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La fièvre acheteuse des Zimbabwéens accentue les tensions avec les pays voisins

Aux premières heures du jour, des groupes de femmes et d’hommes zimbabwéens, enveloppés dans des couvertures pour se protéger du froid, s’éveillent lentement après avoir passé la nuit à même l’asphalte, dans une gare de bus de Johannesbourg, en Afrique du Sud ; ils attendent que les magasins de la ville ouvrent leurs portes.

Arrivés à bord de deux bus, transportant des acheteurs zimbabwéens, ils sont venus de loin, poussés vers le sud par les étalages vides des commerces de leur pays, pour s’approvisionner en sucre, en huile de cuisson, en lessive et autres produits de base dans le centre économique de l’Afrique du Sud.

Au sein du groupe, les vétérans du shopping échangent des astuces avec les acheteurs débutants sur les endroits où trouver, au meilleur prix, les produits qu’ils ont parcouru des centaines de kilomètres pour acheter.

« Ces temps-ci, il n’y a rien à acheter au pays, même si vous avez de l’argent », a rapporté à IRIN Cécilia Chipundo, 38 ans, originaire de Gweru, dans la province des Midlands, la troisième plus grande ville du Zimbabwe.

« Vous êtes obligé de faire la queue pendant presque toute la journée pour la quasi-totalité des produits – lait, pain, sucre, huile de cuisson et autres produits de base – sans garantie que vous parviendrez à en obtenir sauf si vous avez de bonnes relations [dans le milieu politique] », a expliqué Nophilo Sibanda, 26 ans, assistant personnel du directeur d’une société de fabrication d’acier de Kwe Kwe, une ville des Midlands.

Au sein de la classe ouvrière sud-africaine, certains attribuent la montée des prix des produits de base à la fièvre acheteuse des Zimbabwéens, plutôt qu’au taux d’inflation local, de moins de 10 pour cent mais croissant ; une accusation que réfute Mme Chipundo : « Si notre malheur ne nous forçait pas à venir ici, certains d’entre eux se retrouveraient sans emploi car les boutiques dans lesquelles nous nous approvisionnons fermeraient ».

Il y a peu de doutes que les malheurs du Zimbabwe – où l’inflation est supérieure à 6 000 pour cent et les pénuries touchent presque tous les produits, et notamment le carburant, l’électricité, l’eau potable, les médicaments et les produits de base – sont une aubaine pour les commerçants sud-africains.

« Ce n’est pas nous qui avons fait en sorte que le Zimbabwe devienne un grand supermarché pour les produits sud-africains », a expliqué Mme Chipundo à IRIN. Les mesures de contrôle des prix introduites par le gouvernement ZANU-PF du président Robert Mugabe ont aggravé la situation déplorable dans laquelle se trouve son pays d’origine en alimentant le marché parallèle, où les produits sont disponibles à des prix bien plus élevés ; quant aux étalages des magasins officiels, ils sont restés vides.

Un sac plein à craquer, la caractéristique du Zimbabwéen

Les acheteurs zimbabwéens sont aisément reconnaissables dans les rues de Johannesbourg : leurs sacs fourre-tout, gonflés d’articles destinés non seulement à la consommation mais aussi à la revente, dans leur pays d’origine, sont devenus un signe de reconnaissance dérangeant.

Les Sud-Africains sont perplexes devant la quantité de produits que ce peuple, originaire d’un pays que l’on dit au bord de l’effondrement économique, a les moyens d’acheter ; produits qui sont, par ailleurs, trop coûteux pour un grand nombre de consommateurs locaux. « Ils font monter les prix inutilement », a estimé Marvis Kgokgo, qui occupe le poste d’assistant de magasin dans une boutique asiatique du centre-ville.

Selon un article de recherche publié récemment par Norman Reynolds, un économiste indépendant spécialisé dans le développement, qui exerce en Afrique du Sud, les acheteurs zimbabwéens injectent des milliards dans l’économie sud-africaine dans le cadre de ces excursions shopping, financées par les quelque 30 milliards de rands (4,2 milliards de dollars) envoyés chaque année par les Zimbabwéens de la diaspora.

« Les Zimbabwéens exilés aux quatre coins du monde gagnent 10 milliards de rands (1,4 milliard de dollars) par mois, et cherchent à envoyer trois milliards de rands (428 millions de dollars) par mois dans leur pays. Si des réglementations bancaires adéquates étaient en place pour conserver les devises fortes [au Zimbabwe] cet argent permettrait de financer la majeure partie des opérations humanitaires et de reconstruction dont le pays a un besoin pressant », selon M. Reynolds, qui vivait auparavant au Zimbabwe.

Pour Mme Sibanda, de Kwe Kwe, dont la sœur travaille en Angleterre et lui envoie des devises fortes, l’équation est simple : « Tant qu’il n’y aura rien à acheter [au Zimbabwe], nous continuerons à venir ici pour subvenir aux besoins de nos familles ».

« Tant qu’il n’y aura rien à acheter [au Zimbabwe], nous continuerons à venir ici pour subvenir aux besoins de nos familles »
 
La fièvre acheteuse des Zimbabwéens ne se limite pas aux produits de base : elle concerne également les produits durables, tels que les téléviseurs, les meubles de maison et les lits, que les ouvriers sud-africains doivent parfois attendre des mois pour pouvoir se payer.

Pour endiguer la fuite des devises fortes, Samuel Mumbengegwi, le ministre zimbabwéen des Finances, a imposé au début du mois, une accise sur une série d’articles considérés comme des produits de luxe.

Dans la liste amendée des Douanes et accises (Identification des produits de luxe) du gouvernement, on trouve les chaussures, les dessous pour hommes et femmes, les bas et collants, les voiles, les gants et les cravates, taxés à 60 pour cent ; à cela s’ajoute une taxe supplémentaire de 10 dollars américains le kilo à verser en devises. Les tapis, les « réfrigérateurs pour la maison », les cuisinières, le linge de maison, les couvertures (sauf couvertures électriques), sont taxés à 50 pour cent, en plus des 10 dollars par kilo.

Ces nouveaux tarifs n’ont pas réussi à dissuader les Zimbabwéens d’affluer vers l’Afrique du Sud. Pour éviter de payer les taxes, des bus entiers d’acheteurs « versent » 10 rands (1,43 dollar américain) chacun aux agents de la douane, qui exécutent alors des inspections « de forme » de leurs marchandises aux douanes de Beitbridge, à la frontière entre le Zimbabwe et l’Afrique du Sud.

De la richesse à l’aumône

En 1980, année de l’indépendance du Zimbabwe, ancienne colonie britannique, le dollar zimbabwéen valait deux dollars américains ; aujourd’hui, un dollar américain vaut environ 300 000 dollars zimbabwéens, et les devises ne sont disponibles que sur le marché parallèle des devises, en plein essor. De même, le dollar zimbabwéen valait 45 centimes de rand (la monnaie sud-africaine), tandis qu’il s’échange aujourd’hui au taux de 40 000 dollars zimbabwéens pour un rand.

Eddie Cross, conseiller économique du Mouvement pour le changement démocratique (MDC), le parti d’opposition, et ancien PDG de l’unique société zimbabwéenne d’exportation de viande de bœuf, a révélé à IRIN qu’en 1980, le Zimbabwe était le deuxième exportateur mondial de tabac, après les Etats-Unis.

Il était également la deuxième économie d’Afrique australe et présentait notamment le troisième PIB le plus élevé par habitant ; enfin, il était également le sixième producteur d’or mondial. L’or s’est élevé à son plus haut niveau en 30 ans et devrait passer la barre des 800 dollars américains d’ici à la fin de l’année 2007. Au cours des deux premières années d’indépendance, l’économie a enregistré une croissance de 24 pour cent ; pendant les 15 années qui ont suivi, la croissance annuelle a oscillé autour de cinq pour cent, avec un taux d’inflation entre neuf et 12 pour cent, malgré un déficit budgétaire important (entre huit et neuf pour cent du PIB).

En 1995, la dette nationale avait atteint cinq milliards de dollars, soit 60 pour cent du PIB. La débâcle économique est imputée aux décisions du gouvernement, qui a cherché à adopter des politiques populistes, à l’introduction d’une multitude de mesures de contrôle des prix et à un système d’échange de devises rigide.

rm/go/he/nh/ads/ail


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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