Récemment, le gouvernement a renforcé la législation afin d’abolir et de sanctionner la pratique de l’esclavage, une coutume ancestrale encore en vigueur dans certaines communautés locales. Mais les autorités nigériennes continuent d’affirmer qu’il n’existe plus d’esclaves dans ce vaste pays enclavé d’Afrique de l’Ouest et sont agacées lorsqu’on leur apporte la preuve qu’il en existe toujours.
Le 28 avril, par exemple, les autorités nigériennes ont arrêté deux militants anti-esclavagistes qui préparaient une cérémonie pour marquer l’affranchissement de 7 000 anciens esclaves, au motif qu’ils avaient extorqué 3,5 millions d’euros (4,3 millions de dollars) à une organisation non-gouvernementale (ONG) britannique.
Les responsables de l’organisation anti-esclavagiste nigérienne Timidria ont secrètement été remis en liberté sous caution, six semaines plus tard.
Et ils parlent ouvertement de leurs amis et relations qui sont encore condamnés à travailler sans salaire sous la coupe d’un maître et qui continuent d’être victimes de mauvais traitements et d’abus sexuels.
Dans le hameau de Kawassa, un ensemble de cases en paille dans le sud-ouest du Niger, Tafoussousssat Machar fixe les dunes de sable et se souvient des 30 premières années de sa vie passées en esclavage.
«Le matin je pile le mil, je vais au puits, je cherche du bois, je prépare le repas, je vais encore au puits, je pile encore le soir, sans jamais être payée pour ça», indique cette belle jeune femme drapée d’un pagne bleu aux motifs jaunes et roses.
«Si je n’obéis pas, je suis bastonnée», explique-t-elle en tamasheq, le dialecte local. « Je n’ai jamais pensé que je serais libre un jour ».
Comme ses parents avant elle, Tafoussoussat est née esclave dans une famille touareg de la région de Tahoua, dans le sud-ouest du pays. Elle a été cédée à l’âge de 20 ans à un deuxième maître contre 100 000 FCFA (20 dollars). Pour cet homme qui avait déjà quatre femmes, Tafoussoussat était sa concubine.
Au Niger, la pratique de l’islam permet à un musulman d’avoir jusqu’à quatre femmes. Mais la coutume locale permet également d’avoir une cinquième femme comme concubine.
Le calvaire de Machar a pris fin il y a quatre ans. Elle a été retrouvée par son oncle Ilibad Bilal qui a menacé son nouveau maître de le traduire en justice s’il n’acceptait pas de libérer sa nièce.
Le maître accepta de laisser partir Machar.
« J’ai vécu, moi-même, avec mes parents chez des maîtres touaregs blancs il y a longtemps, mais j’ai fini par m’enfuir », a déclaré le vieil homme au turban blanc que portent traditionnellement les touaregs de la région.
« C’est après une séance de sensibilisation de Timidria que j’ai compris qu’il fallait aider ma nièce ».
L’esclavage : une pratique ancestrale
Mais Bilal a fait bien plus que sauver sa nièce. Il a également récupéré le premier fils que Tafoussoussat a eu avec son ancien maître, en menaçant ce dernier de le traduire en justice s’il s’opposait à son départ.
Bilal est aujourd’hui devenu le représentant de Timidria à Kawassa, une localité de 160 habitants proche de la ville de Tahoua, à 500 km au nord-ouest de la capitale Niamey.
Lorsqu’on lui demande si l’esclavage existe au Niger, la jeune femme lève les yeux, et répond « mais bien sûr » ! « Ma maman est encore là-bas» !
Deux jeunes filles identifiées comme esclaves par Timidria |
Leur descendance devenait alors la propriété du maître, qui était libre de les vendre ou de les donner à d’autres maîtres, selon Timidria.
Avant l’indépendance en 1960, le pouvoir colonial français au Niger avait pris des mesures pour lutter contre les pratiques les plus flagrantes, telles que la traite d'êtres humains et les marchés d'esclaves. Mais l'esclavage n'a été combattu qu'avec un succès limité.
Après l'indépendance en 1960, l’esclavage a été aboli par la constitution, mais sa pratique n’a pas été considérée passible de sanctions judiciaires. Et parce que de nombreux membres de l’élite au pouvoir étaient issus de familles propriétaires d’esclaves, ils ont passé sous silence une pratique qu'ils avaient intérêt à protéger.
Créée en 1991 par un groupe de jeunes Nigériens, Timidria est une association nigérienne qui vise à éradiquer la pratique de l’esclavage. Présente dans les huit régions du pays, l’association dispose de 636 bureaux locaux.
Une enquête nationale effectuée l’année dernière par Timidria, avec l'appui de l'ONG britannique Anti-Slavery International, a conclu que 43 000 personnes au moins étaient encore en situation d'esclavage dans le pays.
Les récentes études effectuées par Timidria montrent que plus de 8 000 000 de personnes au Niger vivent dans des conditions semblables à celles de l’esclavage.
Selon cette étude, les esclavagistes sont en majorité des chefs locaux vivant dans les zones d'élevage nomade du nord et de l'ouest du pays, peuplées essentiellement de Touaregs et d'Arabes.
Près de 20 pour cent des 12 millions d’habitants que compte le Niger vivent dans la région désertique et poussiéreuse de Tahoua où l’esclavage serait encore une pratique largement répandue, selon Timidria.
Dans une cour retirée dans laquelle se promènent librement poules, chèvres et ânes, à la périphérie de Tahoua, Sidirali Alisbat, le président de la section locale de Timidria, explique :
«Tahoua est le fief de l’esclavage, les Touaregs sont majoritaires ici». « Les 25 pour cent de Touaregs blancs que vous trouvez dans les campements nomades sont souvent les maîtres des Touaregs noirs que vous apercevez ».
Sidirali Alisbat est de ceux qui ont mis en lumière le problème de l'esclavage |
Le maître choisit le partenaire qu’une esclave peut épouser et décide de la scolarisation ou pas des enfants, a-t-il ajouté. Certaines esclaves sont battues, violées ou ont subi des menaces.
Les autorités nient l’existence de l’esclavage
Les autorités nigériennes nient la réalité.
«Je m’inscris en faux contre ceux qui prétendent que l'esclavage existe au Niger», a déclaré à IRIN mercredi Mahamadou Zeti Maïga, le gouverneur de la région de Tahoua, dans le sud-ouest du pays.
« Depuis six ans que je parcours la région de Tahoua, je n’ai pas vu un seul cas où des gens qui se sentent opprimés se sont présentés aux autorités pour se plaindre», a-t-il ajouté. « Nous sommes dans un Etat de droit » !
Une loi adoptée en avril dernier par le gouvernement nigérien considère l'esclavage comme un crime et prévoit des peines de 5 à 30 ans de prison ferme pour les personnes se livrant à cette pratique.
« Il y a de gros malins qui présentent de gros dossiers pour se faire de l’argent au plan extérieur », a-t-il ajouté, en faisant référence aux deux principaux militants de l’association anti-esclavagiste Timidria, incarcérés le 28 avril pour « tentative d’escroquerie », puis remis en liberté provisoire le 17 juin.
Ilguilas Weila et Alassane Biga, respectivement président et secrétaire général de Timidria, ont été accusés par la Commission nationale des droits de l’homme et des libertés du Niger d’avoir escroqué l’ONG britannique Anti-slavery International en obtenant 3,5 millions d’euros destinés a la réinsertion de 7 000 « prétendus esclaves » du campement touareg d’Inates, dans la région de Tillabery, au nord-ouest du pays.
Dans le nord-ouest, les esclaves se déplacent à dos d'âne pour aller chercher du bois |
La libération d'Ilguilas Weila et Alassane Biga a mis du baume au cœur des militants de l’ONG anti-esclavagiste, qui réclament désormais l’abandon total des charges pesant contre les deux responsables de Timidria.
«Nous sommes soulagés de la libération sous caution d’Ilguilas Weila et Alassane Biga, et demandons que toutes les charges pesant contre eux soient levées. L’esclavage est un problème majeur au Niger et nous appelons le gouvernement nigérien à travailler avec Timidria pour mettre fin à cet abus[1] », a déclaré l’association Anti-Slavery International
dans un communiqué de presse.
L’esclavage, un sujet encore tabou, malgré les nouvelles lois anti-esclavagistes
Dans le hall somptueux de l’hôtel Sofitel de Niamey, Sanoussi Jackou, député de l’opposition, affirme pour sa part que l’esclavage existe au Niger mais que les autorités craignent de heurter les lobbies pro-esclavagistes en prenant des mesures radicales visant à abolir cette pratique ancestrale.
« La pratique de l’esclavage existe bel et bien chez les Arabes et les Touaregs, même ici à Niamey, où vous voyez de jeunes gens noirs qui préparent le thé, font les travaux domestiques, tiennent les boutiques de leurs maîtres sans être rémunérés », a-t-il indiqué.
Jackou, fils d’un chef touareg et d’une mère haoussa, est le fondateur du parti nigérien pour l’autogestion.
« Le mois dernier, à l’Assemblée nationale, aucun député n’a voulu intervenir lorsqu’on a ouvert le débat sur l’esclavage. Or, il y a neuf Arabes blancs et esclavagistes et une dizaine de Touaregs blancs et esclavagistes. Tout le monde sait qu’ils ont des esclaves mais personne ne veut en parler » !
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«Les Touaregs se font craindre avec la rébellion car aujourd’hui au Niger ils sont les seuls à prendre les armes et à se rebeller contre le pouvoir central, il faut entretenir de bons rapports avec eux », a-t-il indiqué
« Le Front de libération de l’Air et d’Azaouk (FLAA) a entretenu une rébellion de quatre ans dans la région nord du Niger, aux confins du Sahara, jusqu’à la signature d’un accord de paix en 1995.
Il y a eu une recrudescence des actes de banditisme et des attaques sur les routes dans le nord du Niger l’année dernière, après qu’un ancien responsable de la rébellion a été demis de ses fonctions de ministre et arrêté pour complicité de meurtre. Ce ministre a ensuite été remis en liberté.
Loin des débats politiques, Machar, l’esclave libérée de Kawassa, essaie de reconstruire une vie normale.
«Je suis maintenant mariée et j’ai eu un deuxième enfant », déclare la jeune femme.
Son premier fils, aujourd’hui âgé de 13 ans, est heureux d’être retourné au village.
« Là-bas je devais conduire les animaux au puits le matin, encore l’après-midi, aller les chercher », dit-il. « Ici aussi, je conduis les animaux, mais ici, avec ma maman, je suis content ».
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