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Meurtres et disparitions dans un climat de suspicion au Mali

Fear lingers and ethnic tension is on the rise in recently liberated towns. In Diabaly citizens tell of two Tuareg families who were forced to flee their village and are now hiding in town Katarina Hoije/IRIN
L’époux de Seyo Sangho a été arrêté par des soldats de l’armée malienne au marché central de Konna, ville située au centre du Mali, à 900 km de Bamako, alors qu’il se querellait avec un autre homme. « Depuis, je ne l’ai pas revu », a-t-elle dit. « C’était il y a dix jours ».

Des habitants de Konna ont dit à IRIN qu’ils se méfiaient de tout le monde : des hommes portant la barbe, des femmes portant le hijab, des mendiants du Pays Dogon, des étudiants des écoles coraniques et des soldats, qui auraient la gâchette facile.

À travers le pays, nombreux sont les Maliens qui accusent les touaregs d’avoir ouvert la porte aux rebelles et de les avoir aidés à prendre le contrôle des deux tiers du pays. Les séparatistes touaregs ont mis la main sur le Nord en avril, mais ils ont rapidement été écartés par des groupes islamistes bien armés.

Les non-touaregs et les non-arabes eux-mêmes ont peur. « Je ne conduis pas le soir. Si un soldat me demande de m’arrêter, je sais que c’est fini », a dit à IRIN Cheiko, un chauffeur de Sévaré, ville située à 60 km au sud de Konna.

Réseau d’informateurs

Dans le cadre de la création d’un réseau d’informateurs chargés de surveiller les étrangers, les autorités maliennes ont annoncé l’ouverture d’une ligne téléphonique qui permettra à la population de dénoncer les individus suspectés d’être des djihadistes. Certains disent craindre que la ligne téléphonique ne soit utilisée avec trop de précipitation, et bon nombre de peuls et de touaregs fuient les villes de Diabaly, Konna et Douentza de peur d’être pris pour des infiltrés.

« Des gens disparaissent et on ne les revoit plus. Tout déplacement ou toute personne qui n’est pas connue dans le quartier risque d’être signalée », a dit Aissata, une jeune femme de la ville de Konna.

À Mopti et Sévaré – des villes voisines – les résidents ont eux-aussi changé de comportement et essayent de faire profil bas. « Nous ne sommes pas de nature suspicieuse, c’est une ville très cosmopolite », a dit le maire de Mopti, Oumar Bahtily. « Mais étant donné la situation, nous avons dû changer nos habitudes ».

« Nous ne visons ni les touaregs ni les arabes, mais si un étranger arrive en ville, nous avons besoin de savoir qui il est », a-t-il ajouté.

Des adolescents exécutés, selon des témoins

Plusieurs résidents du quartier de Berlin, situé aux abords de Sévaré, ont dit à IRIN qu’ils avaient assisté à l’exécution de quinze jeunes hommes. Moussa Sidibé, un ancien soldat de l’armée malienne, a indiqué à IRIN qu’il avait vu une quinzaine d’hommes se faire conduire dans un champ avant de se faire tirer dans le dos ; leurs corps ont ensuite été jetés dans un puits.

« Je l’ai vu de mes propres yeux. Les hommes ont été amenés dans un champ et des soldats les ont abattus », a dit M. Sidibé.

Une femme, qui vit à proximité du champ en question et qui a demandé à garder l’anonymat, a confirmé les faits. « Je me dirigeais vers le puits quand j’ai vu des soldats dans le champ et trois hommes qui avaient les pieds et poings liés. Les garçons avaient l’air jeune, pas plus de 17 ou 18 ans. La dernière chose que j’ai vue, c’est un garçon qui s’est fait tirer dans le dos ».

L’armée et la police locale de Sévaré indiquent ne pas avoir connaissance d’arrestations ou de coups de feu tirés. « Si des coups de feu ont été tirés à Sévaré, il s’agissait certainement de personnes fêtant la libération de la ville », a dit le commandant Mariko, qui est à la tête des forces de police de Sévaré. « Il n’y a pas de bourreau ici. Tous les suspects ont été envoyés à Bamako. Nous sommes en guerre, mais nous respectons la loi ».

« Des gens disparaissent et on ne les revoit plus »  
Le capitaine Faran Keita, porte-parole de la base militaire, a nié avoir connaissance de l’exécution de suspects.

Plusieurs autres personnes ont fait état de disparitions ou de meurtres. Dans le village de Nyminyana, situé à quelques kilomètres de Douentza (à 165 km de Mopti), qui a été contrôlé par les groupes islamistes, puis reconquis par les troupes françaises et maliennes le 21 janvier, des soldats maliens sont partis à la recherche du marabout (le chef religieux musulman) du village et l’ont arrêté. Quelques jours plus tard, des villageois ont retrouvé son corps, qui avait été brûlé, dans le bush.

« Les rebelles ne sont jamais entrés dans le village. Nous ne savons pas pourquoi le marabout a été tué, peut-être voulaient-ils régler leurs comptes », a dit un villageois qui a demandé à garder l’anonymat, de crainte d’être pris pour cible à son tour.

« On peut s’en tirer sans être puni ».

Des Maliens du nord arrêtés

Le réseau d’informateurs a permis l’arrestation à Sévaré de personnes venues du Nord. Les résidents de la ville ont dit à IRIN que les nordistes qui sont arrivés à la gare routière ont été stoppés, battus et arrêtés.

« À son arrivée à Sévaré, un ami originaire de Gao a été emmené au quartier général de l’armée où il a été battu. Quand les soldats l’ont relâché, il est reparti dans le Nord tout de suite », a dit à IRIN Abba, un guide touristique au chômage.

Philippe Bilion, un chercheur de Human Rights Watch qui enquête sur les signalements de violences à Sévaré, dispose de la liste des noms des personnes arrêtées.

« La plupart des personnes arrêtées sont des peuls, un groupe ethnique nomade proche des touaregs. D’autres ont été suspectés d’avoir aidé les rebelles islamistes », a-t-il dit à IRIN.

« Jusqu’à présent, les autorités n’ont montré aucune volonté d’enquêter sur les personnes disparues. Le signal qu’elles envoient aux soldats est qu’ils peuvent s’en tirer sans être punis. Si elles n’agissent pas maintenant, nous risquons d’assister à une multiplication de ces incidents alors que le conflit se poursuit ».

M. Keita a reconnu que des arrestations avaient eu lieu. « Le pays est en état d’urgence ; ces mesures sont nécessaires pour protéger la vie des civils », a-t-il dit à IRIN.

La France a demandé le déploiement d’observateurs internationaux des droits de l’homme au Mali afin de prévenir les violences injustifiées et la montée des violences intercommunautaires.

Les analystes ont fait part de leurs craintes de voir les nombreuses milices civiles maliennes se joindre aux efforts entrepris pour chasser les djihadistes. 

Des voix s’élèvent pour demander l’envoi d’une force internationale d’interposition ou de troupes internationales pour surveiller ces opérations.

Des milices prêtes à combattre

À Sévaré, au moins trois groupes miliciens ont été formés – en général, par d’anciens soldats – afin d’aider une armée malienne sous-financée et insuffisamment formée à traquer les djihadistes.

Au camp de Ganda Iso, établi à l’extérieur de Sévaré, une milice composée d’un millier d’hommes, principalement des membres de l’ethnie Songhaï – pour la plupart des réfugiés du Nord – se prépare au combat. Vêtus d’uniformes de fortune élimés et armés de quelques Kalachnikovs rouillées, ils ne sont pas préparés au combat. Mais leur chef, Ibrahim Diallo, indique qu’ils seront prêts à se battre dès que l’armée leur aura fourni des fusils corrects.

« Nous sommes prêts à débarrasser le pays des terroristes qui ont aidé les rebelles à prendre le contrôle de nos villes. Nous attendons seulement que l’armée nous accepte », a dit à IRIN M. Diallo.

À la base militaire de Sévaré, M. Keita a indiqué que les membres des milices devraient compter pour près de la moitié des nouvelles recrues d’une armée malienne en reconstruction, mais qu’aucun milicien n’avait été incorporé pour l’instant.

« Nous n’allons pas juste les lancer dans les combats. Ils recevront une formation adaptée, comme tout le monde », a-t-il dit.

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This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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