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Le monde peut-il réellement mettre fin à la pauvreté d’ici 2030 ?

The Wakulima market in Nairobi, Kenya. Wakulima is the biggest market in East Africa, attracting thousands of traders from the region every day. March 2011 Siegfried Modola/IRIN
The Wakulima market in Nairobi, Kenya
Cela fait des années que les spécialistes du développement et les stars philanthropes ont adopté le slogan « abolissons la pauvreté » (« make poverty history », en anglais). Cherchant à joindre le geste à la parole, la communauté internationale est en train d’en faire un objectif universel à atteindre en une génération.

Les Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD), un ensemble de huit cibles visant à réduire la pauvreté signé en 2000 lors d’un sommet mondial, seront caducs dès l’année prochaine. Des diplomates, des experts de l’aide humanitaire et des fonctionnaires des Nations Unies négocient actuellement les objectifs sur 15 ans qui leur succèderont en 2016.

Les discussions à ce sujet ne sont pas terminées, mais ces nouveaux objectifs prendront probablement le nom d’objectifs de développement durable (ODD) et comprendront une dizaine de cibles. Le but global sera probablement de mettre fin à l’extrême pauvreté, c’est-à-dire que plus aucun être humain ne vive avec moins de 1,25 dollar par jour à l’horizon 2030.

Les nouveaux objectifs ne seront pas complètement fixés avant septembre 2015, mais le cadre général a déjà été adopté. Les cibles proposées incluent l’amélioration de la qualité des écoles pour tous les enfants et des mesures visant à donner un accès universel aux soins de santé à l’ensemble des sept milliards d’êtres humains.

D’autres objectifs sont plus controversés, comme réduire la corruption au sein des gouvernements, mettre fin au changement climatique, rationaliser les systèmes d’immigration et limiter les revenus des plus riches comparés à ceux des plus pauvres.

Selon Gina Lucarelli, experte politique pour le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), le débat change la donne – du moins sur le papier – et prétend réaliser l’objectif affirmé depuis longtemps d’un monde équitable et d’une gestion durable de la planète.

« Les diplomates veulent que ces objectifs soient mesurables et ambitieux, ils veulent être la génération de négociateurs qui aura réussi à changer les choses », a-t-elle dit. « La situation n’est plus la même. Nous avons les ressources. Nous avons l’expertise. Nous pouvons vraiment changer les choses. »

Peu d’économistes du développement vont jusqu’à discréditer les OMD, mais les avis sont partagés quant à l’efficacité des objectifs convenus à New York pour changer la réalité sur le terrain dans les zones les plus défavorisées d’Afrique, d’Asie et d’Amérique du Sud.

En effet, si certaines cibles des OMD seront atteintes à l’horizon 2015, ce ne sera pas le cas de toutes. L’objectif consistant à diviser par deux le nombre de personnes vivant avec moins de 1,25 dollar par jour s’est cependant rapidement concrétisé et a été atteint cinq ans plus tôt que prévu.

D’autres objectifs, comme la scolarisation de tous les enfants, garçons et filles, en âge de fréquenter l’école primaire ou la réduction de trois quarts du nombre de femmes qui meurent en couche, ne seront par contre pas atteints d’ici l’échéance de 2015, même si des progrès ont été observés.

L’importance des objectifs est-elle surestimée ?

Autre raison pour être circonspects : il n’est pas certain que les progrès réalisés soient dus aux objectifs des Nations Unies. De nombreux analystes s’accordent à dire que les avancées dans la lutte contre la pauvreté sont une conséquence indirecte de la croissance à deux chiffres des marchés émergents les plus peuplés, à savoir la Chine et l’Inde.

« On peut fortement surestimer l’importance des objectifs », a dit Claire Melamed, de l’Institut de développement d’outre-mer britannique (Overseas Development Institute, ODI). « Au mieux, ils ont joué un petit rôle marginal. Le principal moteur dans un pays, ce ne sont pas les objectifs des Nations Unies. De la Chine à la Thaïlande en passant par le Kenya, les gouvernements se soucient davantage des dynamiques politiques internes. »

Les OMD sont également critiqués pour n’être que des objectifs souhaitables et non des engagements juridiquement contraignants, pour ne pas être plus ambitieux en ce qui concerne le changement climatique et pour ne pas inciter plus fortement les pays riches à aider le monde en développement par le biais du commerce, de l’allègement de la dette et de l’investissement.

D’après des travailleurs humanitaires sur le terrain, les OMD peuvent être trompeurs. En effet, pourquoi compter le pourcentage d’enfants inscrits à l’école primaire lorsqu’il n’y a pas d’enseignants dans les salles de classe ? D’autres remettent en question le bien-fondé de l’utilisation de mêmes mesures pour des pays aussi différents que la Bolivie, le Botswana et la Biélorussie.

Les problèmes structurels et les objectifs manqués n’ont toutefois pas relégué les OMD aux oubliettes de l’histoire. Les gouvernements sont en train de débattre d’un nouvel accord pour y succéder. Les pourparlers débuteront véritablement l’année prochaine. Comme l’a dit Mme Melamed : « De nombreux accords des Nations Unies s’étiolent et disparaissent. Mais pas celui-ci. »

Amina Mohammed est la Conseillère spéciale pour la planification du développement après 2015 du secrétaire général des Nations Unies, Ban Ki-moon. Pour elle, les OMD ont servi à créer une identité de marque pour le programme de développement, chose qui n’existait pas avant.

« Avec les OMD, nous avons cannibalisé et rassemblé pour la première fois ces objectifs – comme la santé pour tous ou l’éducation pour tous », a-t-elle dit. « Cela a donné un coup d’accélérateur. Nous nous sommes fixé des objectifs minimes et nous sommes dit : “nous pourrions au moins faire ça”. Puis nous nous sommes rendu compte de la difficulté de la tâche. »

Dans son rapport How Can a Post-2015 Agreement Drive Real Change? (Comment un accord post-2015 peut-il apporter de réels changements ?), met en lumière les succès des OMD, qui ont fixé des normes mondiales sur des questions telles que les droits des femmes, ont fourni aux militants un outil de sensibilisation et ont poussé les gouvernements à agir.

Les rapports annuels et les classements jouent à la fois le rôle de carotte et de bâton pour les ministres de la Santé, de l’Éducation et des Transports. Ils les forcent à évaluer leurs progrès et s’assurer qu’ils font au moins aussi bien que leurs voisins.

« Les modes, les engouements et les hommes politiques vont et viennent », a dit Alex Evans, du Centre pour la coopération internationale de l’université de New York University. « Les OMD ont résisté à l’épreuve du temps et établi un scénario durable pour le développement mondial. »

Risque de recul

La conception de nouveaux objectifs est un processus important, qui a réuni des données recueillies auprès de quelque deux millions de personnes, les résultats de la conférence des Nations Unies sur le développement durable Rio+20 et un comité composé de 27 dirigeants et personnalités du monde entier.

« On peut fortement surestimer l’importance des objectifs […] Le principal moteur dans un pays, ce ne sont pas les objectifs des Nations Unies. De la Chine à la Thaïlande en passant par le Kenya, les gouvernements se soucient davantage des dynamiques politiques internes. »
Certains analystes s’inquiètent déjà de ce que l’objectif de mettre fin à l’extrême pauvreté d’ici 2030 soit bien trop ambitieux. Diviser par deux le nombre de personnes vivant avec moins de 1,25 dollar par jour était « à portée de main », a ajouté M. Evans. Ce qu’il reste à faire sera bien plus difficile.

Selon M. Evans, la génération qui est récemment sortie de la pauvreté et vit avec entre 2 et 13 dollars par jour est tellement vulnérable que les progrès réalisés ces dernières décennies pourraient facilement être inversés.

« Le taux de croissance des pays émergents ralentit et l’infrastructure des mégalopoles est réellement saturée. Ces personnes ont des emplois mal rémunérés. Elles sont surexposées à la hausse des prix des denrées alimentaires et de l’énergie », a-t-il dit.

Un modèle imparfait ?

Selon Danny Burns, de l’Institut britannique d’Études en développement (Institute of Development Studies, IDS), les personnes qui ne sont pas encore sorties de l’extrême pauvreté sont souvent des handicapés, des LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres), des personnes âgées ou des membres de groupes indigènes, religieux ou ethniques qui ont plus de chances d’être marginalisés par leur gouvernement que de bénéficier de son aide.

M. Burns a travaillé sur une étude concernant 29 pays, intitulée Work With Us: How People and Organisations Can Catalyse Sustainable Change (Travaillez avec nous : Comment la population et les organisations peuvent-ils être les catalyseurs d’un changement durable). L’étude a révélé que la mauvaise planification des projets de développement poussait souvent les plus démunis encore plus à la marge de la société.

M. Burns soulève un défaut dans la structure des ODD, à savoir que le modèle de croissance économique actuel ne profite pas aux plus pauvres. Il enrichit les élites et condamne les plus démunis à une pauvreté sans fin.

« D’un côté, on parle de faire en sorte que “personne ne soit laissé pour compte”. De l’autre, on défend une croissance et un développement infrastructurel dont une grande partie est source d’inégalité croissante et marginalise encore davantage les plus pauvres, » a-t-il dit.

« De l’usurpation des terres aux atteintes à l’environnement commises par des entreprises privées grâce à de grands projets économiques qui chassent des habitants de chez eux, [en passant par] les projets d’exploitation forestière qui poussent les gens vers les villes – tout cela est bon pour l’économie, mais pas pour les plus pauvres. »

Réduction des inégalités

Les diplomates des Nations Unies ont proposé un objectif de réduction des inégalités pour y remédier. L’idée la plus populaire est d’utiliser le ratio de Palma en cherchant à équilibrer le revenu des 10 pour cent les plus riches avec celui des 40 pour cent les plus pauvres.

L’une des caractéristiques clés des ODD est leur universalité. Elles incluent en effet les pays riches. Les chances de voir ces derniers accepter les objectifs de réduction des inégalités fixés par les Nations Unies sont pourtant faibles. Ces pays risquent par ailleurs de s’opposer aux règles de libéralisation de l’immigration, malgré les avantages que cela pourrait représenter pour les migrants originaires de pays pauvres.

Le plus grand défi reste encore de passer des objectifs de « développement » à des objectifs de « durabilité ». Les flux d’aide fixés par les Nations Unies à 0,7 pour cent du PNB des pays riches représentent environ 130 milliards de dollars par an – une goutte d’eau dans l’océan de l’économie mondiale.

Les fonds nécessaires pour atteindre des objectifs de développement durable sont d’une tout autre ampleur. L’Agence internationale de l’énergie estime que limiter le réchauffement de la planète à deux degrés Celsius coûterait un billion de dollars par an jusqu’en 2030 – un chiffre qui risque de braquer les décideurs.

M. Evans signale que l’économie mondiale compte 150 billions de dollars en circulation et cherche des manières de sécuriser les économies des pays en développement, de favoriser l’ouverture commerciale et les flux d’investissement et de « réorienter le secteur privé » vers un objectif de réduction de la pauvreté.

« Avec de telles sommes d’argent, il n’y a pas besoin de faire beaucoup d’efforts pour avoir un impact énorme sur le terrain en matière de développement durable. Mais nous n’avons pas trouvé comment y parvenir et c’est l’un des casse-têtes au coeur du débat sur les objectifs post-2015 », a-t-il dit.

Conflit

Les pays les moins bien lotis en matière de corruption du gouvernement, de redevabilité et de liberté politique se montrent quant à eux déjà réticents à l’idée de s’engager à faire du ménage au sein de leur classe politique.

Pendant ce temps, le sujet tabou est celui des conflits. Tout objectif tel que mettre fin à la pauvreté est presque impossible à atteindre dans des pays comme la Syrie, le Soudan du Sud et la République centrafricaine, où les rebelles s’affrontent aux forces gouvernementales.

Les débats relatifs aux ODD ont lieu en parallèle à d’autres discussions visant l’élaboration d’un traité mondial juridiquement contraignant pour limiter le changement climatique et qui devrait être adopté fin 2015. Ces projets du secrétaire général des Nations Unies sont lancés à une époque où les efforts multilatéraux ont souvent du mal à prendre racine.

Pour Mme Melamed, le succès des pourparlers n’est pas garanti.

« Il y a trois dimensions : l’analyse des besoins et désirs de la population, des discours moraux de haut vol et des négociations politiques de bas étage. C’est intéressant, mais il est difficile de savoir comment cela va finir. Cela pourrait découler sur un accord anodin et inutile, mais aussi sur quelque chose de bien », a-t-elle dit.

jr/cb-ld/amz



This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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