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La démobilisation des enfants soldats compromise par l’insécurité

Sur le papier, rebelles et militaires au Tchad se disent d’accord : la place d’un enfant n’est pas dans un mouvement armé, et ceux qui sont associés à ces forces et groupes devraient être démobilisés et réinsérés. Mais dans la réalité, le regain d’insécurité des derniers mois a plutôt entraîné une reprise des recrutements, selon de nombreux acteurs humanitaires.

En mai 2007, profitant d’un certain retour au calme après la signature, en décembre 2006, d’un accord de paix entre le gouvernement tchadien et plusieurs groupes rebelles de l’est du pays, le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) a signé un protocole d'accord avec le gouvernement pour retirer et réinsérer les enfants associés aux forces et groupes armés.

Financé par l’UNICEF et les coopérations espagnole et japonaise, ce programme a permis d’extraire des forces et groupes armés 496 enfants en 2007, selon l’UNICEF.

Mais à partir de fin 2007, à la faveur de nouvelles attaques contre le régime du président Idriss Déby, le mouvement de démobilisation s’est brusquement ralenti. « Soudain, l’ambiance était à la guerre et à sa préparation, la collaboration [avec les forces et groupes armés] s’est dégradée », a raconté l’un des partenaires du programme.

Ce regain de violence a eu des conséquences sur la démobilisation des enfants : seuls 59 d’entre eux ont pu être retirés des forces et groupes armés en 2008, et aucun depuis début 2009.

Des enfants avides de se réinsérer

Le coup de frein donné au mouvement de retrait des enfants des forces et groupes armés est d’autant plus regrettable que le processus a prouvé son efficacité, a dit M. Mohindo de l’UNICEF.

Les plus âgés des enfants extraits des forces et groupes ont bénéficié de formations professionnelles : certains ont été embauchés par leurs maîtres d’apprentissage et travaillent aujourd’hui comme couturiers, cuisiniers, mécaniciens ou encore menuisiers. D’autres ont bénéficié d’un soutien pour se lancer dans des activités génératrices de revenus, comme l’agriculture ou le commerce. Ils ont tous eu la possibilité de suivre des cours d’alphabétisation, dispensés au CTO.

Les plus jeunes ont intégré l’école, avec des résultats particulièrement encourageants, a dit Mahamat Ali Zenal Abidine, directeur du CTO de N’djamena, géré par l’organisation CARE, qui héberge 38 enfants. « Ils sont presque tous parmi les meilleurs élèves de leur classe. Beaucoup d’entre eux sont même les premiers ».

Les enfants bénéficient aussi d’un suivi psychologique, certains d’entre eux ayant été traumatisés par ce qu’ils ont vécu. « Certains ont été impliqués dans les guerres ‘tribales’, ils ont grandi dans la haine de l’autre », a expliqué M. Abidine.

C'est le cas de Yaya*, 16 ans, arrivé au centre en 2007, qui a reconnu que malgré sa volonté de tourner la page et de devenir chauffeur mécanicien, il ne voulait pas retourner dans sa région du Dar Tama. « Je suis sûr que si je repars, je vais retrouver l’injustice et ça va me ramener dans la rébellion ».

Peu à peu, les personnels qui encadrent ces enfants les voient évoluer, notamment à travers les dessins qui recouvrent les murs d’enceinte du centre de N’djamena. « Quand ils arrivent, les enfants ont souvent des réactions violentes, ils dessinent la guerre. Puis ils [s’apaisent] et se mettent à dessiner des bancs d’école », a fait remarquer M. Abidine.

Le centre continue à suivre les enfants une fois sortis du centre, pour « leur éviter de tomber dans la délinquance, la drogue ou l’alcool, parce qu’ils sont encore très jeunes », a-t-il dit.

La réinsertion des enfants retirés des groupes armés est un long processus, mais qui mérite d’être soutenu, a plaidé M. Basse, de l’UNICEF. « Si les pays donateurs n’avaient pas investi dans [le programme de retrait et de réinsertion de ces enfants], ce serait 555 enfants de perdus pour la communauté ».
Au contraire, la tendance des derniers mois serait plutôt au recrutement, ont dit plusieurs acteurs humanitaires au Tchad. « Les groupes armés continuent à recruter des enfants soldats en toute liberté », a déploré récemment l’organisation Oxfam international dans un communiqué.

Ce recrutement, effectué par des entités « non identifiées », s’opère jusque dans les camps de réfugiés de l’est du Tchad, qui accueillent plus de 250 000 personnes ayant fui la région du Darfour, au Soudan, ont noté plusieurs acteurs humanitaires.

Un recrutement tabou

Malgré les très nombreux témoignages faisant état d’une reprise du recrutement et de la présence d’enfant dans les forces et groupes armés, le sujet reste tabou, à la fois du côté de l’armée nationale tchadienne (ANT) et de la rébellion.

« Quand les [groupes rebelles] ont intégré l’armée [en 2007], ils ont amené beaucoup d’enfants et certains chefs ont essayé de les garder », a dit à IRIN le général Béchir Ali Haggar, commandant du groupement des écoles militaires interarmées et représentant du ministère de la Défense près les humanitaires. « Mais ils ne sont pas rémunérés par l’armée. Officiellement, l’armée n’a plus d’enfants ».

Un officier supérieur de l’armée a cependant reconnu qu’il « pouvait y en avoir ». Un militaire du rang, qui était récemment en opération dans l’est du pays, a dit à IRIN : « il y a des enfants, mais pas seulement dans l’armée, il y en a [aussi] chez les rebelles. C’est la guerre, on a besoin de tout le monde ».

Tout comme l'armée nationale, la rébellion a nié procéder à des recrutements d'enfants. « Nous sommes très prudents avec cela, nous ne pouvons pas nous le permettre parce que nous recherchons une crédibilité internationale », a affirmé Makaila Nguebla, membre de l’opposition armée tchadienne et ancien coordonnateur Afrique de l’Alliance nationale des groupes armés au Tchad.

Sur les 555 enfants retirés des groupes armés depuis 2007, 87 pour cent venaient des groupes rebelles signataires de l’accord de paix avec le gouvernement, les 13 pour cent restants étant issus de l’ANT.

La présence de ces enfants dans les forces et groupes armés est parfois due à l'ignorance, a noté Désiré Mohindo, spécialiste de la protection de l’enfant à l’UNICEF. « Certains chefs n’ont pas fait beaucoup d’études. Quand on leur dit ‘enfant’, ils pensent à des enfants de sept ou huit ans, mais pour eux, à 14 ans on n’est plus un enfant », a-t-il dit.

A former child soldier following literacy lessons at the Transit and orientation centre in N'djamena
Photo: Anne Isabelle Leclercq/IRIN
De nombreux enfants retirés des forces et groupes armés font partie des meilleurs élèves de leur classe
Il y aurait aujourd’hui, selon les estimations de l’UNICEF, quelque 10 000 enfants âgés de moins de 18 ans associés à ces forces et groupes dans le pays. Et le recrutement, qui concernait auparavant surtout l’est du pays, commence aussi à toucher d’autres régions, comme le sud, fragilisé par l’insécurité dans le pays voisin, la République centrafricaine, ont noté des acteurs humanitaires.

Ne pas relâcher les efforts 

Face à la diminution du nombre d’enfants retirés des forces et groupes armés au cours des derniers mois, trois centres de transition et d’orientation (CTO), sur les cinq créés en 2007 pour accueillir les enfants, ont été fermés. Les deux restants, à Abéché, dans l’est du pays, et à N’djamena, hébergent encore 80 enfants, qui n’ont pas encore pu être réunis avec leur famille : dans le cas des enfants originaires de l’est du Tchad – les plus nombreux - où l’insécurité reste une préoccupation majeure, rentrer présenterait pour eux un risque de nouveau recrutement.

Le seul moyen d’en finir avec le recrutement de ces enfants et de retirer ceux qui sont déjà dans les forces et groupes armés est d’intensifier le plaidoyer auprès de ces mouvements, tout en travaillant à l’établissement de la paix dans le pays, ont noté les acteurs humanitaires.

L’UNICEF a commencé en 2008 à former des officiers et soldats de l’armée pour sensibiliser leurs pairs. Une vingtaine d’entre eux est opérationnelle, et l’agence entend intensifier ses efforts en 2009, en collaboration avec la MINURCAT (Mission des Nations Unies en République centrafricaine et au Tchad).

Il faut aussi trouver les fonds. Pour l’instant, 35 pour cent des besoins pour 2009, estimés à 900 000 dollars, sont couverts par le comité français de l’UNICEF, et une contribution du gouvernement américain est attendue dans les prochains jours, a dit Jean-François Basse, responsable de la section protection à l’UNICEF au Tchad.

« L’intérêt des donateurs est toujours là », a-t-il dit à IRIN. Pourtant, a-t-il prévenu, il faut prendre garde à ne pas les décourager. « La présence encore visible de mineurs au sein des forces ou groupes armés peut être interprétée comme une absence de volonté politique de relâcher tous les enfants ».

ail/

This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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