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Des progrès limités dans la lutte contre l’exploitation des talibés

Yaya Djau looks on his son who returned home from a Senegalese Koranic school. Local leaders in his region have called for better protection of children in Koranic schools Otto Bakano/IRIN
Un enfant qui fréquentait une école coranique au Sénégal
Selon un rapport de Human Rights Watch (HRW) publié le 19 mars, peu d’efforts ont été faits pour mettre fin à la mendicité des enfants et sévir contre les écoles coraniques qui exploitent les dizaines de milliers de garçons qui les fréquentent, et ce, en dépit des promesses du gouvernement sénégalais.

Ces enfants, qu’on appelle « talibés », descendent chaque jour dans les rues de Dakar et d’autres centres urbains pour quémander de la monnaie et de la nourriture. Les garçons, certains âgés de quatre ans à peine, sont souvent malnutris ou d’un poids insuffisant, nu-pieds et vêtus de haillons. Ils passent des heures sous le soleil à se faufiler entre les voitures, espérant récolter suffisamment d’aumônes pour atteindre le quota quotidien imposé par leur professeur – généralement environ 500 francs CFA (1 dollar), du sucre et du riz. Ils risquent d’être battus s’ils rapportent moins que le quota exigé.

« Depuis des années, les gouvernements qui se sont succédé à la tête du pays ont parlé de la nécessité de réglementer les écoles coraniques et de s’assurer de la mise en place de normes minimales et d’une surveillance des conditions de vie et d’apprentissage [des étudiants] de ces écoles », a dit Matt Wells, chercheur sur l’Afrique de l’Ouest auprès de HRW et auteur du rapport. « Mais les mesures que nombre d’entre nous souhaitaient voir adoptées n’ont pas été mises en œuvre. Il y a toujours autant de garçons qui mendient dans les rues au Sénégal », a-t-il ajouté.

Selon une récente étude du gouvernement, plus de 30 000 étudiants coraniques sur les 54 837 que compte Dakar pratiquent la mendicité dans le cadre de leur « éducation », a dit Awa Ndour, représentante de la cellule anti-trafic du ministère de la Justice.

Parmi les talibés exploités, nombreux sont ceux qui vivent dans des bâtiments inachevés, sans eau ni électricité. Ils dorment sur la terre battue, collés les uns contre les autres dans de petites pièces infestées de moustiques. Le rapport de HRW indique par ailleurs que les garçons sont souvent soumis à des sévices physiques et psychologiques. Des cas de garçons enchaînés pendant plusieurs heures ou jours consécutifs ont notamment été signalés.

« Ces écoles qui se disent coraniques sont une honte pour l’islam », a dit Mouhamed Niasse, imam et maître coranique à Dakar. « J’ai plus de 300 étudiants, et aucun d’entre eux n’a eu à mendier dans les rues. J’ai pitié des enfants que je vois dans la rue. »

Traite d’enfants

Selon un rapport de HRW publié en 2010, la moitié seulement des talibés vivant au Sénégal sont sénégalais. Les autres viennent de pays voisins, notamment de la Guinée-Bissau et du Mali, et sont issus de familles pauvres qui se sont vu promettre que leur enfant recevrait une éducation islamique décente sous la direction d’un ‘marabout’, ou maître coranique, dans une école connue sous le nom de ‘daara’.

Souvent, les garçons n’ont plus aucun contact avec leurs familles après leur départ. Et puisque la plupart d’entre eux ne connaissent personne au Sénégal, ils deviennent totalement dépendants de leur marabout pour la nourriture, les soins de santé et l’hébergement.

Au Sénégal, il est normal de donner de l’argent et de la nourriture aux talibés. À Dakar, la plupart des gens avec qui IRIN s’est entretenu ont dit qu’ils donnaient quotidiennement de la monnaie ou de la nourriture aux talibés, principalement pour des raisons religieuses. De nombreux musulmans estiment en effet que l’aumône fait partie intégrante de l’islam.

Presque tous ceux qui ont admis donner aux talibés ont cependant précisé qu’ils n’approuvaient pas cette pratique.

« Oui, je donne aux talibés », a dit Thierno Diao, un commerçant. « Presque chaque jour, je leur donne du pain ou un peu d’argent. Je leur donne parfois même mes vieux vêtements. Je le fais parce que ça me fait de la peine de les voir comme ça », a-t-il dit. « Mais les talibés, les marabouts, ce n’est pas normal. L’État doit éliminer tout ça dans notre pays. »

« Ce n’est pas comme ça qu’on pratique la religion. Ce n’est pas bien », a-t-il ajouté en secouant la tête.

Des mesures sans grand effet

Selon HRW, le gouvernement sénégalais a pris certaines mesures en vue de mettre fin à cette pratique, mais les progrès enregistrés sont minimes.

En 2005, le gouvernement a adopté une loi pénalisant la traite d’enfants et le fait de forcer un enfant à mendier en vue d’en tirer personnellement profit. Or, selon HRW, la loi n’a jamais été utilisée pour sévir contre les marabouts.

Au moment de son élection, en 2012, le président Macky Sall a promis de mettre un terme à la mendicité des enfants et d’améliorer les conditions de vie dans les écoles coraniques.

Le 3 mars 2013, un incendie s’est déclaré dans un internat coranique improvisé à Dakar, tuant huit garçons. On raconte que le marabout, qui n’était pas là au moment de l’incendie, enfermait souvent les garçons à clé dans le bâtiment. À la suite de l’incident, le gouvernement a élaboré un plan d’action pour mettre fin à la mendicité des enfants d’ici 2015. Jusqu’à présent toutefois, une seule école a été fermée pour « des raisons de sécurité » et aucun marabout n’a été puni en dépit de nombreux cas manifestes de maltraitance et d’exploitation.

« Il faut absolument faire plus pour protéger les plus vulnérables », a dit Awa Tounkara Cissé, une représentante de l’Association des avocats sénégalais. « Des lois ont été adoptées. Elles existent. Pourtant, chaque jour, il y a des enfants qui mendient dans les rues. Il est temps d’appliquer ces lois, de les faire respecter », a-t-elle dit.

Projet de loi

Le ministère de la Justice du Sénégal a indiqué qu’il travaillait depuis un an à l’élaboration d’un cadre légal qui, pour la première fois, instaurerait une réglementation des écoles coraniques.

Les législateurs disent œuvrer à l’élaboration de normes en ce qui concerne les conditions de vie des étudiants et les qualifications des professeurs. En vertu de ces normes, les écoles ne seraient pas autorisées à envoyer les étudiants mendier dans les rues et feraient régulièrement l’objet d’inspections en matière de santé et de sécurité.

Si les sanctions encourues par les contrevenants ne sont pas encore claires, le gouvernement devrait cependant avoir le pouvoir de fermer toute école ne respectant pas les dispositions de la nouvelle loi.

Le projet de loi est actuellement examiné par la Cour suprême du Sénégal et devrait être présenté à l’Assemblée nationale dans les mois à venir.

Le gouvernement prévoit par ailleurs d’apporter un soutien financier aux écoles coraniques légitimes – celles qui fournissent un hébergement, de la nourriture et des soins adéquats aux jeunes garçons qui étudient le Coran.

Des progrès ont donc été réalisés, mais, selon HRW, le défi le plus difficile concerne l’application de la loi.

« Il y a aujourd’hui des personnes importantes au sein du gouvernement qui tentent réellement de trouver des solutions à ce problème », a dit M. Wells. « Je pense aussi qu’il y a eu des changements importants au sein des communautés religieuses et de la population en général. On commence à parler de plus en plus ouvertement de ce problème au lieu de dire qu’il est complexe ou trop délicat pour s’y attaquer. Mais la clé, à l’avenir, sera de s’assurer que la loi est réellement appliquée et qu’elle ne reste pas lettre morte, qu’elle ne fait pas partie de ces lois qui n’affectent pas la vie de ces garçons dans la réalité », a-t-il ajouté.

Guirane Diène, le coordonnateur de la Plateforme pour la protection et la promotion des droits humains (PPDH), une coalition de 50 organisations travaillant sur la question de la mendicité forcée des enfants au Sénégal, a dit que l’inaction était devenue « plus qu’inquiétante ».

« La loi de la République garantit à chaque enfant le droit à l’éducation, le droit à la protection sociale », a-t-il dit. « Il est temps que notre société prenne ses responsabilités. Il est temps que les autorités agissent et appliquent la loi de la République. »

La police doit enquêter sur la situation des enfants qui mendient dans les rues et les juges doivent faire respecter les lois et punir ceux qui sont trouvés coupables de les enfreindre.

Selon les militants, le Sénégal doit également travailler en collaboration avec les pays voisins pour mettre fin au trafic de jeunes garçons par les marabouts. Les organisations de la société civile doivent quant à elles en faire plus pour protéger les garçons maltraités.

« Nous ne leur demandons pas la lune », a dit M. Diène. « Nous leur demandons seulement d’appliquer les lois conçues pour protéger nos enfants. »

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This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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