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Les acteurs locaux, héros méconnus de l’humanitaire en zone à risque

Les violences qui déchirent la Somalie depuis plusieurs années, et en particulier Mogadiscio, la capitale, ont fait de ce pays l’un des plus dangereux du monde pour les travailleurs humanitaires, qui ont dû réduire leurs activités au minimum et s’en remettre à des personnels locaux de plus en plus souvent victimes de violences.

Les affrontements entre les factions, les barrages routiers tenus par des bandits armés, les enlèvements et les tueries qui ont lieu aux quatre coins du pays font que là où les opérations se poursuivent, le fonctionnement de l’aide dépend de plus en plus du personnel somalien, ont dit des travailleurs humanitaires.

Or selon un dossier d’information publié en 2006 par l’Overseas Development Institute, 78 pour cent des travailleurs humanitaires qui ont été victimes de ces violences en raison de leur travail sont des ressortissants des pays d’accueil – un nombre qui a plus que doublé entre 1997 et 2005.

« Le taux [de victimisation] chez les ressortissants internationaux est stable ou en déclin, tandis qu’il augmente chez les ressortissants nationaux, surtout dans les contextes les plus dangereux », peut-on lire dans le rapport.

La Somalie présente la pire des situations de ce type, selon le rapport. « En termes à la fois relatifs et absolus [et à l’exception de l’Irak en 2003-2004], la Somalie demeure le plus violent lieu d’opérations [pour les organismes] d’aide humanitaire », révèle le rapport.

L’ampleur des besoins et la gravité de la situation en matière de sécurité ont conduit à l’élaboration de différentes méthodes opérationnelles. Certains organismes privilégient par exemple une méthode parfois qualifiée d’approche « à distance ».

Ces organismes implantent leur personnel expatrié à l’extérieur du territoire somalien et leur personnel local est chargé, à lui seul, de mener les opérations sur le terrain lorsque la situation d’insécurité est grave. Malgré tout, certaines organisations ne prévoient pas de renforts de sécurité adéquats, selon certains travailleurs humanitaires locaux exerçant en Somalie.

De nombreuses organisations ont recruté des émigrants somaliens appartenant à la diaspora ou ont promu des ressortissants somaliens aux postes de cadres supérieurs.

Le personnel national met en oeuvre les opérations

D’autres privilégient ce qu’on appelle le « partenariat ». Ces organisations n’ont pas de personnel, ni national ni international, dans le pays. Elles mènent leurs opérations par l’intermédiaire d’organisations non gouvernementales locales, en majeure partie des groupes de la société civile.

« Dans la plupart des cas, nous opérons seuls, sans aucun renfort », a expliqué un Somalien, travaillant pour une organisation internationale. « De nombreux Somaliens travaillant auprès d’organisations internationales n’ont pas le droit d’être évacués ; le mieux que [ces organisations] puissent faire, c’est vous dire de vous rendre dans une autre ville et de vous faire discret en attendant que ça passe ».

Selon plusieurs analystes, les ressortissants nationaux sont les héros méconnus de la communauté humanitaire, et les dirigeants des organisations disent n’avoir aucun problème à leur confier davantage de responsabilités en période d’insécurité. Pourtant, certains ont davantage l’impression d’être des « employés jetables ».

« Certains d’entre nous ont été tués ou enlevés et ça ne compte pas parce que nous ne sommes pas des expatriés », a révélé un travailleur humanitaire national, sous couvert de l’anonymat. « Je ne pense pas être un héros. J’ai plutôt l’impression d’être un "objet jetable" ».

A en croire certains travailleurs humanitaires, il est souvent demandé aux employés nationaux de se rendre dans des zones où les employés internationaux ne peuvent pas aller. Et s’ils contestent les instructions qui leur sont données, ils risquent leur poste.

« On ne peut même pas dire “c’est trop dangereux”. On devient tout simplement les nouvelles cibles », a ajouté le travailleur local.

Un ressortissant national, travaillant pour une organisation d’aide humanitaire multilatérale, a relaté qu’un de ses collègues avait été enlevé et pris en otage pendant plus d’un mois. A sa libération, son employeur l’a licencié car il n’était plus en mesure de travailler à Mogadiscio. « Ils n’ont même pas pu lui proposer un autre poste », s’est-il indigné.

« La Somalie grossit les imperfections, les défauts d’opérationnalité qui apparaissent dans ce type de situations », a expliqué à IRIN un analyste somalien, installé à Nairobi.

Sur le terrain ou à distance ?

La situation varie d’une organisation à l’autre. Abdirashid Haji Nur, directeur de pays pour Concern Worldwide, une organisation qui opère en Somalie depuis 1992, a admis que les employés nationaux étaient souvent confrontés à de nombreuses difficultés. Il a néanmoins ajouté que toutes les organisations ne traitaient pas leur personnel de la même manière.

« C’est vrai, certaines organisations ne sont pas aussi attentives au sort de leurs employés locaux qu’elles le devraient, mais tout n’est pas noir », a-t-il déclaré.

Abdirashid Haji Nur dirige les opérations de l’organisation depuis sept ans, sans trop d’ingérence, a-t-il dit.

« Je reçois des lignes directrices lorsque j’en demande, mais mes supérieurs m’accordent une grande liberté d’action, y compris pour ce qui concerne les questions de sécurité », a-t-il poursuivi.

Malgré tout, a-t-il précisé, il faudrait que les organisations fassent participer leur personnel national au processus de prise de décisions. En effet, elles font appel à leurs employés nationaux pour mettre en oeuvre leurs opérations, mais ceux-ci ne contribuent pas à la prise de décision qui détermine la mise en œuvre de ces opérations.

« Pourtant, ces décisions peuvent avoir des répercussions en matière de sécurité et exposer le personnel à des risques », a-t-il souligné.

Aux dires de M. Nur, les possibilités d’avancement professionnel et de formation offertes au personnel local sont « quasi-inexistantes ». Les expatriés doivent reconnaître la contribution de leurs collègues somaliens et les intégrer au sein du système, a-t-il recommandé.

Selon un membre du personnel des Nations Unies, il faudrait également aborder la question de l’écart qui existe entre les indemnités versées aux expatriés et celles perçues par les employés nationaux assignés aux mêmes tâches.

« Nous sommes globalement peu rémunérés et peu dédommagés des risques que nous sommes tenus de prendre », a-t-il dit.

Pour Bea Spadacini, porte-parole de l’organisation Care, « d’une certaine manière, nous n’avons pas besoin d’expatriés. Nous avons confiance en la qualité de notre personnel de terrain. Le manque d’expatriés pour diriger les opérations sur le terrain n’est pas idéal, mais il n’influe pas sur la qualité de nos programmes ».

En ce qui concerne la sécurité du personnel, « nous sommes à l’écoute de notre personnel. Ce sont les mieux placés pour savoir quand c’est le moment de partir », a-t-elle dit.

Le système du partenariat

Parce qu’elles sont conscientes de la situation en Somalie, ou parfois, par préférence, certaines organisations internationales s’associent avec les organisations locales.

Pour ce faire, les organisations étrangères doivent tisser un lien de confiance et élaborer des objectifs communs avec leurs partenaires. Elles doivent ensuite verser des fonds et fournir une formation pour mettre en place les programmes. Cela leur permet à la fois de renforcer les compétences locales et d’avoir un impact sans être présentes sur le terrain.

Toutefois, cette approche « est difficile à vendre », selon l’analyste somalien ; en effet, les bailleurs de fonds pensent généralement que ce système pose des « difficultés psychologiques et administratives », a-t-il expliqué.

D’autres organisations se sont mises à recruter des Somaliens issus de la diaspora, en les faisant travailler dans leur propre quartier, où ils sont, pensent-elles, en mesure de « s’intégrer » et d’être plus conscients du contexte et des risques encourus.

« On est sans doute plus en sécurité quand on est de la région », a expliqué à IRIN un représentant d’une ONG. « Cependant, n’importe qui peut aisément se trouver pris dans un tir croisé ».

Une majorité d’organisations continueront de dépendre fortement du personnel national pour la plupart de leurs opérations. « Plus elles sont en situation de vulnérabilité, plus il est important qu’elles emploient du personnel local », d’après l’analyste.

Depuis la semaine dernière, un calme relatif règne à Mogadiscio et la situation de sécurité est relativement stable dans les autres régions du pays. Pourtant, les organismes d’aide humanitaire s’attendent à continuer de rencontrer des difficultés dans la mise en œuvre de leurs opérations au sein de la capitale et aux alentours.

Bien que le gouvernement s’efforce de résoudre la situation manu militari, celle-ci exige également la mise en marche d’un processus politique, ont souligné plusieurs sources, se faisant l’écho d’appels diplomatiques lancés, notamment, par l’Union européenne et le Conseil de sécurité des Nations Unies.

En outre, les nouveaux besoins engendrés par de récents affrontements sont peu susceptibles d’être comblés par les programmes existants, et les ONG, de même que les agences de l’ONU, souhaitent renforcer leur présence.

« Nous voulons nous rendre sur place, mais le terrain n’a pas encore l’air d’être propice à la mise en place d’opérations », a dit Toby Kaye, de l’organisation britannique Save the Children.

En démarrant un nouveau programme dans une nouvelle région, une ONG s’expose à de plus gros risques de sécurité qu’en réorientant un programme déjà opérationnel, puisque les dispositions en matière de contrat et de recrutement doivent être établies et peuvent constituer une question délicate, a-t-il dit.

Selon un représentant d’une ONG, les escortes armées à Mogadiscio et aux alentours constituent également une question critique. Des attaques, des explosions et des assassinats ont lieu sur les routes principales.

« Choisir une escorte est un dilemme inextricable », a-t-il expliqué, puisque les escortes rangées du côté du gouvernement peuvent être la cible des insurgés tandis que les gardes indépendants risquent d’être désarmés de force par le gouvernement de transition fédéral (GTF) ou les forces éthiopiennes.

ah/bp/mw/nh/ail


This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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