Le 27 juillet, après un mois d’intenses négociations au siège des Nations Unies à New York, les États-Unis, la Russie, Cuba, la Corée du Nord et le Vénézuéla ont déclaré que les pourparlers allaient devoir être prolongés avant de pouvoir parvenir à un accord sur le traité sur le commerce des armes (TCA).
« Nous avons assisté à une vague de déception parmi les gouvernements et les ONG [organisations non gouvernementales]. Les pays considérés comme responsables [de cet échec] se sentent probablement soumis à une forte pression. Mais nous ne devrons sans doute pas attendre encore dix ans avant de parvenir à un traité [sur le commerce des armes classiques] », a dit à IRIN Beatrice Fihn, de Reaching Critical Will (RCW) – la section globale en matière de désarmement de la Ligue internationale de femmes pour la paix et la liberté, basée à Genève.
La conférence a abordé trois questions fondamentales concernant un éventuel traité : son objet, c’est-à-dire sur quelles catégories d’armes il devrait porter ; ses critères, à savoir la limite minimum de transferts d’armes autorisés ; et son application, notamment la mise en place par chaque signataire potentiel d’organismes de réglementation compétents et transparents.
Après la conférence, des gouvernements de 90 pays participants ont prononcé une déclaration commune pour faire part de leur déception et de leur détermination à « obtenir un traité sur le commerce des armes aussi rapidement que possible. Un traité qui rendra le monde plus sûr pour l’ensemble de l’humanité ».
Le seul point positif, selon les partisans d’un traité « robuste », est qu’un instrument juridiquement contraignant réglementant le commerce des armes est toujours possible et, comme l’a dit à IRIN Ray Acheson, directrice de projet pour RCW, « il existe plusieurs options ».
« Le projet actuel pourrait être soumis au vote de l’Assemblée générale des Nations Unies, si un État membre est prêt à proposer cette solution. Sinon, des États pourraient soumettre un projet plus solide au vote de l’Assemblée générale. Ou l’Assemblée générale pourrait établir un nouveau mandat de négociation pour le TCA. Les États pourraient alors baser leurs négociations sur le projet de texte actuel ou tout recommencer. Enfin, la question pourrait être abandonnée, mais cela semble peu probable », a-t-elle dit.
Guy Lamb, auteur principal du guide de l’Institut d’études de sécurité (IES) intitulé Negotiating an Arms Trade Treaty, A Toolkit for African States (négocier un traité sur le commerce des armes : des outils pour les États africains), a dit à IRIN : « Nous avons parcouru un long chemin […]. Avant le 30 juin, il n’y avait pas le moindre texte. Le 27 juillet, nous disposions d’un projet de traité et 90 États [membres des Nations Unies] ont dit “nous pouvons nous accommoder de cela et probablement de plus”. »
Munitions
Selon Guy Lamb, les États-Unis, plus grand exportateur d’armes au monde, se sont engagés à participer à un deuxième cycle de négociations et, pour voir les choses sous un jour « positif », cela laisserait plus de temps pour examiner plus en détail la question des munitions et pour envisager d’intégrer davantage de dispositions relatives aux droits de l’homme et au droit humanitaire international.
« Ce délai supplémentaire nous donne la possibilité de résoudre certains points du traité... et nous pourrions même intégrer les munitions à “l’objet”, plutôt que de simplement les évoquer dans [l’article lié à] l’export », a dit à IRIN Roy Isbister, responsable de la section transferts d’armes et armes de petit calibre de Saferworld, une ONG mandatée pour prévenir les conflits armés dans le monde.
La société civile et de nombreux gouvernements participants avaient fait campagne pour que les munitions — considérées comme le carburant des conflits — soient intégrées à la liste des armes classiques figurant au traité. Or, les négociations s’étaient concentrées sur les chars de combat, les véhicules blindés de combat, les systèmes d’artillerie de gros calibre, les avions de combat, les hélicoptères d’attaque, les navires de guerre, les missiles, les lanceurs de missiles et les armes légères et de petit calibre.
Le TCA proposé bénéficiait du soutien de l’Union européenne, de deux membres permanents du Conseil de sécurité (le Royaume-Uni et la France) et de l’Allemagne.
Allison Pytlak, porte-parole de la coalition Contrôlez les armes (CAC), un groupement d’ONG militant pour un traité sur le commerce des armes classiques, a dit dans un document lu par IRIN : « soutenir la volonté des États-Unis d’obtenir un mandat pour une nouvelle conférence diplomatique ou ouvrir un débat sur un texte entièrement nouveau était considéré comme une mauvaise idée, source de trop d’incertitudes. L’élan en faveur d’un accord sur le TCA en 2012 est considérable et il ne faudrait pas le freiner. »
Les prémisses du traité
La CAC envisageait que les États favorables présentent à l’Assemblée générale une résolution en faveur de l’adoption du traité en octobre 2012 et, en cas d’approbation par la première Commission, organisent un vote final en décembre 2012, évitant ainsi « les obstacles imposés par le consensus ».
Selon Mme Fihn, du RCW, « la règle du consensus [des Nations Unies] était un gros problème », mais il fallait faire un choix entre un « traité faible » adopté par davantage de pays ou un accord ferme avec moins de signataires.
C’est un groupe de prix Nobel de la paix mené par Óscar Arias, devenu président du Costa Rica par la suite, qui a donné une première impulsion au TCA en 2003. L’élan a été poursuivi par une résolution de l’Assemblée générale adoptée en 2006 visant à établir « des normes internationales communes pour l’importation, l’exportation et le transfert d’armes classiques ». En 2009, l’Assemblée générale a entamé le processus dans le cadre de la politique de « consensus » des Nations Unies et imposé un délai.
La position des États-Unis
La décision des États-Unis de demander un délai supplémentaire est probablement due à une campagne de l’influente National Rifle Association (NRA) à l’approche des élections présidentielles. Selon la NRA, le TCA sous-entendait de retirer aux citoyens américains le droit de porter des armes à feu, garanti par le deuxième amendement. Les analystes n’ont cessé de démentir cette affirmation. Reste à savoir si les électeurs américains y croient ou non.
Cependant, l’argument avancé par la délégation américaine pour s’opposer au projet de traité était que « tout TCA nécessiterait le soutien des principaux exportateurs d’armes et nous pensons que certains d’entre eux refuseraient d’adhérer à un TCA exigeant des mesures significatives et efficaces de contrôle des transferts d’armes classiques. La seule façon de convaincre l’ensemble des principaux exportateurs de souscrire au TCA serait d’en affaiblir les dispositions. »
« Un TCA faible légitimerait une norme internationale fondée sur le plus petit dénominateur commun, qui ne résoudrait pas le problème des transferts d’armes illicites et irresponsables », a déclaré la délégation.
Ces dernières années, les conventions sur les armes adoptées en dehors du cadre des Nations Unies ont emprunté la voie de la moindre résistance. La Convention d’Ottawa sur l’interdiction des mines, adoptée en 1997 pour interdire l’emploi et le stockage des mines antipersonnelles, est entrée en vigueur en 1999, après avoir été ratifiée par 40 États. À l’heure actuelle, 160 États en sont partie. De la même manière, la Convention sur les armes à sous-munitions, qui interdit l’emploi, le transfert et le stockage de bombes à sous-munitions, est entrée en vigueur en 2010, signée par 30 États, et 111 pays en sont actuellement partie.
La Chine, la Russie et les États-Unis n’ont adhéré à aucune de ces conventions. Mme Fihn estime cependant que celles-ci ont « créé une norme internationale » et eu un « effet considérable en matière de droit international ». D’ailleurs, même les pays non-signataires en respectent souvent les conditions.
Selon M. Lamb, de l’IES, ces conventions visant à interdire les armes d’emploi aveugle ont été négociées par des « États partageant les mêmes vues » et étaient bien plus faciles à négocier. Le système des Nations Unies voulait qu’un accord soit décidé par consensus et la question de l’accès aux armes classiques relève du droit d’autodéfense des nations, « ajoutez à cela les intérêts économiques en jeu — c’est bien plus complexe » que pour les récentes conventions sur les armes.
« Lacunes »
« Le projet de texte actuel est inacceptable, selon moi. Il contient toujours d’importantes lacunes qui auraient compromis sa capacité à réellement diminuer les souffrances humaines causées par le commerce irresponsable des armes », a dit Mme Acheson.
Plusieurs éléments du traité l’inquiètent, notamment le manque de transparence concernant les communications et la conservation des données, lesquelles ne seraient plus obligatoirement rendues publiques ; le fait que les États exportateurs puissent continuer à transférer des armes à des gouvernements responsables de violations des droits de l’homme ; le manque de réglementation concernant les courtiers en armement ; et l’absence de disposition sur l’aide aux victimes.
M. Isbister, de Saferworld, a cependant fait remarquer qu’une fois adopté, un traité n’était pas coulé dans le béton et qu’il était possible de le « retoucher » pour l’actualiser « afin de rester en phase avec les [progrès] technologiques [réalisés dans le domaine militaire]. »
Robert Zuber, de l’ONG Global Action to Prevent War, a dit dans une analyse rétrospective du processus d’élaboration du TCA que le « manque d’intérêt » de la part de la société civile concernant les processus des Nations Unies « était préoccupant » et que les négociations du TCA ayant été organisées par les Nations Unies, elles « auraient dû soulever davantage d’intérêt envers cette institution. »
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