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Nigeria – La communauté se retourne contre Boko Haram

Civilian JTF roadblock in Maiduguri Obinna Anyadike/IRIN
Voir de jeunes hommes armés de machettes tenir des barrages routiers est en général un mauvais signe. À Maiduguri, ville du nord-est du Nigeria tourmentée par les insurgés de Boko Haram depuis de longues années, cela signifie un vrai progrès.

Ce n’est pas aux membres de la Force opérationnelle interarmées (Joint Task Force, JTF) que le mérite de la pacification de la ville est revenu l’année dernière, mais à ces bénévoles, membres du groupe d’autodéfense appelé « force opérationnelle interarmées civile (Civilian Joint Task Force, CJTF) ». Contrairement aux membres de la JTF qui faisaient souvent preuve de maladresse et de brutalité et qui voyaient en chaque habitant de Maiduguri un salafiste en puissance, les bénévoles de la communauté – officiellement l’association des jeunes de Borno pour la paix et la justice (Borno Youth Association for Peace and Justice) – savent qui sont les membres de Boko Haram. Ils sont les yeux et les oreilles des forces de sécurité et surveillent les tentatives d’infiltration. Et s’ils n’ont pour armes que d’anciens fusils « danois » à un coup ou des fusils de chasse, ils sont souvent les premiers intervenants en cas de problème.

« Avant, la communauté avait peur. Si vous vous éleviez contre Boko Haram, ils vous tuaient le soir même. Les jeunes de l’État de Borno en ont assez », a dit à IRIN Abba Tijjani Sadiq, secrétaire et commandant en second de la CJTF. « Dieu nous a relevés. Peu importe si vous avez un fusil, nous vous pourchasserons. Car maintenant il n’y a plus de membres de Boko Haram à Maiduguri ».

Le Jama'atu Ahlis Sunna Lidda'awati wal-Jihad (communauté des disciples pour la propagation de la guerre sainte et de l’islam), mouvement plus connu sous le nom de Boko Haram, a été créé à Borno par le prédicateur Mohamed Yusuf en 2002. Il est devenu un mouvement populaire, fondé sur le strict respect des valeurs conservatrices de l’islam et sur le rejet de la corruption politique et de la vénalité qui est devenue le symbole du Nigeria. L’exécution de M. Yusuf et de plusieurs de ses lieutenants en 2009 alors qu’ils étaient détenus par la police a permis à Boko Haram de s’attirer la sympathie de la population. Mais cette popularité s’est érodée lorsque le nombre de personnes tuées dans les fusillades et les attentats à la bombe perpétrés par les militants contre ceux qu’ils percevaient comme leurs ennemis – dont la majorité étaient des musulmans – s’est accru. Le soutien supposé de la communauté était l’une des raisons pour lesquelles la JTF a riposté à l’aveugle.

« L’armée nous a pris pour l’ennemi et vice-versa. Nous n’avons pas pensé qu’ils étaient là pour nous protéger », a expliqué Suleiman Ali, directeur d’une école. « [En cas d’attaque de Boko Haram] ils n’arrivent pas à temps, ils arrêtent tous ceux qu’ils voient ou ouvrent le feu ou brûlent des commerces et des maisons pour se venger […] Les garçons [Boko Haram] avaient l’habitude de venir se cacher au sein de la communauté, parmi nous. Mais nous avons fini par comprendre que cela ne pouvait pas fonctionner. Vous les cachez et après ils peuvent revenir chez vous et tuer votre père. Les gens avaient le dos au mur, nous devions nous interposer, nous protéger ».

Il considère que l’insécurité qui règne à Borno est « l’échec du gouvernement et le nôtre » et se réjouit du nouvel « esprit d’indépendance » de la CJTF. L’évènement qui a débuté dans l’un des 14 quartiers de la ville en juin 2013 a fait boule de neige. « Tout le monde est membre de la CJTF. Dès que l’on entend des coups de feu, on prend nos haches et nos coutelas [machettes] et on va voir ce qu’il se passe ».

La guerre de la propagande

La CJTF est présente dans les 27 zones de gouvernement local de l’État de Borno, mais c’est dans les zones frontalières plus isolées que Boko Haram est le plus fort et que les communautés sont les plus exposées. Cependant, c’est à Maiduguri que la bataille de la propagande a eu lieu ce mois-ci. Boko Haram s’est vanté qu’il allait célébrer la fin du ramadan dans la mosquée de la ville. « Nous avons dit, “Pas question” », a raconté M. Sadiq. Une grande opération de sécurité, prévoyant notamment l’interdiction de tout déplacement en véhicule, a permis l’organisation d’une fête calme, mais sans danger.

« C’est le genre de campagne de conquête des cœurs et des esprits que le gouvernement aurait dû mettre en place dès le début », a dit Hussaini Abdu, un analyste basé à Abuja. « Mais il ne s’agissait pas d’une stratégie délibérée ; heureusement, le gouvernement ne s’est pas attiré leur hostilité et l’armée a estimé qu’ils étaient utiles ».

Le gouvernement de l’État a été prompt à soutenir la CJTF. L’année dernière, il a formé 1 700 volontaires dans le cadre du « Borno Youth Empowerment Scheme » (projet d’habilitation des jeunes de Borno). Aux personnes formées, il a fourni des uniformes bleu ciel, des véhicules et une allocation mensuelle d’environ 100 dollars. Mais il s’est refusé à les armer.

« Les garçons [Boko Haram] avaient l’habitude de venir se cacher au sein de la communauté, parmi nous. Mais nous avons fini par comprendre que cela ne pouvait pas fonctionner. Vous les cachez et après ils peuvent revenir chez vous et tuer votre père. Les gens avaient le dos au mur, nous devions nous interposer, nous protéger »
La CJTF soutient qu’elle compte 45 000 membres, menés par des entrepreneurs locaux et d’anciens fonctionnaires comme M. Sadiq. Ils sont à l’image de la population de Maiduguri : des chrétiens aux sans-emploi, en passant par les anciens membres de Boko Haram. Outre les manœuvres sur les terrains d’entraînement, le gouvernement de l’État a également proposé des cours d’éducation civique aux jeunes hommes reconnus pour leur zèle à lyncher les suspects. « Nous savons que nous ne pouvons pas nous faire justice nous-mêmes », a dit M. Sadiq. « Nous emmenons [les suspects] jusqu’aux casernes et les soldats les tuent », a-t-il dit dans un sourire.

Trois dirigeants de la CJTF civile interrogés par IRIN ont affirmé qu’ils ne s’en prenaient qu’à Boko Haram (plutôt que de jouer un rôle plus large de police des bonnes mœurs) et qu’ils étaient fidèles à toutes les autorités de Borno, c’est-à-dire « notre père », le président Goodluck Jonathan, le gouvernement d’État contrôlé par l’opposition, le « Roi-Père » ou Shehu de Borno et l’armée. Du point de vue organisationnel, les structures de la CJTF reflètent celles de l’armée. Le porte-parole a vanté la force de cette relation, tout en se refusant à critiquer les performances de la JTF. « Ils nous disent que Boko Haram n’existera plus à la fin de l’année », a-t-il ajouté.

Politique et argent

Si les membres du groupe d’autodéfense ont gagné le soutien et le respect général, certaines voix appellent à la prudence. Une fois que l’insurrection de Boko Haram aura été écrasée, le « défi suivant risque d’être de démobiliser la CJTF », a dit M. Abdu. L’histoire risque de se répéter dans un État où le taux de chômage s’élève à plus de 40 pour cent, selon les chiffres fournis par le gouvernement.

Rares sont les habitants de Maiduguri qui pensent que Boko Haram est encore porteur d’un vrai message idéologique – en particulier sous la direction impitoyable d’Abubaker Shekau. Une grande partie du soutien accordé à Boko Haram était motivée par l’indignation provoquée par l’indiscipline des forces de sécurité et la décision, prise rapidement par le gouvernement, d’interdire la circulation des motos-taxis afin de mettre un terme aux fusillades depuis les véhicules en mouvement – une activité qui permettait à de nombreux jeunes de la ville de gagner un peu d’argent.

L’argent est un outil de recrutement efficace pour Boko Haram. « Une personne peut venir vous voir et vous donner un pistolet et [30 dollars] pour tuer quelqu’un. Vous n’avez pas d’argent en poche, vous êtes une recrue facile », a dit M. Sadiq. « Tout est lié à la pauvreté », et la situation à Borno est pire encore depuis l’insurrection, qui a entraîné la fermeture des commerces, la hausse des prix et la fermeture des frontières avec le Cameroun, le Niger et le Tchad, ce qui a resserré le marché vital du bétail.

Il ne faut pas non plus oublier les élections qui se tiendront au Nigeria en 2015. Les élections sont toujours des évènements violents, mais ce scrutin est particulièrement risqué, car les habitants du nord du pays ont une aversion extrême pour M. Jonathan. Il est possible que ses intérêts et ceux de Boko Haram coïncident avec l’annulation des votes dans les parties les moins sûres de la région.

Comme ailleurs dans le monde, de jeunes hommes seront embauchés comme malfrats ou hommes de main par les hommes politiques – et des accords seront passés avec des personnes capables d’influencer les électeurs. M. Sadiq est conscient de ce danger. « Quand la politique entrera en jeu, cela nous créera des problèmes. La racine de Boko Haram, c’est la politique », a-t-il dit, en référence à l’accord passé avec l’ancien gouverneur de l’État, Ali Modu Sheriff, pour établir la loi islamique en échange du soutien politique de M. Yusuf, ce qui s’est terminé par une catastrophe.

L’incapacité de M. Sheriff à respecter sa part de l’accord a provoqué la démission de Buji Foi, commissaire aux affaires religieuses et représentant de Boko Haram au sein du gouvernement, en 2007. Suite à cette décision, des partisans de Boko Haram ont été tués par la police, mais le gouvernement fédéral a ignoré les appels répétés de M. Yusuf qui demandait que justice soit rendue. En juillet 2009, ses militants ont lancé des attaques coordonnées contre les postes de police et les bâtiments publics de quatre États du Nord, faisant plus de 800 victimes – le début d’un bain de sang qui s’est poursuivi.

Comment cela va-t-il finir ? L’insurrection de Boko Haram est surtout présente dans les États du Nord, c’est-à-dire Borno, Bauchi et Yobe. Mausi Segun, chercheuse de Human Rights Watch, pense que la stratégie de M. Shekau est d’obtenir un territoire sur lequel il pourra instaurer un califat islamique. « Il pense encore qu’il peut prendre l’État de Borno, c’est son objectif », a-t-elle dit à IRIN. « Cela n’est pas une question de religion, mais de pouvoir ».

oa/cb-mg/ld

This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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