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« Jamais plus, je n’utilise la même lame pour couper les cheveux de mes clients »

Kakou Tossouvi* possède un petit atelier de coiffure dans un quartier de Cotonou, la capitale économique béninoise. Il y a encore quelques années, il n’imaginait pas pouvoir contracter le VIH en coupant les cheveux de ses clients, et ne prenait aucune précaution. Mais il y a six ans, ce père de famille a réalisé que sa négligence lui avait coûté son infection et peut-être celle de certains de ses clients. Il a raconté son histoire à IRIN/PlusNews.

« Il y a une dizaine d’années, je ne faisais vraiment attention à rien, malgré tout ce qui se disait à la radio, à la télévision sur la nécessité de changer les instruments de coiffure à chaque client, je n’avais jamais pris la chose au sérieux. Je me comportais comme si on nous mentait en nous faisant peur pour rien ».

« Je punissais même mes apprentis qui osaient utiliser une lame par client. Quand je n’étais pas là, à mon retour je vérifiais attentivement le nombre de lames utilisées. Il m’arrivait parfois d’utiliser la même lame pour une dizaine de personnes. Rares sont les clients qui me posaient des questions sur l’origine de la lame. Je n’étais pas conscient de la gravité de ce que je faisais ».

« Puis je me suis mis à tomber régulièrement malade. Cela a commencé par le paludisme fréquent. Je n’étais plus régulier à mon atelier, et seuls mes trois apprentis s’occupaient de mes affaires. Avec la fréquence de ma maladie, le médecin m’a demandé un test de VIH : [c’était] positif ».

« A ce moment, j’ai su que ma négligence au travail était à la base de mon infection. Je crois sincèrement que c’est par cette voie que je me suis infecté, car moi-même je n’avais pas peur d’utiliser un instrument ayant servi au préalable à des clients, pour me raser. Je l’ai fait plusieurs fois. Je ne me connaissais pas de comportements sexuels douteux. J’ai une femme et je lui suis fidèle ».

« Il y a 10 ans, les tondeuses électriques n’étaient pas encore courantes, donc nous, les coiffeurs, nous utilisions majoritairement les paires de ciseaux. Il arrive souvent que par erreur ou mauvaise manipulation, cet instrument blesse un client. Sans désinfecter –je n’y pensais même pas-, j’utilisais le même instrument pour d’autres personnes ».

« Quelqu’un à qui je coupais les cheveux m’a un jour demandé si je veillais [à changer de lame et désinfecter les instruments à chaque client]. J’ai mal pris sa question et cela a failli mal tourner entre nous. C’est dommage, avec le temps, j’ai compris qu’il avait raison ».

« Si moi-même j’ai pu tomber malade en utilisant le même instrument que mes clients, je ne peux vous dire le nombre de personnes qui ont été infectées en passant par mon atelier. Peut être des dizaines, peut être aussi des centaines ».

« Je ne peux vous dire à quel point je me reproche des choses. J’ai un gros [poids] sur ma conscience. Par ma faute, beaucoup de gens sont peut être infectés aujourd’hui. Heureusement, ma femme et mes enfants sont épargnés, ils ont fait le dépistage ».

« Malheureusement, de nombreux coiffeurs n’ont pas encore compris qu’il fallait changer, et ils continuent [à ne prendre aucune] précaution vis-à-vis de leurs clients. Or ils doivent se rendre à l’évidence que l’infection passe [aussi] par ce canal ».

« Depuis que je connais ma sérologie, j’ai complètement changé ma manière de faire. Jamais plus, je n’utilise la même lame pour couper les cheveux de mes clients, et je ne fais rien avec mes outils de coiffure sans les désinfecter ».

« Moi qui punissais il y a quelques années mes apprentis qui osaient changer de lame pour un client, je les punis maintenant s’ils oublient de le faire. Je leur ai donné une formation là-dessus et ils n’ont pas droit à l’erreur ».

« D’ailleurs à l’entrée de mon atelier, j’ai écrit en grands caractères que les clients ont le devoir d’exiger qu’on désinfecte la tondeuse, la paire de ciseaux avec de l’alcool avant de les tondre. Ils doivent aussi vérifier que la lame utilisée est neuve ».

« Je ne prends aucun risque avec mes clients, [mais] je n'ai pas le courage de leur dire [que je suis séropositif]. Au Bénin, les gens craignent cette maladie. Beaucoup de personnes l'ont, mais vous ne pouvez jamais savoir, car les gens ont honte de le dire [et] quand ils le disent, tout le monde les fuit ».

« Si moi, en tant que coiffeur, je me mets à avouer cela à mes clients, ils ne vont plus revenir. Or je n'ai pas appris [d’autre métier]. S'ils s'en vont, qu'est-ce que je ferai de ma vie et de ma famille ? Même à la maison, en dehors de ma femme qui le sait, j'ai fait en sorte que mes enfants ne le sachent pas, car ils sont encore petits ».

« J’ai compris que les coiffeurs ont une lourde responsabilité pour stopper l’évolution [de l’épidémie], car les instruments et outils que nous utilisons sont très dangereux et peuvent rapidement être fatals pour les gens. Cela, nous devons le savoir ».

« Je n'arrive pas à sensibiliser directement mes clients, parce que je veux éviter qu'ils sachent que j'ai le virus, mais j'essaie de leur parler du mal avec subtilité, afin qu'ils en prennent aussi conscience. Ils doivent aussi mesurer leur responsabilité ».

*Un nom d’emprunt

gc/ail


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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