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Comment éviter une nouvelle crise alimentaire cette année

Selon les estimations actuelles du gouvernement, les bailleurs de fonds devront fournir 20 000 tonnes de vivres pour compenser le déficit de production prévu en 2008.

Pour les experts humanitaires de Bissau, toutefois, si le gouvernement se dote de politiques plus adaptées, et si les pluies tombent au bon moment, le pays devrait être en mesure de nourrir sa propre population en maintenant les niveaux d’aide internationale actuels.

« Le gouvernement doit agir rapidement, avant qu’il ne soit trop tard », a déclaré à IRIN Jean-Martin Bauer, directeur des programmes du Programme alimentaire mondial (PAM) des Nations Unies. « Si l’on adopte des politiques judicieuses, les problèmes des années précédentes pourront être évités ».

Pendant la période de soudure de 2007, entre juin et août, 43 pour cent des populations des régions rurales n’avaient pas assez de vivres, selon le PAM, et quelque 20 pour cent de la population (1,6 million de personnes) recevaient une aide alimentaire. Selon M. Bauer, il est possible que la situation s’aggrave cette année, mais à l’heure actuelle, les réserves du PAM sont calculées à peu près à partir du niveau de besoin constaté en 2007.

En Guinée-Bissau, la terre est fertile et les précipitations, suffisantes, mais l’insuffisance des infrastructures entrave l’acheminement des marchandises jusqu’aux marchés. En outre, les pratiques agricoles observées dans le pays sont inefficaces ; la sécurité alimentaire des Guinéens dépend donc, dans une bonne mesure, de facteurs externes tels que les prix mondiaux des produits et le climat.

Le riz, l’aliment de base du pays, est essentiellement cultivé sans système d’irrigation ; la qualité de la récolte est donc, en bonne partie, une question de chance, selon les experts de l’agriculture. Le gouvernement est également confronté à des contraintes financières, puisque le budget consacré à l’agriculture s’élève à peine à 400 millions de francs CFA (917 000 dollars).

« Cela suffit à peine à permettre au ministère de l’Agriculture de payer ses employés et de continuer de fonctionner », selon Rui Fonseca, responsable de programmes à l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO).


Photo: Manoocher Deghati/IRIN
Jean Martin Bauer
Toutefois, pour M. Fonseca comme pour d’autres, le gouvernement pourrait agir pour réduire les déficits alimentaires.

Des représentants de la FAO et d’autres agences des Nations Unies se sont réunis en 2007 pour adresser une lettre au gouvernement, dans laquelle ils formulent diverses recommandations particulières et appellent les autorités à ouvrir le dialogue.
« Le gouvernement n’a pas encore répondu », a indiqué M. Fonseca. « Nous n’avons presque aucune information sur ce qu’il prévoit de faire ».

Le « ratio riz/noix de cajou »

Ce qui est au cœur du problème de l’insécurité alimentaire en Guinée-Bissau, c’est ce que M. Bauer appelle le « ratio riz/noix de cajou » : les agriculteurs n’étant pas en mesure de faire pousser assez de riz pour nourrir leurs familles toute l’année, ils cultivent généralement des noix de cajou, qu’ils vendent ensuite ou échangent contre du riz importé.

A une époque, les agriculteurs vendaient un kilo de noix de cajou brutes à 200 francs CFA (40 centimes de dollar), ce qui équivalait au prix d’un kilo de riz importé.

Aujourd’hui, en revanche, davantage de pays cultivent des noix de cajou pour l’exportation dans le monde. Les prix internationaux de la noix de cajou ont donc baissé, tandis que le prix du riz a augmenté, en grande partie à cause des coûts de transport et de l’augmentation de la demande mondiale en céréales.

L’année dernière, pendant la récolte de noix de cajou, qui a eu lieu de mars à mai, les paysans ont vendu leur production à 20 centimes de dollar le kilo, en moyenne, selon une enquête menée par le PAM et le ministère de l’Agriculture, tandis que le riz importé coûtait 50 centimes de dollar et a augmenté depuis lors, pour passer à 65 centimes et plus.


Photo: Manoocher Deghati/IRIN
Des noix de cajou dans l'archipel des Bijagos
A long terme, les paysans de Guinée-Bissau doivent diversifier leur production, afin de ne pas dépendre uniquement des noix de cajou pour obtenir de l’argent ; quant aux consommateurs, ils doivent manger davantage de patates douces et d’autres racines, dont le pays ne manque pas.

Le 20 février, la FAO a signé avec le gouvernement un projet de 1,5 million de dollars, visant à aider les agriculteurs à se diversifier, mais il est peu probable que cela permette de réduire significativement les pénuries alimentaires potentielles, prévues dès le mois de juin 2008.

Politique recommandée pour la culture des noix de cajou

Entre-temps, les experts ont dressé la liste des mesures que le gouvernement pourrait prendre. L’une d’entre elle consiste à augmenter les exportations en diminuant les taxes (les gouvernements de bien d’autres pays producteurs de noix de cajou n’imposent pas de telles taxes aux exportateurs).

Une autre consisterait à permettre aux transporteurs d’exporter leurs produits au Sénégal par voie terrestre, au lieu d’exiger qu’ils passent pas le port de Bissau, un itinéraire lent et coûteux.

« Ici, le port ne fonctionne pas vraiment », a indiqué à IRIN Carlos Schwarz Silva, qui dirige Acção para Desenvolvimento, une organisation non-gouvernementale (ONG) spécialisée dans la sécurité alimentaire. « Et à ma connaissance, rien n’est fait pour régler le problème ».


Photo: Manoocher Deghati/IRIN
Carlos Schwarz Silva
Outre ces mesures, les autres experts et lui-même proposent aussi, entre autres, de mettre fin aux nombreuses taxes illégales, imposées aux barrages routiers par les autorités locales sur les camions de noix de cajou ou de riz, et de réorganiser le marché d’exportation. « Actuellement, il y a trop d’intermédiaires, et chacun d’entre eux empoche des bénéfices, ce qui réduit les revenus des agriculteurs », selon M. Silva.

Toujours selon M. Silva, le gouvernement devrait surveiller les prix mondiaux de la noix de cajou et annoncer cette information chaque jour sur les ondes des radios locales. « Cela permettrait aux commerçants et aux agriculteurs de décider, de manière plus éclairée, quand vendre et quand acheter », a-t-il expliqué.

Pas de prix fixe pour la noix de cajou

Ce que le gouvernement ne doit pas faire, en revanche, pour M. Silva comme pour d’autres experts, c’est adopter, comme il l’avait fait en 2006, une politique qui impose un prix de vente fixe de la noix de cajou aux agriculteurs. A l’époque, les exportateurs avaient hésité devant les 350 francs CFA (65 centimes de dollar) le kilo qu’on leur demandait de payer, et avaient fini par partir acheter dans d’autres pays.

Finalement, bon nombre d’agriculteurs de Guinée Bissau étaient tellement prêts à tout pour vendre avant que les pluies ne détruisent leurs réserves qu’ils avaient fini par céder leurs récoltes pour une bouchée de pain ; d’autres avaient tout perdu.

Le gouvernement ne refera pas la même erreur, selon Bacar Djassi, secrétaire d’Etat responsable de la sécurité alimentaire. « Nous veillerons à ce que le marché reste libre. Nous ne pouvons pas nous permettre de refaire l’erreur de fixer les prix ».

Problèmes d’exportation

Sur certaines autres propositions de politiques, M. Djassi s’est néanmoins montré moins obligeant. « Nous pensons que toutes les noix de cajou doivent passer par le port », a-t-il dit. « Bien sûr, il y a eu des encombrements l’année dernière, mais nous sommes d’avis qu’ils peuvent être surmontés cette année ».


Photo: Manoocher Deghati/IRIN
Le port de Bissau
Interrogé sur le moyen de surmonter les encombrements, le secrétaire d’Etat a affirmé que l’exportation par voie terrestre était hors de question. « Nous faisons d’ailleurs tout ce qui est en notre pouvoir pour mettre fin à l’exportation de noix de cajou via le Sénégal, car nous n’avons pas la possibilité d’y imposer des taxes », a-t-il indiqué.

Les taxes d’exportation de la noix de cajou compte parmi les principales sources de revenus de l’Etat de Guinée Bissau, avec les financements versés par les bailleurs de fonds. L’année dernière, cédant aux pressions, le gouvernement avait réduit une partie des taxes de manutention portuaire, mais avait ensuite confisqué une bonne partie des réserves des exportateurs.

A l’époque, de nombreux exportateurs, implantés dans le pays depuis plusieurs années, étaient partis froissés, et notamment Olam, premier fournisseur de noix de cajou brutes dans le monde. « Nous avons tenté de convaincre Olam et d’autres grands grossistes de revenir, mais en vain, jusqu’ici », a déclaré M. Djassi.

Politique recommandée pour le riz

A la question de savoir comment le gouvernement allait s’assurer que les populations soient approvisionnées en riz tout au long de l’année, M. Djassi a répondu qu’il ne pourrait pas faire grand-chose. « Nous sommes les victimes du changement climatique », a-t-il indiqué. « L’année dernière, nous avons eu beaucoup de pluies, mais sur une période de temps très brève, et les semences se sont desséchées ».

« Nous ne pouvons pas empêcher que cela se produise de nouveau cette année », a-t-il poursuivi, « alors, nous estimons avoir besoin de 20 000 tonnes d’aide alimentaire ».

Pour les experts, en revanche, le gouvernement pourrait intervenir de nombreuses façons.


Photo: Manoocher Deghati/IRIN
Bacar Djassi
« Il peut se préparer dès aujourd’hui, en prévision de la saison des pluies, en fournissant des semences aux paysans qui avaient tellement peu à manger l’année dernière qu’ils ont été contraints de consommer leurs semences », a expliqué M. Silva. « Et il peut trouver de meilleures variétés de riz, qui prennent moins de temps à pousser [trois mois au lieu de quatre]. Ainsi, nous serons moins dépendants des pluies ».

Autre mesure proposée par certains experts : la réduction des taxes imposées sur le riz importé. D’autres affirment néanmoins que cela saperait les efforts déployés en vue d’augmenter la production locale et de diversifier la production en cultivant d’autres plantes, mais pour M. Bauer, la demande est une réalité et l’offre n’est clairement pas suffisante.

« On ne peut pas ignorer le fait que plus de 36 pour cent des besoins de la Guinée-Bissau en céréales ne sont pas satisfaits par la production locale », a-t-il affirmé.

Officiellement, le gouvernement a réduit de 16 à 12,5 pour cent les taxes imposées sur les importations de riz en 2008, selon le PAM, bien que l’organisation n’ait pas pu confirmer que la réduction du barème d’imposition était effectivement appliquée.

Le gouvernement devrait s’intéresser davantage à assurer que ses populations ont assez de riz, selon M. Silva. « Le peuple de Guinée-Bissau est pacifique, jusqu’à ce qu’il soit confronté à des pénuries de riz », a-t-il averti. « Le renversement du gouvernement en 1980 est connu sous le nom de “coup d’Etat du riz” ».

Fin 2007, les récoltes de riz étaient inférieures de neuf pour cent à celles de 2006, selon une évaluation commune, menée par le ministère de l’Agriculture, la FAO et le CILSS (Comité permanent inter-Etats de lutte contre la sécheresse dans le Sahel).

En outre, les experts ont déjà décelé les signes de pénuries alimentaires imminentes dans le nord, cette année. En février, une mission de sécurité alimentaire conjointe a rapporté que les pluies étaient tombées au mauvais moment et que bon nombre de rizières avaient été décimées dans les mangroves.

dh/cb/nh/ail


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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