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Cocktail fatal pour les mères sierra léonaises

Alors que dans les pays développés, le taux de mortalité maternelle s’établit à environ 10 pour 100 000 naissances vivantes, il est presque 200 fois plus élevé en Sierra Leone, petit pays d’Afrique de l’Ouest qui se relève d’une décennie de guerre civile.

Ce taux qui figure parmi les plus élevés au monde, selon le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF), n’est que l’un des divers indicateurs témoignant du danger qui accompagne l’accouchement dans l’un des pays les plus pauvres du monde.

« Le taux de mortalité maternelle est très élevé en Sierra Leone et les femmes sont toujours plus nombreuses à mourir », a déploré le docteur Peter Sikana, spécialiste en santé de la reproduction auprès du Fonds des Nations Unies pour la population (UNFPA) en Sierra Leone.

« La plupart de ces femmes meurent en couches, elles décèdent des suites d’hémorragies ou d’importantes complications pendant la grossesse ou d’infections contractées après l’accouchement », a-t-il expliqué.

La Sierra Leone, qui tente toujours de se relever de 10 années de guerre ayant pris fin en 2001, se classe à l’avant-dernière place de l’Indice de développement humain des Nations Unies, juste avant le Niger – un pays désertique dépourvu de ressources naturelles contrairement à la Sierra Leone, un pays riche en or et en diamants.

Les taux élevés de mortalité maternelle et infantile – un enfant sur six meurt à la naissance – sont les deux symptômes les plus graves d’un système de santé malade.

« A l’origine de ces chiffres se trouve une combinaison mortelle de pauvreté, d’ignorance et de manque de structure sanitaire », a déclaré l’organisation internationale Médecins Sans Frontières (MSF), dans un rapport intitulé « Tirons les leçons de la souffrance: gérer l’urgence sanitaire qui se poursuit indéfiniment en Sierra Leone », publié en début d’année.

D’après les statistiques de l’UNICEF, au cours de sa vie, une femme en Sierra Leone a une chance sur six de mourir en couches, car les jeunes mères ont un petit bassin, ce qui peut entraîner des complications lors de l’accouchement.

En outre, la mutilation génitale féminine (MGF), qui est pratiquée dans la quasi totalité du pays, peut également entraîner des problèmes d’accouchement avec obstruction. Enfin, la cicatrisation des plaies causées par la pratique de la MGF peut causer des complications lors de l’accouchement.

Les accouchements traditionnels

Le recours à la médecine traditionnelle peut également représenter un danger. Par exemple, certains tradipraticiens prescrivent à leurs patientes une mixture censée stimuler les contractions, mais qui peut également causer une rupture utérine. Selon MSF, les cas d’hémorragie post-partum sont la cause d’un quart des décès maternels en Sierra Leone.

« La situation en Sierra Leone est la suivante : les femmes enceintes s’adressent à des guérisseurs et à des accoucheuses pendant leur grossesse et pour l’accouchement, et ce n’est que lorsqu’elles connaissent des complications qu’elles viennent à l’hôpital », a expliqué le docteur Francis Smart, du département de la santé de la reproduction du ministère de la Santé.

La plupart du temps, ces mères sont déjà mourantes lorsqu’elle arrivent à l’hôpital, a-t-il regretté.

Le rapport de MSF fait notamment état d’une femme qui a fait quatre fausses couches à son domicile avant d’avoir pu enfin donner la vie à un enfant en bonne santé, après avoir été admise à l’hôpital et subi une césarienne.

Dans un pays où 75 pour cent de la population est sans emploi, certaines femmes s’improvisent accoucheuses afin de faire vivre leur famille. Cependant, un grand nombre de ces femmes n’ont pas les compétences requises pour pouvoir travailler dans des maternités, a dit le docteur Sikana.

« La question des sages-femmes incompétentes est un grave problème directement lié à la mortalité maternelle et doit être réglé par le gouvernement » a-t-il poursuivi.

Mamie Joseph, une accoucheuse âgée de 60 ans, responsable d'une maternité traditionnelle à Freetown, la capitale, a déclaré que l’accouchement traditionnel était une vieille pratique que les mères sierra léonaises connaissaient bien.

« Cela fait plus de 35 ans que je travaille comme sage-femme et aucune de mes patientes n’est morte », a-t-elle confié. « Nous, les sages-femmes traditionnelles, nous aidons le système de santé en Sierra Leone. Par exemple, lorsqu’à minuit une femme souffre intensément et qu’il n’y a aucun hôpital à proximité, elle va obligatoirement s’adresser à une sage-femme traditionnelle. »

Un manque de ressources

Le personnel sanitaire et les femmes sierra léonaises elles-mêmes reconnaissent que si les accoucheuses reçoivent autant de patientes c’est parce que ces dernières n’ont pas les moyens de payer les soins hospitaliers. En outre, dans certains cas, les futures mères n’ont même pas suffisamment d’argent pour se rendre jusqu’à un centre de santé.

Grâce à un système de partage des coûts, mis en place dans la maternité publique Princess Christian, la plus importante maternité du pays, située à Freetown, les patients ne s’acquittent que de 40 pour cent des frais de santé et des médicaments.

Cependant, malgré cette baisse des frais médicaux, beaucoup de femmes s’adressent encore aux sages-femmes traditionnelles.


Photo: Ansu Konneh/IRIN
La maternité publique Princess Christian, à Freetown, est la plus grande maternité du pays
Dernièrement, une douzaine de femmes se bousculait à la « maternité » de Mamie Joseph, située dans une banlieue vallonnée et densément peuplée qui surplombe la capitale. Une des patientes, Afsatu Yasine, a confié préférer s’adresser à Mamie Joseph plutôt que se rendre à l’hôpital, pour des raisons financières.

« Mon mari ne travaille pas, par conséquent, nous n’avons pas les moyens de payer les frais des hôpitaux », a dit Afsatu Yasine, âgée de 31 ans et mère de trois enfants. « Mais chez Mamie Joseph, c’est moins cher. »

En outre, si le système de santé de Sierra Leone ne parvient pas à assister les femmes enceintes, c’est en raison d’un manque de personnel médical qualifié. En effet, le marasme économique que connaît le pays a incité un grand nombre de médecins à quitter le pays, puis la guerre civile a chassé les autres. Le personnel médical restant doit se battre pour gagner sa vie.

« Etant donné qu’ils sont mal payés, les médecins qualifiés et le personnel hospitalier s’absentent des hôpitaux et partent travailler en ville où ils peuvent gagner plus d’argent », a souligné le docteur Smart.

Pallier les manques

Outre les bas salaires, le personnel médical explique manquer du matériel et des services de base, et avoir ainsi des difficultés à accomplir convenablement son travail à la maternité Princess Christian.

« Le système de transfert des patients ne fonctionne pas correctement », a reconnu le docteur Smart. « Le système d’ambulance n’est pas très efficace non plus, une des deux ambulances de l’hôpital est en panne en ce moment. Comment pouvons-nous faire venir les patients dont l’état de santé nécessite des soins d’urgence jusqu’à l'hôpital? »

Le docteur Ibrahim Thorle, directeur médical de l’hôpital, a ajouté que bien que les médecins effectuaient des césariennes, ces derniers ne disposaient pas du matériel nécessaire à cette opération qui permet de sauver des vies. Les médicaments font également défaut, a-t-il dit.

« Nous sommes parfois contraints de prescrire aux patients des médicaments qu’ils doivent acheter à l’extérieur de l’hôpital », a regretté le docteur Thorle. « C’est ce qu’il se passe ici à Freetown, les choses sont encore bien pires à l’intérieur du pays. »

Abator Thomas, ministre de la Santé sierra léonais, a déclaré que la santé maternelle était une « question importante » sur laquelle se penchait le gouvernement. Elle a annoncé la mise en place d’un nouveau projet, appelé le programme accéléré de santé maternelle et de soutien à l’enfance, visant à coordonner l’ensemble des établissements sanitaires et élaborer un plan national afin de réduire la mortalité maternelle.

« Ce projet devrait bientôt être mis en place, d’ici environ un an au moins, en fonction de l’aide des bailleurs internationaux », a-t-elle expliqué.

MSF a pour sa part financé l’ouverture de « maisons d’attente », implantées à proximité des hôpitaux de district, dans le district de Kambia, dans le nord-ouest de la Sierra Leone, et dans la ville de Magburaka, au centre.

Ainsi, les femmes en fin de grossesse ou qui connaissent des complications peuvent demeurer dans ces maisons, de manière à réduire l’attente entre le début du travail et la prise en charge par un agent médical qualifié.

« Ces maisons sont ouvertes à toutes les femmes souhaitant passer les dernières semaines de leur grossesse à proximité d’un hôpital », a indiqué MSF dans son rapport. « Bien qu’un nombre relativement faible de femmes ait été reçu dans ces maisons au cours des 18 derniers mois, les chiffres prouvent que cela a un impact considérable sur le taux de mortalité. »

Les « maisons d’attente » ont une capacité de 30 lits et leur construction s’élève à environ 2 000 dollars. Trois employés travaillent dans chacune de ces maisons et le montant de leur salaire atteint les 2 500 dollars par année, au total. Le Programme alimentaire mondial distribue de la nourriture aux patientes reçues dans ces établissements, a précisé MSF.

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This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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