1. Accueil
  2. Europe

Comprendre la vague de migrants qui déferle sur les côtes européennes

A boat carrying sub-Saharan African migrant workers arrives in Lampedusa from Tripoli. Thousands of migrants have made the perilous journey Kate Thomas/IRIN
Les journaux italiens se sont récemment fait l’écho de l’arrivée d’un nombre incalculable de bateaux délabrés débarquant des milliers de migrants désespérés sur les côtes du pays.

Depuis le début de l’année, plus de 38 000 migrants en situation irrégulière sont arrivés en Italie, la majorité débarquant sur la petite île de Lampedusa, au sud de la Sicile. Il s’agit d’une hausse significative par rapport au chiffre de 4 290 migrants ayant fait la traversée qui a été relevé à la même période en 2013. Cependant, les autorités italiennes ont laissé entendre que ces chiffres n’étaient que la partie émergée de l’iceberg.

Le mois dernier, les propos du responsable de la Police de l’immigration et des frontières de la police italienne ont été repris à de multiples occasions par les médias : témoignant devant un comité parlementaire, il avait annoncé que 800 000 migrants supplémentaires étaient sur le point de quitter la côte nord-africaine pour rejoindre l’Europe. Il a ensuite reconnu que ce chiffre n’était « pas une prévision concrète ».

Si les inquiétudes de l’Italie et des pays de l’Union européenne portent plutôt sur le nombre de migrants qui arriveront pendant l’été, saison généralement plus chargée, et sur leur destination, un petit nombre de chercheurs essayent de comprendre ce qui a déclenché la vague de migrants empruntant cet itinéraire et de connaître leur pays d’origine.

Toutes les routes mènent à la Libye

D’après le ministre italien de l’Intérieur, 31 pour cent des migrants arrivés par la mer depuis le début de l’année sont Erythréens, ce qui représente une augmentation significative par rapport aux années précédentes. Les ressortissants syriens comptent pour 14 pour cent des arrivants. Des migrants d’autres nationalités, notamment des Somaliens, des Ethiopiens, des Soudanais et des migrants de pays d’Afrique de l’Ouest, comme le Mali, le Nigeria et le Sénégal, font également partie des arrivants.

La grande majorité des bateaux sont partis de Libye, où les passeurs profitent du vide sécuritaire créé par la chute du régime de Mouammar Kadhafi en 2011 pour créer des itinéraires et transporter des migrants clandestins ainsi que des marchandises illégales entre les frontières sud du pays et les villes côtières du Nord.

Un rapport récemment publié par le Regional Mixed Migration Secretariat (Secrétariat régional sur la migration mixte, RMMS), basé à Nairobi, et le Conseil Danois pour les réfugiés examine des données montrant que les migrants et les demandeurs d’asile originaires de la Corne de l’Afrique sont de plus en plus nombreux à vouloir entreprendre un périple dangereux vers la Libye et l’Europe, car les itinéraires autrefois empruntés par les migrants et qui leur permettaient de rejoindre l’Arabie saoudite via le Yémen et Israël via l’Egypte leur sont en majorité fermés.

Les auteurs du rapport laissent entendre que l’afflux de demandeurs d’asile originaires d’Erythrée, de Somalie et du Soudan qui « partent à l’Ouest » vers la Libye et l’Europe augmente rapidement malgré les risques énormes associés à cet itinéraire.

« Nous ne savons pas exactement combien de [migrants] se trouvent en Libye. Mais nous pouvons dire avec certitude que les chiffres sont en augmentation », a dit Melissa Phillips, une chercheuse du RMMS qui vient de quitter son poste de responsable des programmes pour le Conseil danois pour les réfugiés en Libye.

Mme Phillips a souligné l’absence de contrôle aux frontières terrestres du sud de la Libye, principale porte d’entrée des migrants et des passeurs après des périples périlleux à travers les déserts du Soudan, du Tchad et du Niger. « Il y a un total trou noir de l’information sur les frontières sud de la Libye », a-t-elle dit à IRIN. « Les seuls chiffres fiables dont nous disposons concernent les personnes qui partent …

« Il y a un nombre indéterminé de personnes qui n’arrivent pas rejoindre leur [destination] souhaitée, qu’il s’agisse de régions de la Libye où elles espèrent trouver du travail ou de l’Europe », a-t-elle ajouté.

Selon le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), plus de 170 migrants sont morts depuis le début de l’année en essayant de rejoindre l’Europe par la mer. On ne sait pas combien d’entre eux sont morts de soif ou de faim en traversant le Sahara, mais le rapport du RMMS indique que la traversée du Sahara est « encore plus dangereuse » que la traversée de la Méditerranée.

En avril, les forces armées soudanaises ont découvert 600 migrants, pour la plupart Erythréens et Ethiopiens, abandonnés par leur passeur près de la frontière libyenne. Dix d’entre eux étaient morts de faim et de soif avant que les secours n’atteignent le groupe.

Bon nombre de migrants interrogés dans le cadre du rapport du RMMS ont raconté que des membres des groupes avec lesquels ils voyageaient étaient morts parce qu’ils n’avaient pas suffisamment d’eau et de nourriture pour effectuer la traversée du désert.

« Misère et insécurité » en Libye

Bien souvent, leur calvaire se poursuit après leur arrivée en Libye. Les demandeurs d’asile et les réfugiés sont en général considérés comme des migrants en situation irrégulière, car le pays n’a pas de régime d’asile. Les demandeurs d’asile peuvent s’enregistrer auprès du HCR, mais l’agence n’a pas de statut officiel en Libye et le document qu’elle fournit aux demandeurs d’asile n’est pas universellement reconnu par les autorités libyennes.

Les demandeurs d’asile interrogés dans le cadre de la rédaction d’un rapport du Service jésuite des réfugiés de Malte (Jesuit Refugee Service Malta) en janvier 2014 ont dit vivre dans la peur constante d’être arrêtés et placés en détention pour une durée indéterminée par les forces armées libyennes ou par l’une des milices qui contrôlent de grandes parties du pays. Dans certains cas, leurs ravisseurs étaient des kidnappeurs qui ont demandé des rançons d’un montant exorbitant pour leur libération. Les conditions de vie, même dans les centres de détention gérés par l’Etat, sont très mauvaises et en général il n’y a pas de soins de santé.

Une étude réalisée auprès de 1 000 migrants par le Conseil danois pour les réfugiés à la fin de l’année dernière a conclu que les migrants originaires d’Afrique de l’Ouest en particulier souhaitaient demeurer en Libye pour trouver du travail et aider leur famille restée au pays, mais que l’insécurité ambiante et les conditions de vie et de travail de plus en plus difficiles conduisaient certains d’entre eux à envisager de s’installer en Europe.

« Aller en Italie n’est pas forcément notre objectif, à cause de la misère et de l’insécurité. En Lybie, quand ils pointent une arme sur vous, ce n’est pas pour plaisanter. En Europe, nos frères nous ont dit qu’ils avaient du mal à trouver un travail, mais au moins ils sont en sécurité »
Camara Diagarida, un jeune de 24 ans originaire de Côte d’Ivoire, est arrivé à Tripoli, la capitale libyenne, dans l’espoir de trouver du travail au mois de mars. « Nous venons tous les jours au rond-point », a-t-il dit à IRIN. « Lorsqu’un camion s’arrête, nous courons vers lui. Si on a de la chance, le patron nous prend, mais on peut passer deux ou trois jours sans travailler et parfois ils ne nous paient même pas.

« Si je trouve de l’argent, je partirai en Europe. Cela coûte entre 800 dollars et 1 000 dollars. Aller en Italie n’est pas forcément notre objectif, à cause de la misère et de l’insécurité. En Lybie, quand ils pointent une arme sur vous, ce n’est pas pour plaisanter. En Europe, nos frères nous ont dit qu’ils avaient du mal à trouver un travail, mais au moins ils sont en sécurité ».

La réponse de l’Europe

Suite au naufrage qui a coûté la vie à plus de 350 demandeurs d’asile non loin des côtes de Lampedusa en octobre 2013, la marine et les garde-côtes italiens ont lancé l’opération Mare Nostrum, dont l’objectif est d’intercepter et de venir en aide aux migrants embarqués sur des bateaux inaptes à la navigation et d’éviter de nouvelles tragédies. La mission a permis de sauver plus de 43 000 personnes secourues par la flotte de cinq vaisseaux au cours des sept derniers mois, mais les groupes anti-immigrants en Italie se sont plaints des coûts engendrés pour le contribuable et ont indiqué que, en réduisant les risques liés à la traversée, l’Italie encourage plus de migrants à entreprendre le périple.

Récemment, le ministre italien de l’Intérieur a menacé de relâcher les migrants demandeurs d’asile et de les laisser partir vers les autres pays si l’Italie ne recevait pas davantage d’aide de l’Europe pour couvrir les coûts des opérations de sauvetage et de traitement des dossiers des migrants.

Pendant ce temps, les groupes de défense des réfugiés et des migrants soutiennent que la décision de l’Europe de se concentrer sur l’interception et le sauvetage des migrants est mal venue. Ils soulignent que les migrants, dont un grand nombre fuit les persécutions et les conflits dans leur pays d’origine, n’entreprendraient pas des périples aussi dangereux s’ils pouvaient venir en Europe légalement. Ils ont appelé les pays européens à accroître le nombre de places de réinstallation pour les réfugiés, à assouplir les lois relatives au regroupement familial et à accepter les demandes d’asile ou de visa humanitaire déposées dans les ambassades des pays d’origine des migrants ou dans des pays tiers.

« Les gens montent dans les bateaux parce qu’il n’y a pas de moyen légal », a dit Mme Phillips. « Il faut des solutions légales pour rejoindre l’Europe et cela permettra à l’Europe de montrer qu’elle veut vraiment partager le fardeau avec des pays comme la Lybie ».

Dans le cadre de la Mission de l'Union européenne d'assistance aux frontières (EUBAM) en Libye, les Etats membres de l’UE ont alloué 41 millions de dollars à la Libye pour lui permettre d’améliorer et de développer la sécurité à ses frontières. Cependant, la mission, qui entre dans sa deuxième année, a été fortement entravée par l’instabilité sécuritaire qui règne dans le pays et par l’absence d’un gouvernement central fort.

« Les autorités libyennes sont prêtes à écouter nos conseils, mais honnêtement, la capacité d’absorption est limitée », a dit Françoise Lambert, en charge de la presse et de l’information à l’EUBAM. « Les interlocuteurs locaux avec qui nous travaillons n’ont pas toujours la formation nécessaire, il peut nous arriver de travailler avec une personne pendant un certain temps et puis elle disparaît ».

Le personnel de la mission n’a pas pu se rendre à la frontière sud, une porte d’entrée importante pour les migrants, en raison de l’insécurité qui règne dans le Sud. Une grande partie du travail de la mission a porté sur la formation des garde-côtes qui doivent secourir et arrêter les migrants qui tentent de quitter la Lybie en bateau. Si la formation insiste sur l’importance du respect des droits de l’homme des migrants et de la fourniture de soins médicaux, la mission de l’EUBAM ne couvre pas la mise en détention des migrants, qui intervient généralement après leur interception.

L’EUBAM a été créé en réponse à une demande du gouvernement libyen, mais elle est perçue comme servant les intérêts des Etats membres de l’UE qui préfèreraient voir moins de migrants arriver leurs frontières.

« Former des garde-côtes [libyens] pour qu’ils éloignent les gens n’est absolument pas une bonne solution », a dit Stefan Kessler, haut responsable de la politique et du plaidoyer du Service jésuite des réfugiés pour l’Europe. « Les demandeurs d’asile ne sont pas absolument pas en sécurité là-bas et les garde-côtes les empêchent de trouver la protection ailleurs ».

Mme Phillips a reconnu que le fait d’empêcher les migrants de rejoindre l’Europe n’était pas la bonne approche. « Le problème est abordé sous l’angle de la destination … mais si nous ne nous intéressons pas aux [pays] de transit et d’origine, il nous manque une partie de l’histoire », a-t-elle dit à IRIN.

« Nous ne comprenons pas l’ampleur et la dimension de la situation en Libye, nous ne comprenons pas ce qui conduit les gens à quitter leur pays d’origine et ce que l’on peut faire pour leur venir en aide ici ou pendant leur périple ».

ks/cb-mg/amz


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

Partager cet article

Get the day’s top headlines in your inbox every morning

Starting at just $5 a month, you can become a member of The New Humanitarian and receive our premium newsletter, DAWNS Digest.

DAWNS Digest has been the trusted essential morning read for global aid and foreign policy professionals for more than 10 years.

Government, media, global governance organisations, NGOs, academics, and more subscribe to DAWNS to receive the day’s top global headlines of news and analysis in their inboxes every weekday morning.

It’s the perfect way to start your day.

Become a member of The New Humanitarian today and you’ll automatically be subscribed to DAWNS Digest – free of charge.

Become a member of The New Humanitarian

Support our journalism and become more involved in our community. Help us deliver informative, accessible, independent journalism that you can trust and provides accountability to the millions of people affected by crises worldwide.

Join