« Nous dirions qu’il y a physiquement assez d’eau dans le Nil pour tous les pays riverains », a dit Simon Langan, directeur du Bureau Afrique de l’Est et Bassin du Nil de l’Institut international de gestion des ressources en eau (International Water Management Institute, IWMI), lors du lancement à Addis Abeba de The Nile River Basin : Water, Agriculture, Governance and Livelihoods (Bassin du Nil : eau, agriculture, gouvernance et moyens de subsistance), publié par le Programme sur les défis en matière d’eau et d’alimentation du Groupe consultatif pour la recherche agricole internationale (GCRAI).
« Ce que nous devons réellement faire, c’est nous assurer que cette eau est accessible [...] Le taux de pauvreté est d’environ 17 pour cent en Égypte, mais il atteint près de 50 pour cent dans cinq des pays riverains plus en amont. L’accès à l’eau est donc très important », a ajouté M. Langan.
Selon un avis aux médias informant de la sortie du livre, le Nil a un débit « suffisant pour alimenter les barrages et irriguer les terres agricoles arides des dix pays riverains, mais les décideurs risquent de déposséder les pauvres de leur accès à l’eau s’ils n’adoptent pas des mesures de gestion de l’eau qui ne laissent personne de côté. »
Selon Seleshi Bekele, coéditeur du livre et spécialiste des ressources en eau et du climat à la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique, si de meilleurs semences et outils sont essentiels pour améliorer la productivité agricole, l’eau est encore plus importante.
« Plus vous avez accès à l’eau, moins il y a de pauvreté [...] Cela est non seulement vrai lorsque l’on compare l’Égypte et les pays en amont, mais également en Éthiopie, où l’on compte 22 pour cent moins de pauvres dans les communautés qui ont accès à l’eau », a-t-il dit.
L’accès « signifie que les filles peuvent aller à l’école, au lieu d’aller chercher de l’eau à des heures de marche », a-t-il ajouté.
Les petits agriculteurs du bassin du Nil, qui dépendent de l’eau de pluie pour irriguer leurs champs, profiteraient également de mesures leur donnant un plus grand accès à l’eau.
Le livre appelle les investisseurs à adopter des mesures de gestion de l’eau à usage agricole, notamment en matière d’irrigation et de collecte de l’eau de pluie, afin que les zones les plus arides de la région puissent produire suffisamment de nourriture.
Selon M. Bekele, les mesures de gestion de l’eau à usage agricole, qui sont considérées comme essentielles à la croissance économique, à la sécurité alimentaire et à la réduction de la pauvreté, doivent être mieux intégrées dans les politiques agricoles de la région.
« Il est tentant pour ces gouvernements de privilégier des programmes d’irrigation à grande échelle, comme ceux qui existent au Soudan et en Égypte. Pourtant, il faut également accorder une plus grande attention aux techniques de gestion de l’eau de moindre envergure, à l’échelle des exploitations, qui utilisent l’eau de pluie et des réserves comme les aquifères, » a-t-il ajouté.
Photo: Marwa Morgan |
L’accès à l’eau est essentiel pour la productivité agricole (photo d’archives) |
Appel à plus de coopération
Les experts ont également lancé un appel à plus de coopération entre les gouvernements des pays riverains.
L’Égypte et le Soudan n’ont toujours pas adhéré à l’Accord-cadre de coopération (Cooperative Framework Agreement, CFA) pour le bassin du Nil signé en 2010, après des années de négociations stériles avec Le Caire, par six autres pays riverains, afin de revoir les conditions des traités coloniaux qui attribuaient à l’Égypte et au Soudan le contrôle de la majeure partie des eaux du fleuve. Les six États rejettent tout particulièrement le droit de véto accordé à l’Égypte concernant les projets proposés en amont du Nil.
« Le CFA prévoit clairement qu’aucun État ne peut exercer d’hégémonie sur les eaux du Nil et leur utilisation ni revendiquer de droits exclusifs », a écrit Seifulaziz Milas, auteur et spécialiste du Nil, dans un article publié récemment sur le site Internet African Arguments.
« L’entrée en vigueur du CFA en mai 2010 a été un choc pour Le Caire, qui pensait pouvoir y faire obstacle. Le choc a été d’autant plus grand que, la même semaine, le premier ministre éthiopien [de l’époque] inaugurait le projet Tana-Beles, sur le fleuve Beles, un affluent du Nil bleu, » a-t-il dit.
Inquiétudes concernant le nouveau barrage éthiopien
Plus récemment, l’Égypte a fait part de ses inquiétudes concernant le barrage éthiopien Grand Ethiopian Renaissance, dont la construction devrait s’achever en 2015. Selon Le Caire, ce barrage réduirait le débit du fleuve en Égypte, dont 95 pour cent des eaux proviennent du Nil. Selon Addis Abeba, le débit annuel de 55,5 milliards de mètres cubes du Nil en Égypte ne sera pas affecté. Un comité d’experts internationaux devrait rendre ses conclusions sur l’impact du barrage en mai 2013.
« Aujourd’hui, comme par le passé, l’utilisation du Nil reste remarquablement inéquitable », a dit récemment le ministère des Affaires étrangères éthiopien dans un communiqué.
« L’Éthiopie, qui contribue à 85 pour cent au débit du fleuve, ne l’utilise pas. L’Égypte, qui ne contribue en rien, continue d’argumenter en faveur du maintien de son statut de principal bénéficiaire. L’Égypte se base toujours sur des traités coloniaux obsolètes que l’Éthiopie n’a ni signés ni soutenus pour justifier cette attribution d’utilisation déséquilibrée. Il n’est donc pas surprenant que, dans un esprit d’équité et en vertu des lois qui défendent ces principes, les gouvernements éthiopiens successifs aient refusé d’accepter la position égyptienne », a ajouté le ministère.
Selon M. Bekele, malgré les débats enflammés, il est possible d’éviter un conflit majeur à propos du Nil.
« Je ne pense pas qu’il y ait une raison de faire la guerre [...] Il est possible de gérer l’eau et de renforcer la coopération et l’intégration régionale, grâce au commerce de l’énergie et à la productivité agricole, par exemple », a-t-il dit.
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