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L’impact humanitaire des sanctions après le coup d’Etat militaire

Dans un pays qui importe environ 70 pour cent de ses denrées alimentaires et où, selon les estimations des Nations Unies, plus d’un million de personnes souffrent de malnutrition chronique, certains bailleurs craignent qu’un embargo de longue durée sur l’aide au développement ne pénalise pas seulement l’armée, qui s’est emparée du pouvoir, mais aussi les civils.

L’Union européenne (UE), le gouvernement américain et la Banque mondiale ont suspendu, ou menacé d’annuler, le versement de plus de 500 millions de dollars d’aide non-humanitaire, selon des statistiques compilées par IRIN, pour condamner la prise de pouvoir de l’armée, le 6 août, et la séquestration continue du président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi.

Ces fonds devaient servir à soutenir, entre autres projets, des opérations de développement rural, des activités sanitaires et éducatives, des opérations de déminage, de maintien de la paix, des opérations anti-terroristes, des entraînements militaires et des opérations de construction routière, selon les listes publiques de financement de projets de l’UE, du gouvernement américain et de la Banque mondiale.

Des répercussions limitées dans l’immédiat

Hormis neuf millions de dollars, gelés par la Banque mondiale, aucune de ces suspensions ne concerne l’aide humanitaire ou alimentaire.

L’Agence française de développement (AFD), premier bailleur bilatéral de la Mauritanie, a suspendu tout nouveau financement hors urgence jusqu’à ce qu’un nouveau gouvernement soit établi, selon Marc Flattot, chargé d’affaires de l’ambassade de France à Nouakchott. M. Flattot a expliqué à IRIN que les programmes pour lesquels les financements avaient déjà été déboursés continueraient à être gérés.

« Comme les projets de l’AFD sont des projets lourds qui s’étalent parfois sur plusieurs années, les répercussions des sanctions ne vont pas forcément se faire sentir tout de suite. Malgré tout, pour la junte [militaire], il sera difficile de résister à ces sanctions ; 100 millions d’euros (142 millions de dollars) sur trois ans, ce n’est pas rien ».

Il n’a pas précisé, néanmoins, la somme en jeu, ni le montant déjà déboursé, sur cette somme.

Propositions de gel à l’UE

L’Union européenne (UE) avait négocié de payer 300 millions d’euros (426 millions de dollars) sur les quatre prochaines années pour obtenir l’autorisation de pêcher dans les eaux mauritaniennes à compter du 31 août 2008.

Quelques semaines après la date de démarrage prévue, pourtant, pas un centime n’a été versé dans le cadre de cet accord de pêche, selon Geza Strammer, chef de la délégation de l’UE à Nouakchott. Louis Michel, commissaire européen au développement et à l’aide humanitaire, a en effet recommandé le gel total du contrat de pêche.

Les responsables de l’UE ont également menacé de geler une partie des 230 millions de dollars d’aide promis à la Mauritanie jusqu’en 2013.

M. Strammer de l’UE a indiqué à IRIN que la proposition d’embargo financier décrété par l’UE ne concernerait ni l’aide d’urgence ni l’aide humanitaire. En revanche, les projets infrastructurels dans lesquels l’UE envisageait d’investir, notamment la rénovation des 200 kilomètres de route qui séparent la ville de Rosso, dans le sud de la Mauritanie, et Nouakchott, ont été suspendus.

Selon M. Strammer, si les projets de l’UE ne font pas travailler des milliers de personnes, l’embargo européen sur les investissements pénalisera tout de même les entreprises locales. « Évidemment, lorsqu’un chantier est gelé, c’est autant de ressources en moins pour les ouvriers et cela représente un manque à gagner pour les entreprises locales », a-t-il noté.

D’après lui, toutefois, si l’embargo se fait sentir, dans l’immédiat, son impact pour l’Etat ou ses citoyens sera minime.

« Il faudra six mois à un an pour que ces limitations de l’aide au développement puissent réellement gêner le fonctionnement de l’Etat [aux mains des meneurs du putsch]. Et cela est d’autant plus vrai que l’on s’attend à une production pétrolière nationale accrue pour les prochains mois. Je pense donc que les militaires peuvent malgré tout survivre à ce choc en se serrant la ceinture, sans pour autant toucher aux fondamentaux de la vie quotidienne des Mauritaniens ».


Photo: Wikimedia Commons
Les bailleurs de fonds ont suspendu, ou menacé d’annuler, le versement de plus de 500 millions de dollars d’aide
La production pétrolière a commencé en février 2006, mais le rendement est inférieur aux prévisions.

Les réserves de pétrole brut, avérées et potentielles, de la Mauritanie sont estimées à environ 600 millions de barils, et le secteur devrait se développer, selon Extractive Industries Transparency Initiative, un organisme britannique qui plaide en faveur de la transparence des transactions dans le secteur des industries extractives.

La Banque mondiale interrompt ses opérations

La Banque mondiale a quant à elle annoncé un gel des prêts accordés à la Mauritanie et n’a pas débloqué les 175 millions de dollars qui auraient permis de financer 17 programmes d’aide et d’investissement dans le pays.

Ces fonds représentent une partie des plus de 400 millions de dollars que la Banque s’était engagée à verser dans les secteurs du développement rural, de la santé, de l’éducation et des infrastructures, notamment de la construction routière.

En Mauritanie, le personnel, en congé administratif, a été renvoyé chez lui, et aucun contact officiel n’a été établi entre le bureau de la Banque mondiale à Nouakchott et les putschistes, selon un cadre de la Banque mondiale, qui a souhaité conserver l’anonymat.

Selon celui-ci, l’institution « [devait] débloquer neuf millions de dollars pour la sécurité alimentaire, mais le feu vert est conditionné à l’avancée des négociations entre la communauté internationale et le nouveau pouvoir [les putschistes militaires] ».

Le cadre a également ajouté que les responsables de la Banque mondiale devaient se réunir à Washington le 25 septembre pour aborder la question.

Un impact incertain à long terme

Maria Ribeiro, coordinatrice résidente du système des Nations Unies en Mauritanie, a déclaré à IRIN qu’un embargo prolongé risquait de créer des difficultés pour les Mauritaniens : « à moyen [et] long termes, ces réductions potentielles [des fonds accordés à la Mauritanie] risquent d’engendrer des difficultés plus graves et une plus grande vulnérabilité [des Mauritaniens] aux crises humanitaires ».

Le Réseau des systèmes d’alerte précoce contre la famine (FEWS Net, en anglais), un organisme à but non-lucratif de surveillance de la sécurité alimentaire, a fait état de récentes améliorations de la sécurité alimentaire dans les régions rurales de la Mauritanie où les populations cultivent leurs propres vivres, mais l’organisme a noté dans un rapport récent sur la sécurité alimentaire que la situation n’était pas stable.

Ici, « la sécurité alimentaire est fragile […] parce qu’une bonne récolte sèche ne permet pas de combler le déficit de production accumulé au cours des années précédentes ».

Au sein de l’armée, les appels des bailleurs à un retour au régime constitutionnel sont restés lettre morte.

Le président Abdallahi reste en détention, et le 1er septembre, les leaders militaires ont formé un gouvernement transitoire composé de 22 membres, sans préciser la durée de ses pouvoirs transitoires. Les putschistes envisagent toujours d’organiser des élections déjà contestées.

Invité à donner son avis à propos de l’impasse entre les bailleurs et les putschistes, Dia, un chauffeur de taxi, père de quatre enfants, a rétorqué que la Mauritanie était assez riche pour s’en sortir, même sans les dollars des bailleurs.

« Qu’est ce que la France et les Etats-Unis [qui ont suspendu leur aide hors urgence] viennent faire dans les problèmes internes de la Mauritanie ? Laissez-nous gérer notre pays comme bon nous semble ! La Mauritanie peut tout à fait se passer des carottes des Occidentaux. Nous sommes suffisamment riches pour cela ; il faut juste que les ressources soient mieux gérées et mieux redistribuées. ».

Selon un représentant de la fonction publique, qui s’est présenté sous le nom d’Ahmed, le pays devrait bientôt se sortir de l’impasse : « Les militaires ne vont pas pouvoir tenir sans l’aide internationale ! […] À mon avis, les sanctions économiques vont pousser les putschistes à infléchir rapidement leurs positions politiques. Car si la rue a faim, c’est la porte ouverte au chaos ».

mr/pt/aj/nh/ail


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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