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Une réconciliation pour panser les plaies du conflit

Il y a tout juste un mois, Mme Bela, 35 ans, mère de deux enfants et membre de l’ethnie Karo, a vu sa voisine se faire abattre.

« Elle travaillait dans les champs avec son mari. Puis elle est allée à la rivière chercher de l’eau. Quelque instants après, des membres de la tribu Bume sont arrivés avec leur troupeau et ont ouvert le feu sur elle lorsqu’ils l’ont vue », a raconté Mme Bela.

En représailles au meurtre de sa femme, le mari a tué deux membres de la tribu Nyangatom (ou Bume). Quelques jours plus tard, des Nyangatoms ont assassiné d’autres voisins de Mme Bela, ce qui a créé un cycle infernal de représailles et contre-représailles.

Pour Mme Bela, les Nyangatoms sont la source de tous les conflits dans la région.

« Nous sommes une petite communauté et nous possédons des terres fertiles », a-t-elle indiqué. « Mais nous cultivons la terre avec les membres des tribus voisines et partageons les récoltes en conséquence ».

Autrefois, cela se passait très bien ; mais aujourd’hui les choses ont changé, a expliqué Mme Bela. Selon elle, les vols que commettent les Nyangatoms ont détruit les relations qui existaient. Des éleveurs des tribus Dassanech et Hamer, qui ont une frontière commune avec les Nyangatoms, ont confié à IRIN qu’ils étaient confrontés aux mêmes problèmes.

Au sein de la communauté Nyangatom, une des 12 communautés du Sud Omo, dans la région sud de l’Ethiopie, le vol de bétail entre communautés voisines est fréquent. Pour les Nyangatoms, le fait de vivre entourés de tant de groupes ethniques différents provoque inévitablement des situations conflictuelles.

Tuer un membre d’un groupe ethnique rival est également considéré comme un acte de bravoure. De tels comportements ne peuvent que favoriser le cycle mortel de violence au sein de groupes ethniques qui ont une culture commune, parlent des langues apparentées, ont un mode de vie similaire – et sont par-dessus tout des éleveurs. Mais les causes officielles de leurs conflits sont simples : le contrôle des ressources.

« Ils se battent pour le contrôle des pâturages, de l’eau et des zones de pêche », a expliqué Gethaun Tolla, agent de Cross Border Project, un programme de l’Ethiopian Pastoralist Research and Development Association (EPaRDA).


Photo: Jane Some/IRIN
Le vol de bétail est une source de conflit entre les communautés du Sud Omo
La communauté Nyangatom compte 18 000 membres et a également une frontière commune avec les communautés Turkana, du Kenya, et Toposas, du Soudan. Ces trois communautés ont beaucoup de choses en commun, notamment la langue – mais ces similarités n’empêchent pas pour autant les conflits.

Daniel Kine, coordinateur terrain du réseau Raim Riam Turkana Peace, connaît bien la nature des conflits dans le district North Turkana du Kenya. D’après lui, la principale cause de ces conflits est le contrôle des ressources, mais la coutume aussi, a-t-il souligné.

« Il existe une croyance ancestrale qui veut que toute personne étrangère à la communauté doit être considérée comme un ennemi », a-t-il indiqué. « Lorsque vous tuez un membre d’une tribu rivale, cela prouve que vous êtes un homme ».

Le triangle d’Ilemi

Mais d’autres personnes pensent que ce conflit transfrontalier pourrait avoir une autre cause : la revendication d’une zone frontalière d’environ 11 000 kilomètres carrés entre le Soudan, l’Ethiopie et le Kenya, baptisée le triangle d’Ilem.

La zone est administrée par le gouvernement kényan, mais fait l’objet d’un contentieux en raison des traités ambigus signés pendant la période coloniale. En dehors de son importance en tant que zone de pâturage pendant la saison sèche, certains analystes décrivent ce triangle comme une « passerelle » vers une région soudanaise ayant de nombreuses réserves de pétrole inexploitées.

Des travailleurs humanitaires présents dans la zone frontalière ont affirmé que l’origine du conflit serait une revendication non officielle de la zone par les Toposas. Selon eux, les Toposas manipuleraient les membres de la communauté Niata Nyangatom, un sous-clan des Nyangatoms, pour faire partir les Turkanas de la région.

« Si les Turkanas partent de la région, les Toposas la contrôleront de manière indirecte par le biais des Niata Nyangatoms », a indiqué un travailleur humanitaire, qui a requis l’anonymat. « Les Niata Nyangatoms ont également repoussé les Mursis à 60 kilomètres de la frontière et ces derniers ont, à leur tour, évincé les tribus voisines, créant ainsi une réaction en chaîne ».

Trafic illicite d’armes légères

Quelles que soient les causes de ce conflit, il est évident que le trafic illicite d’armes légères dans la région contribue à l’alimenter.
Pour bon nombre d’analystes, ces armes sont plus facilement accessibles en raison de la guerre civile qui ravage depuis plusieurs décennies le Sud Soudan.

Lobko Lale, un éleveur Karo éthiopien de 35 ans, emporte son fusil Kalachnikov partout ; pour lui, c’est le seul moyen d’assurer sa sécurité.
« Ce sont des hommes de la communauté Bena [Dassanech] qui me l’ont vendu et cela m’a coûté cinq vaches ».

M. Lale a fait une bonne affaire. Le prix moyen d’un Kalashnikov –ou AK47- peut atteindre l’équivalent de 35 têtes de bétail, bien que les prix aient récemment chuté en raison de la prolifération des armes dans la région.

Selon Alemyaehu Lochelia, un agent de police en service à Kangaten, il y a aussi une grande variété d’armes dans les stocks en provenance de la zone frontalière soudanaise – du fusil semi-automatique G3 calibre 7.62 mm de fabrication allemande, à la mitraillette M1 de fabrication américaine.


Photo: Tesfalem Waldyes/IRIN
Abraham Bongoso, président de l'ONG EPADA, lors d'une réunion à Kangaten, un village du Sud Omo
Mais aujourd’hui, et pour la première fois depuis des années, M. Lobko effectue un long voyage sans son arme. Avec près de 400 éleveurs, il s’est rendu à Kangaten pour participer à des pourparlers de paix, et a laissé son arme à la maison.

« Je n’ai pas pris mon arme », a affirmé M. Lobko. « Une arme n’est pas nécessaire dans une réunion consacrée à la paix ».

Une solution durable

Cette réunion a été organisée par Atoweksi Eksil Pastoralist Development Association (AEPDA), une organisation non-gouvernementale locale (ONG), avec le soutien du Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA). Il a fallu trois mois pour qu’Abraham Bongoso, le président de l’AEPDA, puisse réunir les éleveurs de 17 groupes ethniques, deux du Kenya et un du Soudan.

Pour M. Abraham, la réunion est « un premier pas vers une solution durable à un vieux problème ».

Des éleveurs, dont Mme Bela et M. Lobko, se sont réunis à Kangaten pendant quatre jours avant de trouver un consensus et d’adopter une résolution : toute personne qui vole du bétail devra restituer le double du nombre de têtes de bétail volées, en guise de dédommagement, et toute personne qui commet un meurtre sera remise aux autorités et devra donner 30 têtes de bétail à la famille du disparu.

Mais malgré cette résolution, Mme Bela et bien d’autres éleveurs pensent qu’une vraie réconciliation entre groupes ethniques devrait se faire selon la tradition.

« Les Nyangatoms devraient se rendre dans notre village et égorger une chèvre », a dit Mme Bela. « Puis nous devrions tous nous enduire les mains de graisse animale ».

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This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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