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Au Pakistan, les Bugti rentrent chez eux après neuf années d'exil

A camp of IDPs that have returned to Dera Bugti town (Feb 2014) Umar Farooq/IRIN
A camp of IDPs that have returned to Dera Bugti town, Pakistan (Feb 2014)
À quatre-vingts ans, Bakhtia Khan est enfin rentré chez lui à Dera Bugti, dans la province du Baloutchistan, au Pakistan. Neuf ans plus tôt, il avait fui les conflits entre l'armée et les combattants de la tribu Bugti.

Le 17 janvier, M. Khan et quelque 18 000 autres personnes déplacées à l'intérieur de leur propre pays (PDIP) ont entrepris un voyage de 60 km de la ville de Kashmore, dans la province de Sindh, à Dera Bugti. Auparavant, le gouvernement s’était engagé pour leur retour et leur avait promis une aide alimentaire, ainsi qu’une aide au logement et au transport.

Cependant, les forces de sécurité les ont retenus à un point de contrôle et ils ont fini par organiser un sit-in de deux semaines sur l'autoroute nationale. Finalement, un ordre émanant de la Haute Cour du Baloutchistan les a autorisés à passer à condition que chacun des rapatriés s'inscrive auprès des autorités.

À ce stade, bon nombre d'entre eux avaient baissé les bras.

« Nous leur avons dit que le gouvernement nous avait autorisés à rentrer, mais ils nous ont dit que ça leur était égal et qu'ils ne nous laisseraient pas passer, » a déclaré M. Khan. Six de ses frères sont toujours en garde à vue pour s'être disputés avec le personnel de sécurité.

M. Khan fait partie des 3 161 PDIP à avoir réussi à retourner à Dera Bugti au 3 février. De retour dans sa ville poussiéreuse, il a fait l'inventaire de tout ce qui a été perdu. « Nous avions une très bonne maison et un puits tubé. Maintenant, tout a été ravagé et pillé, et le puits est détruit, » a-t-il dit. « Nous ne pouvons rien cultiver si nous n'avons pas d'eau. »

Les mains de M. Khan sont couvertes d'ecchymoses. Comme bon nombre de personnes déplacées, il a passé son temps en exil à travailler comme manœuvre, réduisant des pierres en graviers pour les chantiers de construction.

« Ces enfants ne sont jamais allés à l'école, » a-t-il déclaré en pointant du doigt un groupe de jeunes garçons à proximité. Toute la famille de M. Khan a dû travailler pour survivre, parce que le gouvernement pakistanais a largement empêché les organismes locaux et internationaux d'aider les PDIP de Dera Bugti.

« Personne ne nous a jamais rien donné, ne serait-ce que quelque chose à brûler pour nous réchauffer », a expliqué M. Khan en arrachant un brin d'herbe sèche.

En dépit des pressions exercées par la communauté internationale sur le gouvernement pakistanais, les organismes d'aide ont rencontré bien des difficultés pour accéder aux PDIP.

Des articles de presse indiquent que 178 000 Bugti ont été déplacés depuis 2005.

Prendre la fuite

Le conflit opposait d’une part l'armée pakistanaise et, d’autre part, les combattants fidèles à Nawab Akbar Bugti, l'ancien gouverneur du Baloutchistan âgé de 79 ans. Ce dernier cherchait à obtenir une plus grande part des revenus provenant des champs de gaz naturel de la région.

Les forces de sécurité ont soupçonné les membres de sa tribu d'avoir saboté des pipelines transportant du gaz des champs de la ville voisine de Sui vers d'autres parties du Pakistan.

« Nous avons fui. Notre seule préoccupation était de trouver un endroit sûr pour nous cacher avec nos enfants »
Le 17 mars 2005, un conflit a éclaté entre les combattants tribaux, cantonnés dans un fort à Dera Bugti, et les soldats situés sur les collines avoisinantes. Les tirs d’artillerie des soldats pakistanais ont tué 43 civils qui tentaient de s'abriter près du fort. D’après un rapport d'enquête de la Commission des droits de l'homme au Pakistan, cela a déclenché un exode de la ville et des zones environnantes.

M. Khan a conduit 16 familles, soit 212 personnes, pour une marche de 21 jours vers le district de Jhal Magsi, situé à près de 200 km. « Nous avons traversé les montagnes à pied, de nuit et sous la pluie, » a-t-il expliqué. « Nous n'avions ni eau, ni nourriture. Les enfants ont mangé des graines que nous étions censés planter. »

« Nous avons fui. Notre seule préoccupation était de trouver un endroit sûr pour nous cacher avec nos enfants, » a expliqué Misk Ali, 55 ans, au milieu des tentes de Dera Bugti.
« Nous sommes partis sans faire de récolte, » a-t-il dit. Il a expliqué comment sa famille avait dû marcher pendant des semaines sous la pluie pour se mettre en lieu sûr. En chemin, son fils de 25 ans, Lal Muhammad, a été blessé par des tirs d'artillerie. Deux de ses plus jeunes enfants sont morts de maladie ; la pneumonie d’après lui.

Jusqu'à ce mois-ci, les PDIP de Dera Bugti s'étaient généralement vu interdire le retour chez eux. D’après les autorités, la zone était dangereuse et les membres de la tribu risquaient de rejoindre les insurgés. Six groupes séparatistes armés baloutches, dont un dirigé par un chef de la tribu Bugti, prennent régulièrement pour cible les troupes fédérales et des habitants non baloutches. Certains ont miné des zones proches des principaux axes routiers.

Cependant, en mai 2013, des nationalistes baloutches ont été élus au gouvernement provincial. À l'automne dernier, M. Khan et des centaines d'autres familles dirigées par des chefs de la tribu Bugti se sont rendus à Islamabad, la capitale du pays. Ils y ont rencontré des responsables du gouvernement et ont trouvé un accord pour le retour des PDIP.

Soutien

Malgré les promesses d'aide au retour, les PDIP ont déclaré n’avoir reçu aucun appui.
« Aucun plan n'a été prévu pour ramener ces personnes chez elles, » a indiqué un haut responsable sanitaire du district qui souhaite rester anonyme.

Aujourd'hui, les rapatriés comme M. Khan et M. Ali doivent camper dans les rues près de l'ancien fort de Dera Bugti, dans les cours des maisons abandonnées, dans un cimetière ; partout où ils trouvent de la place.

« Le besoin le plus immédiat est le logement, car la plupart des maisons des PDIP ont été détruites, » a expliqué le responsable sanitaire.

« Nous avons besoin de médicaments, surtout des antibiotiques, pour les nombreux enfants malades. La plupart souffrent de pneumonie, de bronchites chroniques et de diarrhées, » a ajouté le responsable.

Depuis des décennies, la plupart des services de santé sont inexistants dans la ville de Dera Bugti et le district environnant. Seules une femme médecin et trois infirmières sont disponibles pour les centaines de milliers de femmes du secteur. En 2013, les autorités ont empêché le transfert d'une femme médecin supplémentaire depuis un district voisin, invoquant des questions de sécurité. Pour des raisons similaires, le gouvernement n'autorise toujours pas les organismes d'aide à intervenir dans le secteur.

Sous-développement

Les griefs ayant initialement conduit au conflit ne sont pas résolus.

Les champs de gaz du district de Dera Bugti génèrent des millions de dollars de revenus pour la compagnie pétrolière nationale. Cependant, la région est en retard par rapport au reste du pays dans presque tous les aspects du développement, selon des données recueillies par le Bureau des statistiques du Pakistan. Cet institut est chargé du suivi des progrès du pays dans le cadre des Objectifs du Millénaire pour le développement des Nations Unies.

Un rapport gouvernemental de 2011 montre que seulement 15 pour cent des résidents sont déjà allés à l'école, 3 pour cent des enfants sont correctement vaccinés, 9 pour cent des maisons sont reliées à l'électricité et 4 pour cent disposent de l'eau courante. Dans le district contenant les plus grandes réserves de gaz naturel du pays, 35 pour cent des foyers sont éclairés à la bougie et 84 pour cent utilisent le charbon pour la cuisine.

« Aucun de nous n'a été impliqué dans les combats, » a expliqué M. Ali. « Nous n'entretenons aucune inimitié envers le gouvernement. Nous souhaitons seulement recevoir une compensation pour nos maisons et ce que nous avons perdu. »

uf/jj/rz-fc/ld


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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