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Un nouveau rapport sur la R2P remet en cause l’action humanitaire

A weapon belonging to a Toposa warrior from South Sudan Khristopher Carlson/IRIN
A weapon belonging to a Toposa warrior from South Sudan
Les Nations Unies reconnaissent que la communauté internationale a la Responsabilité de Protéger (Right to Protect, R2P) les civils durant les conflits et cette philosophie est rapidement devenue partie intégrante des missions de maintien ou d’imposition de la paix. Cependant, un nouveau rapport remet en question certains des principes de l’action humanitaire.

La R2P est née dans les années 1990 à la suite du génocide rwandais quand on a pris conscience qu’il n’était plus possible de compter sur les Etats pour protéger les civils. La charge de prévenir les violations extrêmes des droits humains est donc revenue à la communauté internationale ; et c’est ce principe qui a depuis servi à justifier l’intervention dans des pays comme la Libye ou la Syrie.

Mais dans la réalité, – ce qui vient d’être confirmé par une nouvelle étude de l’Institut de développement d’outre-mer (ODI) britannique, intitulée Local to Global Protection in Myanmar (Burma), Sudan, South Sudan and Zimbabwe (Une perspective locale sur la protection mondiale)– en cas de conflit et de crise, les gens doivent presque toujours assurer leur propre protection, celle de leur famille et de leur village.

Le Réseau des pratiques humanitaires (HPN) de l’ODI a essayé d’établir sur quelle protection pouvaient compter les communautés confrontées à des crises réelles et sévères dans deux régions du Myanmar, dans la province soudanaise du Sud-Kordofan, dans l’Etat de Jonglei au Soudan du Sud, et au Zimbabwe. Les enquêteurs ont demandé aux gens ce qu’ils considéraient comme les menaces les plus graves pour eux,  comment ils pouvaient eux-mêmes réagir à ces menaces et ce qu’ils pensaient d’une éventuelle assistance extérieure.

Nils Carstensen, le coordinateur du projet (Perspectives locales pour la protection globale ou L2GP) a déclaré lors de la présentation officielle du rapport à Londres le 8 février : « Nous avons eu cette impression désagréable d’être déconnectés [de la réalité] à plusieurs niveaux, et le sentiment que cela… ne se traduisait par aucune réelle amélioration pour ceux qui ont besoin de protection. Nos propres efforts internationaux pour protéger les populations étaient également sans rapport avec une multitude d’initiatives locales ou à base communautaire destinées à protéger les populations qui semblaient procéder de façon complètement différente. »

Les menaces rencontrées étaient nombreuses et variées : bombardements aériens au Kordofan, attaque des troupeaux au Jonglei, population piégée dans une longue insurrection dans les régions Karen au Myanmar, faim et extrême pauvreté dans les zones frappées par le cyclone Nargis, harcèlement politique et montée de la pauvreté au Zimbabwe. Mais les gens ont aussi fait état de menaces qui ne relèvent pas des catégories habituelles des violations des droits humains : des dangers pour leurs troupeaux par exemple, ou pour d’autre aspects de leurs moyens de subsistance, ou encore des menaces pour  leur solidarité et leur vie en tant que communauté.

Ils considéraient les actions qu’ils avaient mises en œuvre pour se protéger eux-mêmes comme plus importantes que n’importe quelle intervention extérieure. « Pour eux, a indiqué M. Carstensen, les efforts officiels étaient plutôt modestes, ou en fait inexistants, voire même contre-productifs. »

Laisser la place

La stratégie de protection la plus courante était aussi la plus simple : les gens s’en allaient. Les villageois Karen se sont réfugiés dans la jungle, les populations du Sud-Kordofan ont fui dans les montagnes Nuba. Ils ont survécu grâce à leur connaissance des plantes alimentaires  sauvages et des plantes médicinales, mais aussi en utilisant des cultures et des espèces animales capables de tolérer des conditions difficiles. Dans d’autres cas, les gens sont partis en ville, ont rejoint des camps de réfugiés ou même des pays voisins pour y chercher du travail.

Ce qui est important, c’est de se préparer au pire, de rester à l’écoute des dangers possibles et d’avoir suffisamment d’économies, de bêtes ou de réserves de nourriture. Les gens comptent les uns sur les autres, sur le partage, la solidarité et l’aide mutuelle.

« Et nous [la communauté humanitaire], nous disons : On ne donne pas des extensions de cheveux à des gens qui sont en train de mourir, au milieu d’une guerre »
Les plus faibles recherchent aussi la protection en s’alliant avec les plus forts. Les chefs communautaires et les chefs religieux qui ont un bon réseau de relations sont à même de négocier des concessions ou une forme de protection pour leur communauté. Il arrive que les individus s’appuient sur les relations familiales ou paient des pots-de-vin aux autorités. Ainsi les Zimbabwéens achètent une carte du parti au pouvoir, quelle que soit leur affiliation politique réelle.

Dans les régions du Myanmar touchées par les conflits, l’engagement d’un fils dans un groupe armé peut être une solution. « Mon neveu est devenu soldat du Conseil [Karen] pour la paix (PC) afin de protéger la famille, » a expliqué un villageois Karen à l’enquêteur. « Si on a un lien avec le PC, on peut voyager librement et on n’a pas de problèmes aux postes de contrôle. »

Selon M. Carstensen, certaines de ces stratégies ont eu des conséquences importantes et néfastes.

D’autres stratégies pourraient recevoir le soutien actif des agences extérieures, mais risqueraient d’entraîner celles-ci à prendre des positions qu’elles sont réticentes à prendre. Pour beaucoup d’acteurs humanitaires, c’est un véritable blasphème que de promouvoir des alliances avec des parties armées. Et comment répondre à des victimes qui veulent des armes pour se protéger ? Certains villages au Myanmar se sont même mis à poser leurs propres mines antipersonnel pour contenir les envahisseurs ; c’est ce que Ashley South, qui était responsable de la recherche sur ce pays, a appelé le « dilemme » de la protection.

Donnez-nous des fusils
 
Les questions de protection ont été particulièrement problématiques au Soudan du Sud où les  programmes de désarmement gouvernementaux ont laissé aux villages désormais sans armes un sentiment de vulnérabilité. Les alertes au tam-tam et les patrouilles sans armes ont leurs limites. Interrogés par l’auteur de l’étude sur le Jonglei, Simon Harragin, les Dinka ne voyaient pas l’intérêt de se voir offrir des ateliers de renforcement des capacités pour discuter des questions de protection. « Si vous voulez nous aider, » ont-ils répondu, « donnez-nous des fusils. »

L’argument de M. Harragin est que les systèmes conventionnels reposent sur une structure juridique qui n’existe pas actuellement dans cette région du Soudan du Sud et que le désarment n’est peut-être pas la solution idéale face au vide sécuritaire actuel. « Tout le monde répète désarmement, désarmement, désarmement, mais qui va garantir la sécurité ? »

A la question de savoir quelles pourraient être les conséquences du désarmement obligatoire en cas d’échec du désarmement volontaire, M. Harragin a répondu : “Les gens s’enfuient dans les marais depuis 1991, ils savent exactement où cacher les armes quand viendra le désarmement forcé. En un éclair, ils fonceront vers le ‘toich’ [terres basses touchées par les inondations saisonnières] pour y cacher leurs fusils. »

Le rapport souligne clairement que les grandes missions de maintien de la paix sont rarement en mesure d’apporter des réponses pour protéger les populations à l’échelle des villages.

Les représentants de Nuba qui étaient présents à l’occasion de la présentation du rapport [de l’ODI], se sont montrés particulièrement critiques vis-à-vis de la Mission des Nations Unies au Soudan (UNMIS), qui selon eux ne valait pas la Commission militaire commune (JMC), beaucoup plus modeste, qui l’avait précédée. Salaam Tutu, de Nuba Mountains Solidarity Abroad (comité de solidarité établi à Londres) a dit à IRIN : « L’UNMIS n’a pas de relations directes avec la population locale. Nous les considérons  comme des étrangers, et non comme des gens qui viennent pour nous protéger. Quand il y avait un problème dans un village, la JMC essayait de le résoudre, mais ce n’est pas le cas avec l’UNMIS. »

Extensions de cheveux et conflit

Le rapport reconnaît qu’une protection effective consiste à comprendre ce que les populations locales considèrent comme leurs priorités et à être suffisamment flexible pour répondre à des demandes inhabituelles, comme celles qui ont été faites au Sud-Kordofan : des cordes de guitare, des perles et des extensions de cheveux, de façon à ce que, même au beau milieu d’une guerre prolongée ou d’une famine, les communautés puissent continuer à célébrer les mariages et d’autres occasions avec de la musique et des danses.

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Justin Corbett, auteur de la section du rapport sur le Sud-Kordofan/Nuba, a déclaré  au cours de la présentation : « Les besoins psychologiques ont été soulignés à maintes et maintes reprises… Ce dont je veux parler, c’est de ces besoins qui vont au-delà [de la satisfaction] des besoins en nourriture et en eau. »

« La raison pour laquelle les organisations non gouvernementales étaient mal à l’aise vis-à-vis de ces [extensions de cheveux], c’est qu’elles voulaient pas mécontenter les donateurs et qu’elles s’inquiétaient de ce qu’en penserait l’opinion publique. C’est vraiment étrange, n’est-ce pas, alors même que les populations qui tentent de se protéger identifient ce qui, à leur avis, pourrait les aider, on se rend compte que le système humanitaire conventionnel est en fait incapable de répondre à cette demande parce qu’elle ne rentre pas dans les cases. Et nous [la communauté humanitaire], nous disons : On ne donne pas des extensions de cheveux à des gens qui sont en train de mourir, au milieu d’une guerre. »

Pour la directrice du Groupe de politique humanitaire (HPG) de l’ODI, Sara Pantuliano, les conclusions du rapport apportent la preuve accablante de l’inefficacité de l’effort international…

« Les structures que nous avons mises en place, a t-elle ajouté, nous ont de plus en plus éloignés, en tant qu’acteurs de l’aide internationale, des populations…Elles alourdissent l’intervention, empêchent de prendre des risques, accumulent les contraintes et réduisent la capacité à s’adapter à la spécificité de la situation locale, alors qu’il existe tant d’initiatives que nous pourrions soutenir. »

eb/go/cb-og/amz


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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