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La redistribution des terres sur le devant de la scène

Le gouvernement sud-africain a révélé que moins de cinq pour cent des terres agricoles commerciales des exploitants blancs avaient été redistribuées depuis la fin de l’apartheid, en 1994 ; l’objectif des 30 pour cent de terres redistribuées d’ici à l’an 2014 semble donc quasi irréalisable.

Redresser le déséquilibre en matière de répartition des terres – héritage laissé par l’apartheid – tel est le leitmotiv du Congrès national africain (ANC) depuis son arrivée au pouvoir il y a près de 14 ans.

Pourtant, les progrès accomplis en ce sens ont été contrecarrés par toute une série de facteurs, et notamment par les capacités limitées du Département des affaires foncières, la hausse vertigineuse de l’immobilier, et le manque de volonté politique.

En Afrique du Sud, ce sont souvent les impératifs culturels et émotionnels qui sous-tendent la propriété foncière ; c’est également le cas sur une grande partie du continent, où la terre est considérée comme plus qu’une ressource ou qu’un investissement, puisqu’elle revêt également une valeur sociale et spirituelle.

A la question [de la répartition des terres] se mêlent donc toutes ces considérations, et le Zimbabwe, pays voisin de l’Afrique du Sud, fait office de rappel constant des risques que l’on court à ne pas la résoudre.

Les propos d’un chef nigérian, qui s’était incliné, en 1912, face à la Commission foncière de l’Afrique de l’Ouest, sont souvent repris par le gouvernement sud-africain, car ils embrassent, selon lui, les valeurs du concept de propriété foncière : « Je conçois que la terre appartienne à une grande famille, dont de nombreux membres sont morts, quelques-uns sont vivants et d’innombrables ne sont pas encore nés ».

Pendant l’apartheid, 87 pour cent des terres étaient réservées à la minorité blanche, tandis que le reste était réparti entre les membres de la majorité noire. Seules 13 pour cent des terres sud-africaines, dont une bonne partie est actuellement aux mains des exploitants blancs, sont toutefois considérées comme adaptées à la culture.

Dans son rapport annuel 2006/2007, le Département sud-africain des affaires foncières a noté qu’il devrait relever « un gigantesque défi » s’il devait atteindre son objectif de 2014.

La publication du rapport coïncidait avec le licenciement de Glen Thomas, directeur général des affaires foncières, officiellement remercié pour n’être pas rentré à temps de Paris, où il avait assisté à la victoire de l’équipe sud-africaine de rugby à l’occasion de la coupe du monde ; son retard lui avait valu de manquer la réunion programmée d’un comité parlementaire spécialisé, qui visait à débattre de l’audit certifié remis à son département par l’auditeur général.

Pour les critiques, toutefois, l’incapacité de M. Thomas à accélérer le processus de réforme agraire résulte, selon divers rapports, de ce que les membres de son personnel ne se trouvent à leurs bureaux que six jours par mois, le reste du temps de travail étant réparti entre les réunions et les ateliers.

M. Thomas a également réussi à s’attirer les foudres des syndicats d’exploitants blancs, qui le trouvent distant, et des activistes de la redistribution ; ceux-ci auraient l’impression d’être traités avec condescendance et seraient irrités par l’inertie du département face au nombre croissant de travailleurs agricoles expulsés par leurs employeurs.

De plus en plus de travailleurs agricoles à la rue

Selon un rapport publié récemment par l’Association Nkuzi pour le développement, une organisation non-gouvernementale (ONG) de défense du droit à la terre, 942 303 travailleurs agricoles auraient été expulsés entre 1994 et 2004, soit 200 000 de plus qu’au cours de la décennie qui avait précédé la fin de l’apartheid.

Pour expliquer les raisons de ces expulsions, peut-on lire dans le rapport, les exploitants invoquent la sécheresse, la concurrence internationale, la déréglementation du secteur et la législation en matière de salaire minimum.

« Dans les exploitations agricoles, la main-d’œuvre est un coût de production qui peut être supprimé ou réduit, surtout qu’il y a peu de syndicats et que les travailleurs agricoles et [leurs familles] ne sont pas en mesure de lutter pour faire valoir leurs droits ».

D’après le rapport annuel du Département des affaires foncières, 4,3 pour cent des terres ont été distribuées à des bénéficiaires noirs depuis 1994. « Il est évident qu’à moins d’une nationalisation des terres, il faudra prendre des mesures drastiques pour intervenir sur le marché foncier et accélérer la redistribution », a déclaré cette semaine à la presse Eddie Mohoebi, le porte-parole du département.

Le professeur Ben Cousins, directeur du Programme d’études agraires et foncières de l’université du Cap-occidental, a pour sa part expliqué à IRIN que l’objectif des 30 pour cent n’était « pas réalisable du tout », mais qu’il s’agissait uniquement d’un « chiffre aléatoire ».

La réforme agraire

Selon M. Cousins, les objectifs, les dates butoirs et la vitesse de redistribution importent peu ; il faut au contraire se focaliser sur le problème de la viabilité, qui soulève diverses questions en termes d’approche, de budget et de volonté politique.

« La réforme agraire ne permettra pas à elle seule de réduire la pauvreté en milieu rural », a estimé M. Cousins, pour qui il est essentiel de réenvisager le degré de déréglementation du secteur agricole.

Tous les producteurs – petits, moyens et grands – se livrent concurrence sur un marché mondial difficile, et la distribution des terres doit être réalisée en parallèle avec une réforme agraire, pour envisager l’adoption de politiques en matière de subventions et de protection des marchés.

En octobre, Lulu Xingwana, ministre de l’Agriculture et des Affaires foncières, a accusé les exploitants blancs d’être responsables des lenteurs constatées dans la restitution des terres. « Ils augmentent le prix des terres de sorte que l’Etat n’a pas les moyens de les acheter ».

Certains ont appelé à fixer un plafond au prix des terres, mais selon M. Cousins, le marché est ferme, les transactions foncières (ventes et achats) sont constantes, et malheureusement, le « gouvernement est un acteur particulièrement inepte sur le marché foncier », puisqu’il n’a pas réussi à adapter l’offre à la demande.

En outre, le gouvernement envoie des messages contradictoires au sujet de la distribution des terres : les autorités ont tenté de promouvoir à tout prix la réforme agraire, en dépit du maigre budget national – quelque trois milliards de rands (430 millions de dollars) – consacré aux terres et à l’agriculture, mais comptent sur les agriculteurs commerciaux pour nourrir le pays.

Selon M. Cousins, la question des terres risque de provoquer l’instabilité politique : comme au Zimbabwe, « elle renvoie également à d’autres [politiques] qui ne fonctionnent pas », telles que la réduction de la pauvreté et la création d’emplois ; et comme c’est le cas au Zimbabwe, elle peut être « le vecteur d’autres types de frustrations ».

En 2000, quelques mois après l’échec d’un référendum sur la réforme constitutionnelle proposée par le gouvernement ZANU-PF du président zimbabwéen Robert Mugabe – premier vote public perdu par le parti depuis l’indépendance du Zimbabwe, ancienne colonie britannique, en 1980 – le gouvernement a adopté un programme chaotique de réforme agraire accélérée, qui prévoyait l’expropriation des exploitations agricoles commerciales des blancs, au bénéfice des populations noires sans terres.

Depuis lors, le pays a connu une période de récession de sept ans, et enregistré le taux d’inflation le plus élevé du monde – soit plus de 6 000 pour cent – avec un taux de chômage de 80 pour cent.

Selon les estimations prudentes des organismes donateurs internationaux, plus d’un tiers de la population, soit 4,1 millions de personnes, seraient en mal d’une aide alimentaire d’urgence.

go/he/nh/ail


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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