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Kribi, un petit paradis pour les touristes et le sida

Les habitants de Kribi, l’une des stations balnéaires les plus réputées du golfe de Guinée, espéraient que la construction du terminal pétrolier Tchad-Cameroun, allait tout résoudre : le chômage, la pauvreté, l’isolement. Trois ans après, à leur grand désespoir, rien n’a changé. «Oh là là, le pipeline ! Ca a fait beaucoup de dégâts. Ca nous a apporté plus de malheur que de bonheur», se souvient Louis Nzié Owona, en se prenant la tête entre les mains. Ce professeur de comptabilité au collège confessionnel de Saint Joseph, à Kribi, préside le comité de lutte contre le sida de l’établissement : 700 élèves, filles et garçons, qu’il tente de sensibiliser au VIH. Le professeur Nzié, pourtant habitué aux frasques et à la précocité sexuelle des jeunes gens de Kribi, n’en revient toujours pas : «Des cohortes de filles sont venues de tout le pays pour suivre les travaux ; à chaque étape, elles se mettaient à la disposition des hommes, dans les auberges et les hôtels, elles attendaient qu’ils dépensent leurs salaires. Ils étaient dans tous les coins sombres». C’est entre juin 2001 et juillet 2003 que se construisent, avec le soutien de la Banque mondiale, les 1 070 kilomètres d’oléoduc qui relient les champs pétrolifères de Doba, au sud du Tchad, aux tankers qui stationnent au large de la baie de Kribi -- le terminal maritime, destiné à recueillir 225 000 barils de pétrole par jour, est inauguré en octobre 2003. Mais si les compagnies pétrolières membres du consortium qui extrait et transporte la précieuse huile, en tête desquelles l’Américaine ExxonMobil, ont pris la précaution de sensibiliser leurs employés aux risques d’infection au VIH/SIDA, elles ont omis de s’intéresser de la même manière aux populations riveraines, selon des activistes camerounais. «Avec un projet de cette nature, on se serait attendu à ce qu’il y ait davantage de sensibilisation pour préparer les populations à cet afflux de travailleurs étrangers, mieux rémunérés et célibataires», estime Valery Nodem, coordonnateur du Réseau de lutte contre la faim au Cameroun (Relufa) à Yaoundé, la capitale. Le Relufa défend plus de 400 plaintes émises par les populations contre le consortium, accusé de n’avoir pas toujours respecté les conditions d’indemnisation en faveur des villages et des particuliers qui se trouvaient sur le passage de l’oléoduc. Selon M. Nodem, la population de Kribi a plus que décuplé en un temps relativement court. «Il y a eu de forts mouvements de population, beaucoup de maisons ont été transformées en hôtels de passe, ça a changé beaucoup d’habitudes et les habitants étaient mal préparés à tout cela.» Ainsi, la plupart des filles serait repartie dès l’oléoduc enterré et le terminal inauguré. Le tourisme, seule source de revenus Mais contrairement aux études menées au Tchad sur l’impact de l’oléoduc sur la santé des populations riveraines et la propagation du VIH, aucune statistique ni étude d’impact ne confirme ce que tous les acteurs de santé disent pourtant craindre : une flambée de l’épidémie de VIH/SIDA parmi la population la plus vulnérable, jeune, féminine et sans emploi ni perspective. A Kribi, seuls les hôtels offrent du travail : la bourgade et ses 50 000 habitants vivent exclusivement du tourisme. Chaque fin de semaine et durant les vacances scolaires, chaque début de mois quand les salaires tombent, une clientèle d’expatriés, de Camerounais aisés et de séminaristes viennent de la capitale et de toutes les grandes villes du pays pour profiter du site… et de ses attraits. Dès la nuit tombée, les moto-taxis sillonnent la ville dans un va-et-vient incessant entre les boîtes de nuit des grands hôtels, assaillies par des jeunes filles à la recherche d’argent ou de l’âme sœur, et le ‘carrefour Kingue’, bien connu des noctambules et des prostituées qui viennent y faire ‘le poteau’ dans la fumée des grillades et le grésillement des radio-cassettes. Dans le brouhaha et la foule des bars, au bord des rues où les femmes cuisinent les maquereaux et les bâtons de manioc, les relations se tissent, se négocient et se défont aussi vite qu’elles se créent, affirme Marthe, femme de chambre dans un des nombreux hôtels du bord de plage. «Les filles aiment la vie facile, un jour c’est un homme, le lendemain un autre, c’est l’argent qu’elles cherchent… la vie sourit parfois, ça peut marcher, surtout dans les hôtels», explique la jeune fille, qui avoue avoir du mal à se contenter des 40 000 francs CFA (73 dollars) qu’on lui verse chaque mois pour nettoyer les chambres. «Une femme ne peut pas rester sans ami, et à force de chercher de l’argent, on finit par faire des bêtises», ajoute-t-elle, admettant «ne pas toujours avoir utilisé des préservatifs». «Ca dépend si le garçon en a sur lui quand ça se passe, ce n’est pas toujours le cas.» Marthe sait de quoi elle parle : elle a eu sa première fille à 16 ans, avec un ‘vaurien’ qu’elle venait de rencontrer et qui est parti peu après. Ce n’est que lorsque Marthe est tombée enceinte pour la troisième fois, en juin 2004, qu’elle s’est décidée à se faire dépister au VIH, la peur au ventre. Séronégative, elle ne parvient toujours pas à obtenir du père de son dernier-né qu’il fasse la même chose, “pour leur avenir”. A Kribi, les candidats au dépistage sont rares Elle n’est pas la seule. Si la plupart des Kribiens a déjà entendu parler de l’épidémie, des voies de contamination et des modes de prévention, rares sont ceux à se rendre volontairement à l’hôpital de district, le seul centre de dépistage de cette ville de 50 000 habitants, pour se faire tester, affirme le professeur Nzié. «Le message de prévention que nous avons diffusé pendant des années n’est plus adapté à la situation actuelle : tout le monde sait comment se protéger mais peu connaissent leur statut sérologique», explique-t-il. «Il est maintenant impératif que nous les amenions au dépistage.» Un test de dépistage subventionné par l’Etat coûte officiellement 1 000 francs CFA (1,8 dollars) au Cameroun, un prix qui, souvent, décourage les jeunes. Ainsi, les meilleurs résultats sont obtenus lors des campagnes ‘de masse’, organisées gratuitement par le ministère de la Santé qui, ponctuellement, dépêche techniciens et réactifs dans les provinces. Grâce notamment à ces opérations, l’hôpital a dépisté 1 731 personnes en 2005, contre 274 l’année précédente, tous avaient entre 18 et 40 ans. Et si le taux d’infection s’élevait à 13 pour cent en 2004, il était de neuf pour cent en 2005, un taux qui reste nettement plus élevé que la moyenne nationale, estimée à 5,5 pour cent cette même année. Ces taux d’infection se rapprochent de ceux constatés en maternité, où, dans le cadre du Programme de prévention de la transmission mère-enfant, PTME, les femmes et leurs bébés bénéficient d’une prise en charge adaptée. Ainsi, 10 pour cent des femmes dépistées étaient positives en 2004, contre 9,5 pour cent l’année suivante. Si les femmes enceintes séropositives pouvaient jusqu’à présent obtenir un traitement antirétroviral (ARV) sur place, malgré des ruptures régulières d’approvisionnement -- dues notamment aux quatre heures de route qui séparent Kribi de la capitale --, il n’en allait pas de même pour le reste de la population, obligée de se rendre à Ebolova, au nord de Yaoundé, pour la réalisation du bilan pré-thérapeutique et la prescription d’ARV. Selon une infirmière qui a requis l’anonymat, ce n’est que récemment que l’hôpital a été érigé en Unité de prise en charge (Upec), une appellation qui permet aux hôpitaux de district de bénéficier d’un appareil de numération des CD4, pour le suivi biologique des patients, et de prescrire des ARV. L’appareil est arrivé il y a deux semaines à Kribi, mais l’hôpital n’a pas reçu les dotations initiales en médicaments et le comité thérapeutique, qui décide de la mise sous traitement, n’est pas encore constitué. «Jusqu’à présent, même si nous faisons le dépistage, nous ne pouvons pas donner de médicaments aux personnes qui en ont besoin, il faut les envoyer à plus de 400 kilomètres d’ici. Beaucoup refusent, c’est cher et très pénible pour eux», explique-t-elle. Pas d’argent pour la prévention Pourtant, selon l’infirmière, il y a urgence, comme en témoigne le service des maladies infectieuses de l’hôpital. «Les lits pour les malades de la tuberculose [la première infection opportuniste des personnes vivant avec le VIH] sont toujours occupés», précise-t-elle. A l’hôpital, une seule personne s’occupe des conseils à donner aux personnes venues faire le test, de l’annonce des résultats et de la maternité, une charge de travail qui nuit à la qualité des informations données et à la réputation du service, regrette l’infirmière. Pire, aucun financement public n’a été mis à la disposition de la vingtaine de comités locaux mis en place par le Comité national de lutte contre le sida depuis 2004 dans le cadre de la politique de décentralisation initiée par l’Etat en 2002, selon le professeur Nzié. «J’ai reçu 500 000 francs CFA (900 dollars) en 2003 pour acheter le matériel de documentation, former les pairs éducateurs et acquérir des préservatifs pour les élèves, 250 000 francs CFA en 2004 et puis plus rien depuis», explique-t-il. Pourtant, admet-il, «nous avons, à Kribi, le problème de la saison touristique et les jeunes sont très, très actifs. Nous sommes obligés d’accélérer la sensibilisation car on sait que le tourisme va avec le VIH, on doit mettre des garde-fous et prévenir les élèves des dangers qu’ils courent.» Du coup, le professeur de comptabilité s’arrange pour rencontrer les 700 élèves du collège et le personnel enseignant une fois tous les deux mois, et il reste à leur disposition, pour toute question ou conseil - les quatre autres pair-éducateurs ayant ‘jeté l’éponge’. «Les filles viennent me voir quand elles ‘dérapent’, je les conseille mais je ne peux pas les empêcher de sortir : même si elle a un petit ami et si elle l’aime, elle va le tromper avec quelqu’un qui peut satisfaire ses besoins», raconte-t-il. «Il est impossible de combattre le tourisme sexuel avec tant de pauvreté», ajoute le professeur Nzié, rejoint par l’infirmière. «Si une fille gagne 10 000 francs CFA (18 dollars) avec un touriste, quel genre de métier elle va faire après ça ? Ce sont souvent des écolières que l’on voit faire ‘la vie dehors’.» Souvent, admet Joseph, un père de famille qui nettoie les chambres dans un petit hôtel du centre-ville, les filles aident les parents, qui ont du mal à joindre les deux bouts après l’envolée des prix des biens de consommation qui a suivi l’arrivée du consortium pétrolier. Construite sur du sable, en bord de mer, et soumise aux vents marins, la bourgade est entourée de terres peu fertiles, difficiles à cultiver. Du coup, tout vient de l’extérieur et le coût du transport alourdit la facture quotidienne, déjà augmentée par la venue des ouvriers de l’oléoduc et des touristes. Selon les Kribiens, les prix ne sont pas redescendus depuis l’inauguration du terminal et le départ des étrangers venus le construire. «Tout est cher ici et la solution est de cultiver soi-même. Mais pour ça il faut sortir de la ville, aller un peu loin et faire des efforts. Mais les jeunes gens veulent la vie facile, aisée, celle des touristes», explique Joseph, dont la fille de 14 ans a accouché il y a quelque mois à peine. «Nous savons que nous sommes dans une ville touristique, je lui ai dis que l’école devait être son premier mari mais elle n’écoute pas, elle sait déjà qu’elle trouvera les étrangers dans les boîtes de nuit et pas de travail à Kribi : le pétrole, on le voit de loin et puis on le voit partir.»

This article was produced by IRIN News while it was part of the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. Please send queries on copyright or liability to the UN. For more information: https://shop.un.org/rights-permissions

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