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Omar Farooq : « C’est comme un incendie qui se rapproche »

Street in downtown Baghdad Jeff Werner/Flickr
The streets of Baghdad are – once again – becoming too unsafe for some residents to stay
Au plus fort des violences intercommunautaires en 2006-2007 en Irak, des milices extrémistes semaient la terreur, tuant des civils à de faux postes de contrôle et devant chez eux pour une seule raison : leur identité religieuse.

Ces tueries dites identitaires perpétrées par des escadrons de la mort – une des principales causes de décès et de déplacement durant cette période – ont diminué dans les années qui ont suivi, à mesure que la sécurité nationale s’améliorait en Irak.

Mais au cours des derniers mois, des attaques suicide à la bombe et des attentats à la voiture piégée ont ramené les taux de violence en Irak à leur maximum depuis cinq ans. Iraq Body Count, le site recensant les morts civiles dues à la guerre, a dénombré plus de 7 000 civils tués depuis le début de l’année.

Selon les analystes de la sécurité, les crimes identitaires, les enlèvements et les menaces de mort sont également en légère augmentation (heureusement, les violences n’ont pas atteint les sommets de 2006-2007).

Pour Omar Farooq, ces nouveaux évènements sentent le déjà-vu.

Il a fui Bagdad, la capitale, en 2006 à cause de la menace posée par les milices communautaires. Même si sa famille est à la fois sunnite et chiite, le prénom Omar est généralement associé à la branche sunnite de l’Islam.

Il y a quatre mois, il a été de nouveau obligé de fuir. Il a raconté son histoire à IRIN après avoir été témoin d’un meurtre tout près de chez lui.

« Bagdad [en 2006] était un enfer. À 14 heures, nous nous barricadions à l’intérieur de la maison, car c’est l’heure à laquelle les voitures patrouillaient les rues pour enlever ou tuer des gens. »

« Hélas, des centaines, voire des milliers – [il n’y a] pas de chiffres précis – d’hommes innocents ont été torturés et tués [par des milices chiites] pour le seul crime de porter un prénom sunnite. Al-Qaida avait à l’époque utilisé les mêmes méthodes contre les sunnites et les chiites – l’enlèvement, la torture puis le meurtre. Ils ont un dicton qui dit "Si vous n’êtes pas avec nous, vous êtes notre ennemi". »

« La chose la plus effroyable à cette époque cauchemardesque était qu’ils vendaient les personnes portant un nom [sunnite], comme Omar, Othman, Abu Baker ou Ma’aweya, au plus offrant pour qu’elles soient tuées par l’acheteur – comme si nous étions en quelque sorte des animaux à sacrifier. »

« Un jour, je suis rentré chez moi et ma famille était réunie. Ils m’ont dit : "Nous vous avons obtenu un visa à toi et à ta sœur". Ma sœur travaillait dans l’administration publique. À cette époque, tous ceux qui travaillaient pour le gouvernement étaient ciblés – tous. Je leur ai dit : "Mais je ne veux pas vous quitter." Ils m’ont répondu : "Nous pouvons survivre, mais tu dois partir à cause de ton prénom". »

« J’ai vécu aux [Émirats arabes unis] pendant neuf mois. Ensuite, en 2007, je suis allé à Erbil [la capitale de la région autonome du Kurdistan, au nord de l’Irak]. Il n’y avait plus personne à Bagdad. Tout le monde avait déserté. On aurait dit un no man’s land. Erbil était l’endroit le plus sûr pour les sunnites à l’époque.

Bagdad en 2008

« En 2008, la situation s’était arrangée. Les groupes extrémistes avaient diminué. Le vent avait encore tourné. Je suis donc retourné à Bagdad et je me suis même débrouillé pour trouver un travail au sein de l’administration publique [dirigée par des chiites] dans [la technologie de l’information]. »

« Tant que nous resterons à l’intérieur des frontières irakiennes, nous ne serons pas en sécurité. C’est la même chose, mais pour une autre raison ; avant c’était mon prénom et aujourd’hui, c’est parce que je suis arabe »
« Quand j’étais là-bas, le directeur principal était très satisfait [de mon travail], mais, quand nous étions seuls, l’autre directeur me disait : "Tu ne devrais pas être ici… Tu n’es pas le bienvenu ici." »

« Un jour, il m’a dit : "Tu as une mère âgée et un père âgé. N’as-tu pas peur de leur manquer un jour ? Peut-être qu’un jour, quelqu’un te mettra dans le coffre d’une voiture et tu ne reviendras peut-être jamais chez toi." Je suis rentré à la maison et j’ai dit : "je démissionne". Je n’y suis pas retourné. »

« Cette année [2013], les tueurs ont commencé à s’en prendre aux gens aux prénoms sunnites qui avaient des petits commerces dans mon quartier, comme des boutiques, des épiceries ou des salons de coiffure. »

« En mars, juste après le [coucher] du soleil, ma femme m’a remis une liste de courses à acheter au magasin. J’ai l’habitude d’emmener ma fille avec moi, car ça lui fait plaisir. Le magasin était de l’autre côté, à peut-être 20 mètres de distance. »

« C’est à ce moment que nous avons entendu des coups de feu… Quand j’ai traversé la rue, j’ai vu beaucoup de gens rassemblés… Ils ont dit : "Ils viennent de tuer le propriétaire du magasin. Il s’appelle Omar." »

« J’ai dit à ma femme que ça se rapprochait ; c’est comme un incendie qui se rapproche. Alors, j’ai dit : "Je n’ai pas peur pour moi, mais pour mes enfants, donc nous devons partir." »

De Bagdad à Erbil

« J’ai quitté mon domicile à Bagdad en laissant toutes les affaires à l’intérieur. Nous sommes venus ici [dans le Kurdistan irakien] sans rien, car il nous fallait la permission du commandement des opérations de Bagdad pour déménager nos affaires dans une autre province et je ne peux pas entrer dans cet endroit. C’est très dangereux pour quelqu’un qui porte mon prénom. Dans ce complexe, il y a l’une des prisons secrètes du gouvernement, spécialisée dans l’interrogation et la torture de sunnites. »

« J’ai donc été obligé de tout recommencer à zéro à Erbil. Nous dormions par terre et nous mangions des aliments en conserve, car nous n’avions rien pour cuisiner. Pendant les chaudes journées d’été, nous n’avions pas de réfrigérateur – nous survivions difficilement. J’ai réussi à trouver un travail et, la semaine dernière, nous avons acheté un tapis. »

« Nous ne pouvons pas rentrer [à Bagdad]. »

« Un jour, j’étais assis à mon bureau [à Erbil] quand mon collègue a reçu un coup de téléphone et j’ai vu son visage se décomposer. J’ai demandé : "Est-ce que tout va bien ?" Il a dit que l’Asayish [les forces de sécurité kurdes] avait été bombardé. Je me suis tout de suite inquiété pour ma famille. »

« J’avais l’impression d’être revenu à l’endroit que j’avais quitté. Tous mes espoirs se sont effondrés, comme si j’avais dessiné sur un miroir et que le miroir s’était brisé. »

« Dans l’entreprise, la plupart des employés ont cette vision des gens de Bagdad… Les gens qui travaillaient avec moi ont commencé à faire des réflexions comme : "Depuis que vous êtes là, les choses ont changé" et "Vous, les [Arabes] irakiens, vous nous avez causé du tort en venant chez nous au Kurdistan, vous avez fait grimper tous les prix." »

« J’ai dit à ma femme que je pensais quitter le Kurdistan. Tant que nous resterons à l’intérieur des frontières irakiennes, nous ne serons pas en sécurité. C’est la même chose, mais pour une autre raison ; avant c’était mon prénom et aujourd’hui, c’est parce que je suis arabe. »

« Je ne sais pas quoi faire maintenant. »

co/ha/cb-fc/amz


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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