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244 000 enfants affamés

L’insurrection de Boko Haram a entraîné une crise alimentaire dont l’ampleur commence seulement à être perçue.

Child at an out-patients therapeutic feeding centre for severely malnourished children in Katsina,  Nigeria, June 2012 Obinna Anyadike/IRIN

Lorsque son père, soudeur à Bama, est décédé dans un camp pour personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays (PDIP) à Maiduguri, dans le nord-est du Nigeria, Dauda, alors âgé de 17 ans, s’est retrouvé avec les deux femmes et huit autres enfants de celui-ci à sa charge. Grâce à un peu d’argent donné par un habitant du coin qui apportait de la nourriture au camp de Dalori accueillant 18 000 personnes chassées de chez elles par l’insurrection de Boko Haram, il s’est mis à vendre des casquettes pour pouvoir offrir deux vrais repas par jour à sa famille.

Tout le monde n’a cependant pas eu cette chance.

Dans cette région où l’insurrection a fait plus de 20 000 morts depuis 2009, la situation est tellement grave que Médecins Sans Frontières a annoncé la semaine dernière que des enfants malnutris mourraient en grand nombre.

Le lendemain, une attaque des insurgés a entraîné une interruption de la distribution d’articles essentiels, ce qui a encore aggravé la crise.

Thierry Laurent-Badin, directeur de programme d’Action Contre la Faim au Nigeria, estime à environ 244 000 le nombre d’enfants actuellement atteints de malnutrition sévère aiguë dans les régions dont l’accès était jusqu’à maintenant impossible pour des questions de sécurité. Ce chiffre a récemment été confirmé par l’UNICEF.

« Nous venons d’avoir accès à des zones qui se trouvaient auparavant sous la mainmise de Boko Haram et qui étaient complètement coupées du monde depuis plusieurs années, comme Monguno, Baga, Kukawa, Gambara-Ngala, Dikwa, Bama, Gwoza et d’autres, » à dit M. Laurent-Badin à IRIN.

L’un des plus graves problèmes de la région est la malnutrition et les enfants sont particulièrement vulnérables. Ceux qui sont malnutris ont neuf fois plus de risque de contracter d’autres maladies comme la diarrhée et le paludisme (endémique dans la région) et d’en mourir. Deux millions de personnes restent encore complètement isolées et ne bénéficient d’aucune aide humanitaire, quelle qu’elle soit.

MSF a signalé que 15 pour cent des enfants dépistés par ses équipes dans la région souffraient de malnutrition aiguë sévère et risquaient donc de mourir. Un village compte même près d’un enfant sur trois malnutri.

Les fermes et les épiceries ont été détruites par l’insurrection et l’agriculture n’a pas encore repris dans les zones isolées par l’instabilité. D’autant plus que les champs restent incultivables. La plupart des soutiens de familles, qui s’occupaient des activités agricoles, ont disparu ou ont été tués.

Insécurité permanente

Boko Haram est allé jusqu’à annexer un territoire de la taille de la Belgique au Nigeria et l’a renommé Province d’Afrique de l’Ouest de l’État islamique. Des opérations militaires menées conjointement avec le Tchad, le Niger et le Cameroun ont permis au Nigeria de récupérer une grande partie de ce territoire et le gouvernement n’a cessé de répéter qu’il avait « techniquement vaincu » les extrémistes. Mais des poches de violence persistent dans de petites villes et villages de la région.

La semaine dernière, des insurgés ont pris en embuscade un convoi des Nations Unies qui revenait de Bama, au nord de Maiduguri, la capitale de l’État de Borno. Deux humanitaires ont été blessés. C’est la première attaque de ce genre dans la région et toutes les agences des Nations Unies ont interrompu leurs missions en dehors de la ville.

« Nous réévaluons la situation sécuritaire et, pour l’instant, en raison de notre politique centrale de sécurité, toutes les agences des Nations Unies ont suspendu leurs déplacements en dehors de Maiduguri », a dit à IRIN Doune Porter, chef des communications d’UNICEF Nigeria. « L’attaque a de graves conséquences pour nous, mais nos partenaires sont restés à Dama et continuent d’apporter de l’aide. »

L’attaque a fortement affecté la distribution de nourriture et d’autres biens à des milliers de civils vivant à l’extérieur de Maiduguri, déracinés par sept ans de violences. Avant cette récente interruption des déplacements, seules les Nations Unies avaient pourtant la capacité de se rendre dans les zones à haut risque. D’autres organisations humanitaires indépendantes refusent d’avoir recours à des escortes armées pour des questions de neutralité.

Dans une déclaration publiée après l’attaque, l’UNICEF a appelé les bailleurs de fonds et les autres organisations humanitaires à « intensifier leur réponse à cette catastrophe naissante dans l’État de Borno » et s’est engagé à continuer de mobiliser toutes ses capacités à Maiduguri.

Corruption

Le gouvernement nigérian, qui a déclaré en juin l’état d’urgence nutritionnelle dans l’État de Borno, a envoyé des représentants de l’Agence nationale de gestion des situations d’urgence (NEMA) pour évaluer la situation.

Mais des allégations de détournement généralisé des ressources par des parties prenantes du gouvernement circulent depuis longtemps. La corruption, problème de premier plan au Nigeria, semble avoir étendu ses tentacules au secteur humanitaire. En mai, des affrontements ont éclaté à Maiduguri entre des soldats et des policiers au sujet de camions de riz et autres aliments donnés par l’homme le plus riche d’Afrique, Aliko Dangote, lorsqu’il a personnellement visité les camps de Bakassi et Dalori.

Un mois plus tard, une vidéo montrant des fonctionnaires de l’Agence de gestion des situations d’urgence de l’État de Borno reconditionnant des denrées alimentaires destinées par la NEMA aux camps de déplacés et les soustrayant à la chaîne d’approvisionnement pour les revendre a fait le buzz sur les réseaux sociaux.

« Il y a beaucoup de partage et de tri et, finalement, tout n’arrive pas aux PDIP », a dit un humanitaire à IRIN sous couvert d’anonymat. « Actuellement, au camp de Bakassi, les PDIP disent recevoir des rations alimentaires crues toutes les semaines et j’imagine qu’elles doivent se débrouiller pour les faire cuire. Il était prévu que la NEMA fournisse les denrées de base et que la SEMA [l’agence d’État] procure aux bénéficiaires du bois de chauffe et des condiments, mais la SEMA n’a pas respecté ses obligations. Beaucoup d’argent a disparu. Il faut entendre [les] montants ridicule[ment élevés] qu’ils disent dépenser pour obtenir des produits comme du bois de chauffe. »

« Il n’est pas raisonnable de s’attendre à ce que le gouvernement du Nigeria soit capable de gérer [la situation] seul, sans soutien majeur », a dit M. Laurent-Badin, qui a demandé plus de fonds pour la région du nord-est. « Les besoins sont énormes. »

« Le Plan d’action humanitaire 2016 pour la crise dans le nord-est du Nigeria n’était financé qu’à hauteur de 28 pour cent en juin 2016 : le monde doit tenir ses promesses de ne laisser personne pour compte dans cette crise, » a-t-il dit.

« Nous prions instamment les bailleurs de fonds de permettre aux humanitaires de réorienter les fonds existants à ces zones accessibles depuis peu et d’accélérer le déblocage de nouveaux fonds pour répondre aux besoins humanitaires de grande ampleur. »

ee/ag-ld/amz

(Photo de couverture : Bébé dans un centre d’alimentation thérapeutique pour enfants souffrant de malnutrition sévère à Katsina, au Nigeria. Obinna Anyadike/IRIN)

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