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Les violences religieuses et les graines de la haine en RCA

CAR’s top Imam Oumar-Kobine Layama (L), Archbishop Dieudonne Nzapalainga (M) and Bishop of Bossangoa Nestor Aziagba (R) listen to tales of woe from communities on the road from Bossangoa to
the capital Bangui. Hannah McNeish/IRIN
Choqués par la recrudescence des meurtres, des viols et autres exactions commis par des musulmans contre des chrétiens - et inversement - en République centrafricaine (RCA), les dignitaires de ces deux religions sont partis ensemble sur les routes du pays pour prêcher la paix et prêter l’oreille aux récits d’horreur.

La violence, le désordre et l’impunité ont atteint un tel niveau en RCA – où une « catastrophe humanitaire aux proportions inimaginables se dessine », selon Amnesty International – que l’archevêque Dieudonné Nzapalainga et Oumar Kobine Layama, le plus grand imam du pays, ont été contraints de se déplacer sous escorte armée.

Le chapitre le plus récent de l’histoire de la violence en RCA a débuté en décembre 2012 : une coalition de groupes rebelles majoritairement musulmans – connue sous le nom de Séléka - soutenue par des mercenaires originaires du Tchad et du Soudan voisins ainsi que des détenus libérés de prison a fait marche vers le Sud avant de renverser le président François Bozizé au mois de mars.

En réponse à la rébellion et aux troubles qui ont suivi la dissolution officielle de la Séléka en septembre, et en l’absence d’officiers de police et d’autres forces de sécurité étatiques, les populations, majoritairement chrétiennes, des villages du nord du pays ont constitué des groupes d’autodéfense, les anti-balaka (« anti-machette » en Sango).

Chronologie des évènements récents
24 mars : les combattants de la Séléka s’emparent de la capitale Bangui et renversent le régime de François Bozizé
19 juillet : Le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine autorise le déploiement de la Mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine (MISCA)
18 août : Le président Michel Djotodia prête serment. En septembre, il annonce la dissolution de la Séléka
10 octobre : Le Conseil de sécurité des Nations Unies adopte une résolution proposant l’établissement d’une force de maintien de la paix, prie le Secrétaire général de lui présenter un rapport exposant en détails des options pour l’appui qui sera fourni à la MISCA de l’UA, qui compte 3 600 hommes et qui est en passe d’être pleinement déployée
08 novembre : Le Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, Navi Pillay, prévient que le pays est au bord d’un cycle de violences « incontrôlables »
21 novembre : Le ministre des Affaires étrangères français Laurent Fabius indique que la RCA est « au bord du génocide »
25 novembre : La France indique que le nombre de soldats présents en RCA va tripler pour atteindre 1 200 hommes si le Conseil de sécurité autorise une mission de maintien de la paix
« Maintenant nous devons nous demander si nous voulons mener le pays vers une guerre religieuse ou si les gens doivent travailler ensemble à la construction de ce pays. Les dirigeants doivent se poser cette question », a dit M. Nzapalainga à Bossangoa – ville située à 300 km au nord de la capitale, Bangui – où quelque 36 000 personnes ont trouvé refuge dans une mission catholique et dans une école.

En tout, la RCA compte quelque 400 000 déplacés. La plupart vit dans le bush, avec un accès très limité à l’eau potable et à l’aide humanitaire.

Le pays avait « atteint le pire du pire », dans tous les sens du terme, a-t-il dit.

« Nous n’avions jamais vu des personnes prendre la fuite pour trouver la sécurité dans une mission catholique, des multitudes d’enfants quitter leurs écoles, des hôpitaux dépourvus de médicaments ou des chrétiens et des musulmans se monter les uns contre les autres », a-t-il dit.

La crainte du génocide

Nestor Aziagba, l’évêque de la ville, et M. Layama, l’imam, ont exprimé leur crainte d’un génocide, une perspective récemment évoquée par le ministre des Affaires étrangères français Laurent Fabius, de hauts responsables des Nations Unies ainsi que des militants des droits de l’homme.

« Les rebelles combattent les populations locales non musulmanes et les milices [anti-balaka] combattent les rebelles et la communauté musulmane. Il y a une division, une division profonde, entre les communautés chrétienne et musulmane », a dit M. Aziagba.

« Je veux éviter une guerre contre des frères et des sœurs qui vivent côte à côte depuis de nombreuses années », a-t-il dit, avant de reconnaitre qu’il sera impossible d’atteindre cet objectif sans un plus grand engagement de la part du nouveau gouvernement dirigé par Michel Djotodia, le premier président musulman du pays. M. Djotodia a pour sa part admis qu’il n’avait pas ou peu d’autorité sur les anciens rebelles.

« Mais malheureusement, ce gouvernement n’assume pas ses responsabilités », a dit M. Aziagba.

M. Layama a été choqué par l’ampleur des dégâts qu’il a vus sur la route de Bossangoa.

« Ce que nous avons vu dépasse notre compréhension, car nous avons constaté qu’il n’y avait plus vraiment de villes le long de la route », a-t-il dit.

« Nous n’avions jamais vu des personnes prendre la fuite pour trouver la sécurité dans une mission catholique, des multitudes d’enfants quitter leurs écoles, des hôpitaux dépourvus de médicaments ou des chrétiens et des musulmans se monter les uns contre les autres »
« Nous, les dirigeants religieux, nous essayons de jouer notre rôle et nous demandons au gouvernement de jouer le sien. Tous les chrétiens ne sont pas des anti-balaka, comme nous l’entendons dire ici, et tous les musulmans ne sont pas membres de la Séléka, comme certains le semblent le croire », a-t-il ajouté.

Les troubles

Lucie Blanche Feiganzanoli fait partie des personnes qui ont trouvé refuge à la mission catholique. En septembre, les combattants de la Séléka ont rasé son village de Bodili, a-t-elle indiqué ; ils ont tué son mari, frappé d’autres membres de sa famille à coups de machette et tué cinq ou six de ses voisins.

« J’ai vu la Séléka prendre mon mari. Ils l’ont battu à coups de matraque. Ensuite, ils s’en sont pris à sa mère, puis ils l’ont tué », a-t-elle dit.

Un travailleur humanitaire, qui a souhaité garder l’anonymat par crainte de représailles, a énuméré la longue litanie des violences et des meurtres dont les civils lui ont parlé au cours de ces derniers mois.

« Le 10 octobre, une femme est venue pour accoucher. Le 11, la Séléka est arrivée dans le village et l’a abattue ». Le mari d’une autre femme « a été mis dans un sac, avec une pierre, il a été ligoté et jeté dans la rivière le jour même de l’accouchement ».

Halima Bouba, qui est originaire du village de Zere, fait partie des 2 000 musulmans aujourd’hui installés à Bossangoa. Elle dit que les groupes d’autodéfense – qui seraient soutenus par les derniers soldats de l’armée de M. Bozizé – ne sont pas moins violents que les anciens rebelles.

« Les anti-balaka sont arrivés et ils ont attaqué notre maison à 5 heures du matin. Ils ont emmené mon mari sur la terrasse, ils l’ont tenu et ils lui ont porté des coups de machette sur la tête, sur le flanc, sur le dos », a-t-elle dit.

Mme Bouba s’est échappée avec sa fille de quatre ans et l’enfant d’une coépouse, mais elle craint que tous les autres ne se soient fait prendre et n’aient péri.

« Ils ont battu un enfant à mort. Il avait 13 ans », a-t-elle dit, ajoutant qu’elle avait vu 27 cadavres et huit personnes blessées avant de partir se cacher dans le bush.

Le frère jumeau d’Halima Adamou, 20 ans, est l’un des sept musulmans qui ont été sortis d’un bus et tués par les anti-balaka. Elle a dit qu’elle ne savait pas si elle pourrait un jour retourner dans son village et faire confiance à ses voisins, bien que « les chrétiens aient tous quitté leur maison ».

Selon le travailleur humanitaire, une autre musulmane « est allée faire paître ses vaches et a croisé des anti-balaka sur la route. Ils ont tué 20 personnes. C’était la seule survivante, mais elle a reçu des coups de machette ».

Dans un récent rapport au Conseil de sécurité, le Secrétaire général des Nations Unies Ban Ki-moon a averti que : « Si rien n’est fait pour y remédier, ce cycle risque de dégénérer en conflit religieux et ethnique à l’échelle du pays avec le risque d’aboutir à une spirale incontrôlable, débouchant sur des atrocités, avec des implications graves au niveau national et régional ».

Amy Martin, chef du Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies en RCA, a dit à IRIN : « Ma plus grande crainte est que cela se produise à Bangui ».

Le général Babacar Gaye, Chef du Bureau intégré des Nations Unies pour la consolidation de la paix en République centrafricaine (BINUCA), a dit, « Si rien n’est fait, on risque de voir la confrontation entre les anciens de la Séléka et les groupes spontanés d’autodéfense tourner à la confrontation entre musulmans et chrétiens. Mais nous n’en sommes pas encore là. Nous devons dire que nous n’en sommes pas là pour l’instant ».

Prophete Ngaibona, qui se cache à Bossangoa avec sa famille, ne partage pas cet avis. Il a quitté son village après l’attaque de la Séléka.

« Dès leur arrivée, ils ont commencé à tuer des gens. Y compris tous les musulmans originaires de cette région. Ils ont tous des armes à feu. Ils ont tous des armes à feu et des machettes et ils ont commencé à tuer des gens. Ces hommes ne sont pas des soldats, ce sont des rebelles qui sont venus détruire le pays », a-t-il dit.

« Nous prions pour qu’il y ait un président chrétien », a-t-il ajouté.

Les graines de la haine

L’évêque Aziagba a dit que la situation était « essentiellement une crise politique. Une personne a reçu le soutien de mercenaires tchadiens et soudanais pour prendre le pouvoir.

« Une fois parvenu au pouvoir, il était censé devenir le président de tout le pays. Malheureusement, la plupart des mercenaires qui l’ont aidé à prendre le pouvoir sont des musulmans, des mercenaires étrangers. Ils se fichent des populations locales, alors ils ont commencé à commettre des actes de violence, à piller leurs propriétés et voler leurs vaches, à détruire leurs récoltes, à brûler tout ce qu’ils possédaient », a-t-il ajouté.

Louisa Lombard de l’université de Berkeley, en Californie, a noté en avril 2013 que bon nombre de musulmans de la RCA étaient victimes de discrimination depuis longtemps : « Les habitants du sud de la RCA qualifient fréquemment les habitants du nord-est d’‘étrangers’ (Tchadiens ou Soudanais), ce qui veut dire que malgré leur statut de citoyen, ils ne font pas partie du pays. Lorsqu’ils se déplacent, les gens du nord-est font l’objet d’une surveillance spéciale en raison de leur prétendu 'statut d’étranger'. Par exemple, les rebelles et/ou d’autres groupes, les personnes qui ont un nom à consonance musulmane ou qui s’habillent comme des musulmans sont fréquemment l’objet de harcèlement et sont davantage en proie au racket aux nombreux barrages tenus par les membres des branches des forces de sécurité étatiques ».

Dans un rapport rendu public en juin 2013, l’International Crisis Group a indiqué que la dernière rébellion était « menée par d’anciens hommes politiques tombés en disgrâce qui souhaitent se venger et reprendre le pouvoir politique. La Séléka est donc une coalition hétérogène de combattants centrafricains et étrangers qui n’ont rien d’autre en commun que le fait d’être musulman ».

Le rapport a ajouté : « L’équilibre politique, géo-ethnique et religieux a été bouleversé au sein de la classe dirigeante du pays, ce qui engendré des craintes et de la confusion en RCA et dans les pays voisins. Les avions militaires transportant les blessés de la Séléka à Khartoum et à Rabat, la visite des dirigeants centrafricains au Qatar, et les inquiétudes exprimées par les pays voisins (Soudan du Sud, Ouganda, Congo-Brazzaville) concernant la montée du fondamentalisme religieux ont contribué à créer un climat de suspicion et de graves tensions religieuses dans le pays et dans la région ».

Dans un article de septembre 2013 pour l’Observatoire mondial de l’Institut international pour la paix, le chercheur français Roland Marchal a dit que les combattants de la Séléka avaient « un penchant conceptuel vers l’islam politique », mais qu’ils partageaient aussi un « fort sentiment d’identité communale et une volonté de se venger des précédents régimes de la RCA et de leurs bénéficiaires identifiés comme chrétiens ».

Une partie des personnes qui ont trouvé refuge à Bossangoa sont convaincues que les combattants de la Séléka sont plus intéressés par les richesses que par le pouvoir politique et qu’ils utilisent la religion comme un prétexte pour les obtenir grâce aux ressources naturelles de la RCA comme les diamants, l’or et le bois.

Dofio Rodriguez a vu son frère se faire trancher la gorge par la Séléka dans un poste de police de Bossangoa et il dit que trois autres membres de sa famille ont été tués sur les routes. Il a échappé de peu à une attaque lancée contre un champ aurifère situé à 30 km de la ville, où les musulmans de la ville avaient mené les combattants.

« Avant, nous avions de bonnes relations avec les musulmans qui vivaient dans le bush, qui cherchaient de l’or avec nous. Mais depuis l’arrivée de la Séléka, ils veulent juste nous tuer et prendre tout ce que nous avons », a-t-il dit.

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This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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