliqué Haji Toor Gul Dawar, instituteur dans une école de la région. « Aujourd’hui, les couvre-feu quotidiens et les bombardements ont fait du Nord-Waziristan un véritable enfer. »

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This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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